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B. Aux Etats-Unis

1) L'appel administratif

62. Comme nous l'avons déjà indiqué163, ce type de voie de droit est tout à fait indépendant des actions judiciaires, qu'il ne remplace en aucun cas. Mais, en vertu du principe de l'épuisement des voies de droit administratives164, lorsque l'appel administratif est possible, il doit en principe être utilisé avant qu'une action judiciaire ne puisse être intro-duite.

63. L' AP A prévoit la possibilité de 1' appel administratif pour les procédures impliquant la tenue d'une audience formelle (hearing)165

Dans ce cas, la personne ayant présidé 1' audience, par exemple un ad-ministrative law judge166, rendra une décision initiale, contre laquelle un appel auprès de la direction de 1' administration concernée pourra être interjeté167, à moins que cette dernière, comme elle en a le droit168 rarement utilisé169, n'ait décidé de présider elle-même l'audience et de rendre directement une décision finale170.

64. Les administrations peuvent également introduire l'appel administratif, par voie réglementaire, dans le cadre de la procédure ad-ministrative informelle171 .

163 Supra no 18.

164 Exhaustion of administrative remedies, cf. Myers v. Bethlehem Shipbuilding Corp., 303 U.S. 41 (1938); DAVIS/PIERCE (1994), vol. 2, pp. 305 ss; SCHWARTZ (1991) pp. 541 ss; GELLHORN et al. (1987) pp. 1082 ss.

165 L'organisation d'un hearing caractérise les procédures deformalrulemaking et forma/ adjudication évoquées plus haut, supra no 18.

166 Contrairement à ce que son nom suggère, il ne s'agit pas d'un magistrat, mais d'un fonctionnaire, disposant toutefois de certaines garanties d'indépendance vis-à-vis de l'administration, cf. DAVIS/PIERCE (1994), vol. 2, pp. 96-97; GELLHORN/

LEV1N (1991) pp. 274 ss; CAPT (1989) pp. 125 ss; GELLHORN et al. (1987) pp. 862 ss.

167 APA, 5 U.S.C. § 557(b); SCHWARTZ (1991) pp. 44 ss.

168 APA, 5 U.S.C. § 556(b)(1).

169 CAPT (1989) p. 124.

170 APA, 5 U.S.C. § 557(b) a contrario.

171 Voir MANSFIELD (1988) pp. 469 ss, sur le cas des appels administratifs en ma-tière de gestion des terres fédérales (public lands).

LA STRUCTURE DES VOIES DE DROIT

2) Le contrôle judiciaire général de 1 'administration

65. L' AP A régit le contrôle général de 1 'activité des administra-tions fédérales par les tribunaux17211 prévoit que sont soumises à ce contrôle les actions administratives pour lesquelles la loi le prévoit et celles pour lesquelles il n'existe pas de remède judiciaire adéquat (adequate remedy in a court) 173, ce qui renvoie à des actions spéciales, notamment en dommages-intérêts. La Cour suprême a considéré que 1 'AP A constituait une base légale d'action judiciaire (cause of action) et non une clause attributive de compétence en faveur des tribunaux fédéraux174Cette restriction n'a toutefois pas de conséquence prati-que. En effet, une procédure judiciaire dirigée contre une action d'une administration fédérale sera par définition une «question fédérale» pour laquelle la compétence des tribunaux fédéraux de district est expressé-ment prévue par leJudicial code175 .

66. L'actionjudiciaire fondée sur l' APA est donc générale quant au droit de fond applicable. Elle est cependant circonscrite à la contesta-tion des accontesta-tions ou omissions des administracontesta-tions fédérales176 et neper-met donc pas d'invoquer la violation du droit fédéral de 1' environnement par des Etats, des comtés, des municipalités ou par des particuliers.

3) Les dispositions légales spéciales

67. Quasiment toutes les lois fédérales de protection de 1 'envi-ronnement contiennent des dispositions spéciales sur les voies de droit.

Celles-ci sont essentiellement de deux types.

172 APA, 5 U.S.C. §§ 701 ss.

173 APA, 5 U.S.C. § 704.

174 Califano v. Sanders, 430 U.S. 99, 104 ss (1977).

175 28 U.S.C. § 1331; cf. supra no 22. Jusqu 'en 1980, cette disposition ne fondait la compétence des tribunaux fédéraux, sauf exceptions, que pour des valeurs liti-gieuses supérieures à un certain montant, en dernier lieu 10000 dollars, cf. BA TOR et al. (1988) p. 963. La limitation de la portée de 1 'APA pouvait donc avoir un effet pratique.

176 Cf. APA, 5 U.S.C. § 70l(b)(l), qui définit l'administration (agency) visée par l' APA comme une «autorité du gouvernement des Etats-Unis», à l'exception, notamment, du Congrès et des tribunaux. Le Président n'est pas non une agency au sens de l' APA,Dalton v. Specter, 114 S.Ct. 1719, 1724-1725 (1994); Franklin v. Massachusetts, 112 S.Ct. 2767,2773 (1992).

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISA TI ONS ÉCOLOGISTES

68. On trouve d'abord des dispositions sur le contrôle judiciaire des actions de 1' administration compétente, qu'il s'agisse de 1 'édiction d'un règlement177 ou de la prise d'une décision concrète (arder) rela-tive à une autorisation, un permis, un ordre d'assainissement ou une amende administrative178Ces dispositions s'inscrivent dans un cadre déjà couvert par le contrôle général décrit ci-dessus. Elles n'élargissent donc pas le champ du contrôle judiciaire de 1 'administration. Elles pres-crivent plutôt certaines modalités particulières de procédure. C'est ainsi qu'en ce qui concerne les actions dirigées contre des règlements, elles prévoient toutes non pas la compétence des tribunaux de district, mais celle des cours d'appel de circuit, voire parfois la compétence exclusive de la cour d'appel pour le district de Columbia.

69. Mais ce qui fait 1' originalité des lois américaines de protec-tion de l'environnement ce sont les disposiprotec-tions qui prévoient la possi-bilité de citizen suifs, à savoir des actions judiciaires que toute personne ou tout citoyen a le droit d'intenter179Ces actions ont ceci de particu-lier qu'elles peuvent être dirigées non seulement contre une action ou une omission de l'administration, mais contre quiconque se trouve, d'après le plaignant, en violation de la loi, donc également contre les autorités et administrations des Etats, comtés et municipalités, ainsi que contre les particuliers180. Les dispositions sur les citizen suits ne recou-pent donc que partiellement celles de 1 'AP A. Leur champ est plus étroit quant au droit applicable, puisque chacune d'elles ne concerne qu'une seule loi, mais il est plus large quant aux défendeurs possibles et par

177 Voir, par exemple, TSCA, 15 U.S.C. § 2618; CWA, 33 U.S.C. § 1369(b); PHSA, 42 U.S.C. § 300j-7; NCA, 42 U.S.C. § 4915; RCRA, 42 U.S.C. § 6976(a)(l);

CAA, 42 U.S.C. § 7607(b) Ire phrase; CERCLA, 42 U.S.C. § 9613(a).

178 Voir, par exemple, FIFRA, 7 U.S.C. § 136n(a) et (b); CWA, 33 U.S.C. § 1319(8);

PHSA § 300j-7(2); RCRA, 42 U.S.C. § 6976(b); CAA, 42 U.S.C. § 7607(b)(l) 2e phrase; EPCRTKA, 42 U.S.C. § 11045(f).

179 La question de savoir ce qu'il faut entendre ici par «toute personne» ou «tout citoyen» sera examinée dans le chapitre sur la qualité pour agir, cf. infra nos 129 à 131.

180 Voir TSCA, 15 U.S.C. § 2619 et§ 2647(f); ESA, 16 U.S.C. § 1540(g); CWA, 33 U.S.C. § 1365; MPRSA, 33 U.S.C. § 1415(g); PHSA, 42 U.S.C. § 300j-8; NCA, 42 U.S.C. § 4911; RCRA, 42 U.S.C. § 6972; CAA, 42 U.S.C. § 7604; CERCLA, 42 U.S.C. § 9659; voir aussi Surface Mining Control and Reclamation Act, 30 U.S.C. § 1270; Deepwater Port Act, 33 U.S.C. § 1515; Outer Continental Shelf Land Act, 43 U.S.C. § 1349(a).

LA STRUCTURE DES VOIES DE DROIT

conséquent quant aux actions, comportements ou omissions suscepti-bles d'être visés.

70. La doctrine et la jurisprudence évoquent parfois également l'existence de droits d'agir en justice qui seraient contenus implicite-ment dans certaines lois (implied rights of action). Il s'agit de savoir si un particulier, ou une organisation privée, peut agir contre le prétendu violateur d'une loi, lorsque celle-ci ne comporte pas de disposition ex-presse à cet effet. Dans cette question, l'existence d'une voie de droit et la qualité pour agir sont indissolublement liées. Elle sera donc traitée avec celle-ci 181

4) La common law

71. Dans la mesure où une organisation écologiste invoque la common law d'un Etat182, elle ne fait pas usage d'une voie de droit fédérale au sens où nous avons défini celles-ci, même si le litige est porté devant une cour fédérale en raison de l'identité des parties 183Quant à une éventuelle common law fédérale, la Cour suprême en avait admis le principe dans les cas de pollution interétatique184Plus récemment, elle a toutefois considéré que le CW A et le MPRSA en écartaient l' ap-plication en matière de pollution des eaux185. Les tribunaux fédéraux ont rendu des arrêts analogues à propos d'autres lois fédérales186. Dès lors, même si la Cour suprême ne les a pas expressément exclues dans tous les domaines, on ne voit plus très bien quelle place pourrait encore subsister, parmi les voies de droit fédérales, pour des actions de common law en cessation de trouble ou en dommages-intérêts.

181 Infra no 132.

182 Cf. supra no 43.

183 Cf. supra no 42.

184 Illinois v. City of Milwaukee, 406 U.S. 91 (1972); Georgia v. Tennessee Copper Co, 206 U.S. 230 (1907); FINDLEY/FARBER (1992) pp. 96-97; HILL (1987) p. 544;

BUCHELE (1986) pp. 633 ss.

185 International Paper Co v. Ouellette, 479 U. S. 481,491 ss (1987); City of Milwau-kee v. Illinois, 451 U.S. 304 (1981); Middlesex County Sewerage Authority v. National Sea Clammers Association, 453 U.S. 1, 22-23 (1981); FINDLEY/

FARBER (1992) pp. 96-97; YANNACONE et al. (1988) p. 73; HILL (1987); BUCHELE (1986) pp. 635 ss; FARBER (1984) pp. 519 ss.

186 YANNACONE et al. (1988) pp. 74 ss.

CHAPITRE 2

LA QUALITÉ POUR AGIR

I.ENSUISSE

A. Historique

72. Dans la conception traditionnelle de la qualité pour agir, celle-ci est liée à la défense d'un intérêt juridiquement protégé. Cette concep-tion prévaut toujours en ce qui concerne le recours de droit public, c'est-à-dire en matière constitutionnelle187.

73. Pour ce qui est du contentieux administratif, la qualité pour agir a été libéralisée de deux manières dès la fin des années soixante.

D'une part, la révision de l'OJF, en 1968, a consacré 1 'abandon dans la juridiction administrative fédérale de 1 'exigence de 1 'intérêt juridique-ment protégé au profit de celle d'un intérêt digne de protection qui peut être un simple intérêt de fait188D'autre part, un certain nombre de dis-positions spéciales ont conféré un droit de recours propre à différentes associations à but idéal. La plus ancienne, l'art. 12 LPN, date de 1966189

Elle est restée isolée, en droit fédéral, jusqu'en 1983, qui a vu 1 'adop-tion de l'art. 55 LPE. Votée en 1985, la loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre (LCPR) a également prévu, à son art. 14 al. 1let. b, un droit de recours d'organisations spé-cialisées.

74. Ces dernières années, cependant, le droit de recours des or-ganisations écologistes a fait l'objet d'une offensive en règle. En 1992, une motion signée par soixante-deux Conseillers nationaux demandait sa suppression du droit fédéral au profit de l'institution, dans chaque canton, de commissions consultatives de 1' environnement, de la nature,

!87 Inji·a no 104.

188 FF 1965 II 1136.

189 Sur la genèse de cette disposition, voir RIVA (1980) pp. 46 ss.

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISATIONS ÉCOLOGISTES

du paysage et de l'aménagement du territoire190. Lors de la récente ré-vision de la LPN, le Conseil national a adopté, en premier débat, une proposition visant à confier dans une large mesure aux cantons le soin de désigner les organisations habilitées à recourir et, surtout, une dispo-sition supprimant tout droit de recours contre les décisions portant sur des projets d'utilité publique191. Les organisations écologistes réagirent très vigoureusement, en plaidant l'usage modéré et justifié qu'elles fai-saient de leur droit de recours et menaçant de lancer un référendum contre la nouvelle LPN192. Le Conseil des Etats n'a cependant pas suivi les propositions de la Chambre du peuple et celle-ci n'a pas insisté sur ces points193. Le droit de recours des organisations écologistes institué par la LPN a, en définitive, été préservé dans sa substance194.

B. Le recours administratif et le recours de droit administratif

1) Le principe général

75. Les conditions générales de la qualité pour agir sont définies de façon identique pour le recours de droit administratif et pour le recours administratif respectivement aux art. 103 let. a OJF et 48 let. a LP A. En vertu de ces dispositions, un administré a qualité pour recourir s'il est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

En pratique, ces deux exigences se confondent195. La première est incluse dans les conditions d'existence de la seconde qui a d'ailleurs seule fait 1' objet de développements jurisprudentiels.

190 Motion Epiney du 29 janvier 1992, BO/CN 1993 2111 ss.

I 91 BO/CN 1993 2065 ss.

192 Voir, par exemple, Protection de la Nature 1194 pp. 14 ss; Heimatschutz 1194 pp. 19 ss et 1/92 passim; BADILATTI (1992).

193 BO/CE 1994 203 ss; BO/CN 1994 1119 ss.

194 Sur les quelques restrictions qui ont été introduites, cf. infra nos 88 ss et 101.

195 TRÜEB (1990a) p. 163; GRISEL (1984) p. 898; MACHERET (1975) p. 161.

LA QUALITÉ POUR AGIR

2) L'intérêt digne de protection

76. L'intérêt digne de protection doit être personnel 196. Cela im-plique que le recourant soit touché plus que quiconque ou que la géné-ralité des administrés 197. Il doit avoir un intérêt, étroitement lié à l'objet du litige, à ce que la décision attaquée soit annulée ou modifiée 198. Il faut qu'il soit en quelque sorte dans un rapport spécial digne d'attention avec l'objet du litige (besondere, beachtenswerte, nahe Beziehung)199

Cette exigence est destinée à exclure 1' action populaire; elle est particu-lièrement importante lorsque le recourant n'est pas le destinataire direct de la décision, mais un tiers200. Le recourant doit être touché directe-ment201; il ne suffit pas que 1 'issue de la procédure puisse influencer de quelque lointaine façon sa sphère d'intérêts202 .

77. En revanche, peut être digne de protection non seulement un intérêt juridique, mais aussi un simple intérêt de fait, de nature écono-mique, matérielle, idéale ou autre203 . Il n'est pas nécessaire que cet in-térêt coïncide avec celui que la norme prétendument violée vise à proté-ger204. En d'autres termes, le recourant n'a pas besoin de se trouver dans la sphère de protection (Schutzrichtung) de la norme invoquée205.

Un voisin peut ainsi attaquer un projet de construction alors même que ce dernier est en tous points conforme aux dispositions destinées à

196 ATF 114 lb 200,202, Bertinat.

197 ATF 121 II 176, 177,Leisinger-Bolleter; 121 II 171, 174,D. etH.; 121 II39,43, Association pour la sauvegarde de Corsier et environs; 120 lb 59, 62, Komitee für eine Umweltgerechte Bahn 2000; 119 lb 179,184, A.

198 ATF 120 lb 48, 51, Bundesamtfür Raumplanung; 120 lb 59, 62, Komiteefür eine Umweltgerechte Bahn 2000; 119 lb 179, 183-184, A.

199 ATF 121 II 176, 177,Leisinger-Bolleter; 121 II39,43,Associationpourlasau-vegarde de Corsier et environs; 120 lb 48, 51, Bundesamt für Raumplanung;

120 lb 59, 62, Komiteefiïr eine Umweltgerechte Bahn 2000; 119 lb 179, 184, A.

200 ATF 121 II 176, 178,Leisinger-Bolleter; 121 II 171, 174,D. etH.; 120Ib48,51, Bundesamt für Raumplanung; 119 lb 179, 184, A.

201 ATF 120 lb 48, 51, Bundesamtfiïr Raumplanung; 119 lb 179, 184, A.

202 ATF 113 la 426, 432, Quartierverein Rotmonten.

203 ATF 121 II 176, 177,Leisinger-Bolleter; 121 II 171, 174, D. etH.; 120 lb 48, 51, Bundesamt für Raumplanung; 119 lb 179, 184, A.

204 Id.

205 ATF 113 lb 363, 366, Zentralverband Schweizerischer Milchproduzenten.

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISATIONS ÉCOLOGISTES

protéger le voisinage, en se fondant sur le droit forestier ou sur le droit de la protection des eaux206. Dans ces conditions, le recourant joue par-fois le rôle d'un défenseur privé de 1 'intérêt public. Cette forme de pro-motion de 1' intérêt public reste toutefois aléatoire, puisqu'elle dépend de l'existence d'un recourant touché dans un intérêt digne de protection et prêt à invoquer les normes d'intérêt public théoriquement enjeu207 .

78. La question de la nature de l'intérêt digne de protection n'a pas posé de problème spécialement difficile dans le domaine de la pro-tection de 1 'environnement. Tout au plus le Tribunal fédéral a-t-il pré-cisé qu'un intérêt purement idéal à l'application du droit fédéral de l'amé-nagement du territoire pour un endroit déterminé, en raison d'une attache particulière avec cet endroit, ne suffit pas208. Il a ainsi rappelé que 1' at-teinte ne peut être purement subjective, d'ordre affectif209 .

79. Les choses sont beaucoup plus complexes en ce qui concerne 1' exigence de spécialité de 1' atteinte. Le Tribunal fédéral a reconnu, avec Gygi210, qu'il n'existe pas de limite logique d'ordre conceptuel, mais seulement une délimitation pratique et raisonnable, qui doit se déterminer de façon particulière pour chaque domaine juridique et qui laisse subsister des «cas-limites» ouvrant au juge une marge d'appré-ciation211. En matière de protection de 1' environnement, il a posé comme principe que la qualité pour agir pouvait être largement reconnue lors-que les effets d'un ouvrage sont clairement discernables en tant lors-que tels et peuvent être déterminés sans expertises coûteuses et distingués des immissions générales212 . Pour des installations provoquant des immissions dans de vastes zones, le cas échéant densément peuplées, la

206 ATF 111 lb 159, 160, G. Pour une critique de cette jurisprudence, cf. KNAPP

(1991) no 1983. Le Tribunal fédéral exige toutefois, en matière de routes et de chemins de fer, que les griefs se rapportent à l'atteinte subie, en ce sens que seul pourra être contesté le tronçon situé dans le secteur du recourant, ATF 120 lb 59, 62 ss, Kami tee fiïr eine umwe/tgerechte Balm 2000; 118 lb 206, 214-215, P.

207 RIVA (1980) p. 33.

208 ATF 111 lb 159, 160, G.

209 MATTER (1986), ad art. 54, no 10.

210 GYGI (1986) p. Il.

211 ATF 113 lb 363, 367, Zentralverband Schweizerischer Milchproduzenten; 112 lb 154, I59,Xund Y.

2!2 ATF 119 lb 179, 184, A.; 112 lb 154, !59, X. Cf. GADOLA (1993) p. 93.

LA QUALITÉ POUR AGIR

qualité pour agir peut ainsi être reconnue à de nombreuses personnes, sans que l'on puisse parler d'action populaire213

80. Déterminer la spécialité de l'atteinte reste problématique à un triple point de vue. Premièrement, 1 'effet des décisions prises en droit de l'aménagement du territoire et de 1 'environnement s'inscrit dans un espace concret d'autant plus difficile à délimiter que cet effet est impor-tant. Il n'est donc plus possible de définir a priori un cercle restreint de personnes qui apparaissent clairement comme davantage touchées que la généralité des administrés. La jurisprudence a bien dû admettre que tous les habitants d'un périmètre donné pouvaient être atteints dans un intérêt digne de protection par la réalisation d'ouvrages comportant cer-tains types de nuisances ou, même en 1' absence de nuisances régulières, de dangers particuliers214Mais le problème est alors reporté sur la dé-finition du périmètre en question. Celle-ci comporte un jugement de valeur sur 1 'intensité de 1 'immission à une certaine distance de la source et donc une part d'arbitraire215. Il a en outre été justement relevé que plus une installation est dangereuse ou plus elle est polluante (et donc plus large est la diffusion de ses émissions), plus des intéressés poten-tiels sont exclus de la qualité pour agir par la volonté d'éviter l'action populaire216Une installation capable de polluer ou de mettre en danger une très vaste région de manière massive, mais relativement égale, ne pourrait faire 1 'objet d'aucun recours, personne ne pouvant prétendre être touché plus que tout un chacun217Une deuxième difficulté tient à la prise en compte des effets indirects de projets contestés, pour les-quels s'ajoute à l'évaluation de l'intensité des atteintes la détermination d'une chaîne de causalité adéquate. La jurisprudence reste hésitante sur

21 3 ATF 121 II 176, 178, Leisinger-Bolleter; 120 lb 379, 387, Bas/er Appel! gegen Gentechnologie.

214 ATF 121 II 176, 178-179, Leisinger-Bolleter; 120 lb 379, 388, Bas/er Appel!

gegen Gentechnologie; 120 lb 431, 434, S.; DEP 1991 23, 30 ss (Baurekurs-kommission BS); DEP 1989 75, 76 (Tribunal administratif VS); ZB11987 81, 83 (Obergericht SH); JAAC 42/96, 429 ss; MATTER (1986), ad art. 54, no 11.

21 5 Le Tribunal fédéral admet ainsi la qualité pour agir du voisin lorsque son terrain jouxte celui du constructeur ou se trouve à sa proximité immédiate, ce qui est encore le cas, au vu des nuisances sonores que peut produire l'exploitation d'un hôtel, à des distances de 110 rn et 150 rn, ATF 121 II 171, 174 ss, D. etH., et la jurisprudence citée.

216 TRÜEB (1990a) pp. 176-177.

217 Cf. ATF 121 II 176, 179, Leisinger-Bolleter; 120 lb 379, 388, Bas/er Appel!

gegen Gentechnologie; 120 lb 431, 434, S.

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISATIONS ÉCOLOGISTES

ce point218Le recours à la notion de «problème politique de portée générale»219 ne lui est d'aucun secours: le droit de l'environnement n'est pas destiné à régler des rapports de voisinage, mais à protéger l'envi-ronnement dans son ensemble; les litiges qu'il engendre se rapportent donc toujours peu ou prou à des problèmes politiques de portée géné-rale. Le troisième casse-tête de la définition de l'intérêt spécial concerne le type de lien qui doit exister entre 1 'objet du litige et le recourant.

Traditionnellement, la jurisprudence en matière de construction, puis d'aménagement du territoire et enfin d'environnement a adopté une vi-sion statique de ce lien: il a d'abord été reconnu dans le fait de posséder un fonds dans la zone prise en considération, puis d'y habiter, fût-ce comme simple locataire, voire d'y travailler220. Mais, dans le domaine de la circulation routière, le Conseil fédéral a allègrement admis que 1 'usage régulier de 1' espace pouvait aussi donner naissance à un intérêt digne de protection221. Une transposition de ce principe dans le droit de l'environnement ouvre des perspectives: clients, élèves, touristes, ran-donneurs, pratiquants de loisirs, etc., pourraient se voir légitimés à re-courir contre des décisions relatives à un espace donné, dans la mesure où ils rendent vraisemblable qu'ils l'utilisent régulièrement. Une telle évolution serait surtout sensible dans les régions peu habitées et dans celles où les intérêts des habitants s'opposent à ceux des autres usagers.

218 Comparer les ATF 112 lb 154, X et 113 lb 225, Hostettler où le Tribunal a traité de façon différente des personnes qui se plaignaient, dans les deux cas, des nui-sances d'un surcroît de trafic provoqué par la création d'une installation distante d'environ 1 km. Pour sa part, le Conseil fédéral a admis sans autre la qualité pour

218 Comparer les ATF 112 lb 154, X et 113 lb 225, Hostettler où le Tribunal a traité de façon différente des personnes qui se plaignaient, dans les deux cas, des nui-sances d'un surcroît de trafic provoqué par la création d'une installation distante d'environ 1 km. Pour sa part, le Conseil fédéral a admis sans autre la qualité pour