• Aucun résultat trouvé

L’exemple de la construction des licences professionnelles à l’université : déterminants et coordination d’acteurs

GOUVERNANCE DE LA FORMATION ?

I. Mutation progressive de l’ordonnancement institutionnel et organisationnel du modèle de régulation des universités : des

2.5. L’exemple de la construction des licences professionnelles à l’université : déterminants et coordination d’acteurs

Les travaux de M. Bel apportent des éléments d’analyse intéressants sur les modalités de construction des diplômes professionnalisés au sein des universités et sur les mécanismes de régulation qui encadrent et structurent la création de ces formations. Pour l’auteur, « la construction de l’offre de formation professionnalisée résulte d’une régulation hybride associant une politique publique décidée par l’État central qui énonce les normes et habilite les demandes et des constructions locales relevant de modalités diversifiées qui donnent forme aux formations proposées »327. L’étude des processus de création des licences professionnelles a mis en évidence trois formes majeures de coordination d’acteurs, ou partenariats, intervenant dans l’élaboration des projets d’habilitation. Ces formes de coordination montrent la diversité des arrangements réalisés entre organismes de formation, acteurs professionnels et collectivités territoriales. Ces coordinations sont au nombre de trois : a) « Les diplômés dans lesquels les professionnels dominent », b) « les constructions portées par une dynamique territoriale », et c) « les constructions dans lesquelles la logique de développement de l’offre de formation domine ».

a). « Les diplômés dans lesquels les professionnels dominent »

L’auteur distingue d’abord « les diplômes dans lesquels les professionnels dominent ». Dans ce cas de figure, les professionnels sont à l’initiative de la création du diplôme et sont les acteurs moteurs dans la construction du projet d’habilitation. Ils participent activement, en partenariat avec les structures de formation, à la définition des contenus d’enseignement, aux modalités d’apprentissage (alternance, stages en entreprise, etc.). La plupart du temps, ils interviennent en dispensant eux-mêmes des enseignements et sont présents dans les conseils d’évaluation des étudiants. Pour les professionnels, les diplômes professionnalisés, adaptés à leur demande en main d’œuvre qualifiée sont « un moyen d’externaliser le coût d’une formation qu’elles auraient pu assurer complètement en interne. La structure intermédiaire permet de traduire le besoin de chacune des entreprises en un besoin commun de façon à assurer une formation collective et à en réduire le coût. Elle rend également possible une estimation des besoins quantitatifs. L’organisation professionnelle, qui joue un rôle d’intermédiation, présente les besoins à

327 Bel M., 2005, « Politique publique décentralisée : quel rôle pour la proximité ? Le cas de l’ouverture des licences professionnelles », Revue Économique Publique, n°16.

ou aux organismes de formation qu’il connaît, et a repéré comme capables d’assurer les formations »328. Ce type de coordination portée par les professionnels semble rompre partiellement avec les logiques disciplinaires et les logiques de filières. Les diplômes répondent à une demande des acteurs économiques. Ce type de partenariat interroge le rôle des universités et la qualité du processus de professionnalisation des étudiants. L’université devient dans ce cas de figure ‟prestataire de services de formation”. Est-ce véritablement son rôle ? De plus on peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’un ajustement étroit entre Formation-Emploi-Travail, souvent caractéristique de ce type de diplôme, et ses effets sur les processus d’insertion des jeunes.

b) « les constructions portées par une dynamique territoriale »

Cette seconde forme de coordination associe les organismes de formation (universités, antennes universitaires, IUT), les collectivités territoriales et les entreprises locales. Mais ces mouvements, et les combinaisons qui les portent, peuvent être très diversifiés. Dans certains cas, la construction du diplôme est à l’initiative d’une collectivité locale dans la perspective de développement de son territoire en parallèle du développement économique lié à la création de nouvelles entreprises ou au développement d’autres déjà existantes. Ici, la collectivité territoriale intervient activement dans le processus de définition des contenus ou des diplômes en vue de les ajuster à des activités économiques présentes sur le territoire donné. L’auteur précise qu’« en cas d’attachement plus faible de la collectivité à une image identitaire fondée sur une spécialisation productive » l’investissement de la collectivité locale dans la définition du contenu est « réduit ou nul ». « Ce qui lui importe, c’est la présence de structures d’enseignement supérieur qui permettent aux jeunes locaux d’accéder à des formations supérieures et qui créent de l’activité sur son territoire ». Le projet de création de diplôme(s) est alors de l’initiative d’enseignants, « qui, en fonction de leur trajectoire, de leur réseau de relations, construisent une proposition et cherchent à mobiliser les entreprises qui ne sont pas demandeuses ». Enfin, dans certain cas, la construction du diplôme résulte de l’implication et de la coordination de trois acteurs que sont : les collectivités territoriales, les organismes de formation et les acteurs économiques.

328 Bel M., 2005, « Politique publique décentralisée : quel rôle pour la proximité ? Le cas de l’ouverture des licences professionnelles », Revue Économique Publique, n°16.

c)« les constructions dans lesquelles la logique de développement de l’offre de formation domine »

Cette dernière forme de coordination reprend les grandes tendances développées dans les travaux menés par Christine Musselin et Stéphanie Mignot-Gérard329, ceux de Frédéric Kletz et Frédérique Pallez330, ou encore de Pierre Dubois331 : stratégie de développement de l’offre de formation, poids des logiques disciplinaires et facultaires, etc. Maîten Bel explique qu’ici, le diplôme est la résultante de processus internes et de l’initiative exclusive, ou essentielle, des acteurs de la formation. L’habilitation d’une licence professionnelle est alors perçue comme une opportunité de développer l’offre de formation, de capter de nouveaux étudiants, ou encore de renforcer la reconnaissance et le positionnement d’une discipline ou d’une UFR au sein de l’établissement. « L’incitation de ces nouvelles ouvertures est à rechercher du côté des logiques de renom ou des logiques de concurrence dans un contexte de resserrement des demandes de formation et d’une certaine ‟volatilité” de la demande étudiante ». L’auteur donne pour exemple la position des IUT, pour qui le développement des licences professionnelles permet « d’accéder à la reconnaissance de leur capacité à former à des niveaux plus élevés qu’ils ne le faisaient auparavant ».

Dans une intention d’analyse similaire aux travaux de M. Bel, la recherche conduite par Dominique Maillard et Patrick Veneau332 auprès de professionnels et d’universitaires responsables d’une soixantaine de licences professionnelles entre 2000 et 2001 pointe également la diversité des processus de construction des diplômes et des logiques qui les déterminent333. Celles-ci se différencient d’une part, au regard de la nature des relations

329 Mignot-Gérard S. et Musselin C., 2001, « L’offre de formation universitaire : à la recherche de nouvelles régulations », Education et Société, n°8.

330 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

331 Dubois P., 2005, « Devenir professionnel des diplômés et stratégie des universités », Interacções n°1, pp. 149-177.

332 Maillard D., Veneau D. et Grandgérard C., 2004, « Les licences professionnelles, Quelle acception de la professionnalisation à l’université ? », Relief 5, Rapport du Céreq, juin.

Maillard D., Veneau D. et Grandgérard C., 2008, « Les licences professionnelles, quelle acception de la professionnalisation à l’université ? », 1ère biennale formation-emploi-travail, Les chemins de la formation vers l'emploi, Relief n° 25, mai, pp. 63-66.

333 L’enquête porte sur 60 licences professionnelles habilitées en 2002, soit environs 30% de l’offre nationale. Celles-ci se répartissent dans un grand nombre d’académies : Aix-Marseille, Bordeaux, Créteil, Dijon, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Nantes, Nice, Paris, Poitiers, Versailles. Les entretiens avec les responsables des licences ont été complétés avec des entretiens auprès de professionnels, partie prenante de diverses manières dans les licences.

entretenues entre les acteurs universitaires et les partenaires extérieurs, et d’autre part, au regard des enjeux relatifs à la création d’un nouveau diplôme au sein de l’établissement ou de la composante. Dans certains cas, la création d’une licence professionnelle relève de la transformation d’un diplôme déjà existant. Ce que les auteurs nomment « les licences professionnelles issues de formations antérieures » sont le fruit majoritairement d’une démarche portée par les IUT, dont l’objectif est d’inscrire au niveau L, la plupart du temps, des diplômes d’Université (DU) déjà existants au sein de leur établissement. Le processus de construction s’opère de manière interne par l’ajustement de l’ancien diplôme aux critères du nouveau diplôme (la licence professionnelle), sous l’initiative des enseignants – ceux-ci sollicitant dans un second temps le soutien de professionnels. Une seconde catégorie de construction regroupe ce que les auteurs nomment « les créations ex nihilo »334. « Ici, la construction des diplômes ne prend pas appui sur une offre existante. Les projets d’habilitation relèvent essentiellement de la volonté des enseignants ou des composantes universitaires dans le cadre de deux objectifs majeurs : « diversifier l’offre de formation » et « investir dans la formation professionnelle »335. Enfin, une dernière catégorie regroupe « les formations impulsées à l’extérieur de l’université ». Le processus de construction a ici les caractéristiques de ce que Maïten Bel décrit comme « des diplômes dans lesquels les professionnels dominent ».336

Ces recherches montrent donc la diversité des objectifs afférents à la construction des diplômes professionnalisés au sein des universités et la diversité des formes de coordination d’acteurs au principe de l’élaboration des contenus et modalités d’apprentissage des enseignements. On voit également que le projet d’habilitation est tantôt porté par des universitaires dans une stratégie de développement de l’offre, tantôt le processus de construction s’inscrit dans le cadre d’un véritable partenariat caractérisé par la coordination d’acteurs internes à l’université et des acteurs externes (collectivités territoriales, acteurs économiques). Dans tous les cas, la professionnalisation des études

334 Maillard D., Veneau D. et Grandgérard C., 2008, « Les licences professionnelles, quelle acception de la professionnalisation à l’université ? », 1ère biennale formation-emploi-travail, Les chemins de la formation vers l'emploi, Relief n° 25, mai, pp. 63-66.

335« Ce sous-type concerne exclusivement des UFR, dans lesquelles l’offre de formation professionnelle est quasiment inexistante, à l’exception des Diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS) ».

Maillard D., Veneau D. et Grandgérard C., 2008, idem.

336 Bel M., 2005, « Politique publique décentralisée : quel rôle pour la proximité ? Le cas de l’ouverture des licences professionnelle », Revue Économique Publique, n°16.

Outline

Documents relatifs