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1) Le critère de la zone des intérêts protégés

133. Pendant longtemps, lorsque la Cour suprême tentait de résu-mer sa jurisprudence en matière de qualité pour agir, elle indiquait ri-tuellement que cette qualité ne dépendait pas seulement des exigences

397 Cart v. Ash, 422 U.S. 66 (1975). DAVIS/PIERCE (1994), vol. 3, pp. 190 ss, mon-trent que les critères posés dans cet arrêt constituent une répudiation de la juris-prudence antérieure plus libérale. Ils notent que l'application de ces critères n'a pas toujours été cohérente. Dans le même sens, BRUNER (1983) passim.

398 BEERS (1986) p. 80; pour un cas où les demandeurs se sont vu dénier le droit d'action, voir California v. Sierra Club, 451 U.S. 287 (1981).

399 Voir, par exemple, Middlesex County Sewerage Authority v. National Sea Clammers Association, 453 U.S. 1 (1981).

LA QUALITÉ POUR AGIR

déduites de 1 'art. III de la Constitution, mais également de critères ju-risprudentiels400, c'est-à-dire façonnés par la Cour elle-même. Parmi ceux -ci, la Cour a mentionné 1' exigence que 1' intérêt dont le demandeur réclame la protection se trouve, de façon soutenable, dans la zone des intérêts protégés ou réglementés par la loi ou la garantie constitution-nelle en question401 . En fait, la Cour a, pour 1' essentiel, appliqué ce critère à des cas fondés sur la section 702 de l'APA402. Elle n'a, au demeurant, pas fait preuve d'une grande constance dans la prise en con-sidération de la zone des intérêts protégés, renonçant dans de nombreux cas à 1 'évocation même du problème403 , au point que le professeur Davis s'est, à une époque, demandé si ce critère n'avait pas été abandonné404.

134. La Cour a précisé en 1987, dans 1 'arrêt Clarke v. Securities Industry Association, la portée de 1' exigence relative à la zone des inté-rêts protégés. Elle a indiqué que cette exigence n'est pas très élevée et qu'en particulier il n'est pas nécessaire de démontrer une volonté du Congrès de conférer un avantage au demandeur4°5. Le critère de la zone des intérêts doit être compris comme une sorte de précision (glass) ap-portée à la section 702 de 1 'APA 406. Le droit au contrôle judiciaire ne

400 Allen v. Wright, 468 U.S. 737,751 (1984); Valley Forge, 454 U.S. 464,474-475 ( 1982). Il convient toutefois de noter que dans ses arrêts les plus récents sur la qualité pour agir, la Cour suprême n'a plus fait allusion à ces critères jurispru-dentiels, cf. U.S. v. Hays, 115 S.Ct. 2431, 2435 (1995); Northeastern Fl01·ida Contractors v. Jacksonville, 113 S.Ct. 2297, 2302 (1993); Lujan v. Defenders of Wildlzfe, 112 S.Ct. 2130, 2136 (1992).

40! Allen v. Wright, 468 U.S. 737, 751 (1984); Valley Forge, 454 U.S. 464, 475 (1982); Data Processing, 397 U.S. 150, 153 (1970); Barlow v. Collins, 397 U.S.

159, 164 ss (1970).

402 Clarke v. Securities Industries Association (ci-après Clarke), 479 U.S. 388, 400, note 16 (1987). JUNE (1994), p. 780, considère, en se basant sur cet arrêt, que le critère de la zone des intérêts protégés ne vaut que dans le cadre de 1' application de l' APA. DA VIS/PIERCE ( 1994), vol. 3, pp. 10 ss et 53, le traitent manifestement comme un critère plus général. DansLujan v. NWF, 497 U.S. 871, 883 (1990), la Cour suprême se réfère à ce critère comme résultant de 1 'interprétation de 1 'APA.

Voir aussi, dans le même sens, Director, Office of Worker's Compensation Programs, Department of Labor v. Newport News Shipbuilding and Dry Dock Company, 115 S.Ct. 1278, 1283 (1995).

403 Voir Control Data Corp. v. Baldrige, 655 F.2d 283,291 (D.C. Cir. 1981).

404 DAVIS (1978), vol. 4, p. 277.

405 Clarke, 479 U.S. 388, 399-400 (1987).

406 Id.

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISATIONS ÉCOLOGISTES

doit être dénié que si les intérêts du demandeur sont si marginalement liés ou si incompatibles avec les buts implicites de la loi qu'on ne peut raisonnablement croire que le Congrès a entendu permettre l'actionju-diciaire en cause407.

135. Un exemple tiré de la jurisprudence de la cour d'appel du district de Columbia montre à quel point le critère de la «zone des inté-rêts protégés» en droit américain est infiniment plus laxiste que celui de la «sphère de protection» utilisé en Suisse pour le recours de droit pu-blic. Différentes organisations soucieuses de développer une attitude ouverte des entreprises américaines, notamment envers les problèmes d'environnement, avaient attaqué le refus de la commission de sur-veillance des marchés boursiers d'édicter un règlement obligeant les sociétés à rendre publiques leurs pratiques en la matière. La cour d'ap-pel a considéré que lesdites associations ou leurs membres, qui possé-daient des actions d'entreprises, se trouvaient, en tant qu'actionnaires soucieux de protection de 1 'environnement, dans la large zone des inté-rêts protégés par le NEP A 408.

136. On peut remarquer que le critère développé ici recoupe, sous une forme sensiblement atténuée, 1 'une des conditions posées par la ju-risprudence pour la reconnaissance d'un droit implicite d'action pri-vée409. Cela montre, encore une fois, qu'en droit américain la frontière de la problématique de la qualité pour agir est des plus floue4 10.

2) Les griefs de caractère général

13 7. La Cour suprême a fait figurer un temps, parmi ses principes jurisprudentiels, son refus de trancher de questions abstraites de vaste portée qui s'apparentent à des griefs de caractère général, largement

407 Id. p. 379. Voir aussi DAVIS/PIERCE (1994), vol. 3, pp. 57 ss; REBBE (1988);

BLUMENFELD (1988).

408 NRDC v. Security Exchange Commission (SEC), 606 F.2d 1031 (D.C. Cir. 1979).

Toutefois, la même cour d'appel a parfois appliqué le critère de la zone des inté-rêts protégés de façon plus stricte, cf. Hazardous Waste Treatment Council v. EPA, 861 F.2d 277,280 ss (D.C. Cir. 1988);Animal Legal Defense Fund, /ne. v. Espy, 23 F.3d 496, 502 ss (D.C. Cir. 1994).

409 Supra no 132; cf. JUNE (1994) p. 777, note 86.

410 Voir l'opinion dissidente du juge Brennan dans Data Processing, 397 U.S. 150, 178 (1970).

LA QUALITE POUR AGIR

partagés, et qui sont pris en considération de la manière la plus appro-priée par les branches représentatives du Gouvemement411 . La Cour sem-blait ainsi considérer que le fait de ne faire valoir qu'une doléance toute générale se heurtait à une limite infraconstitutionnelle de la qualité pour agir412.

138. Dans 1 'arrêtLujan v. Defenders ofWildlife, la Cour a toute-fois clairement rattaché la problématique des griefs de caractère géné-ral aux exigences tirées de 1 'article III de la Constitution413 . Ce critère nous paraît donc aujourd'hui abandonné en tant qu'exigence jurispru-dentielle indépendante414.

3) L'invocation des droits des tiers

139. Le troisième principe jurisprudentiel rappelé par la Cour su-prême veut que le demandeur invoque, en règle générale, ses propres droits et intérêts et non ceux de tiers415 . Ce principe n'est pas absolu et semble, en pratique, s'appliquer avant tout aux actions pour violation des droits constitutionnels416. En effet, la Cour a reconnu que cette rè-gle peut être écartée par le législateur417, en ce sens que les personnes auxquelles le Congrès a conféré un droit d'action peuvent avoir la qualité

411 Allen v. Wright, 468 U.S. 737, 750 (1984); Valley Forge, 454 U.S. 464, 474-475 (1982); Warth v. Seldin, 422 U.S. 490, 499-500 (1975).

412 ALPERT(l988),pp. 307 ss,amontrél'oppositionentreWarthv. Seldin,422U.S.

490, 499-500 ( 1975), où le juge Powell considérait la règle concernant les griefs généraux comme intimement liée aux préoccupations de l'art. Ill, mais néan-moins de nature jurisprudentielle, et United States v. Richardson, 418 U.S. 166, 217 (1973), où le Chief Justice Burger semblait estimer que celui qui ne soulève qu'un grief général se voit refuser la qualité pour agir pour des motifs constitu-tionnels. Au demeurant, on peut légitimement penser que Warth v. Seldin recèle une contradiction interne, dans la mesure où il y est rappelé que 1' atteinte de fait requise par 1 'art. III doit être distincte, ce qui devrait logiquement exclure les griefs généraux à ce niveau déjà.

413 Lujan v. Defenders ofWildlife, 112 S.Ct. 2130,2143 (1992);JUNE (1994) p. 770.

414 Voir aussi U.S. v. Hays, 115 S.Ct. 2431, 2435 (1995).

415 Allen v. Wright, 468 U.S. 73 7, 751 (1984); Valley Forge, 454 U.S. 464, 474 (1982); Warth v. Seldin, 422 U.S. 490, 499 (1975).

416 Voir, par exemple, les cas exposés dans BA TOR et al. (1988) pp. 166 ss.

417 Gladstone, Rea/tors v. Village ofBellwood, 441 U.S. 91, 103, note 9 (1979).

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pour agir sur la base des droits et intérêts de tiers et invoquer 1 'intérêt public à 1 'appui de leur demande418 .

140. Dans 1 'arrêt Sierra Club v. Morton, qui concernait une action intentée sur la base de la section 702 de 1 'AP A, la Cour a expressément indiqué qu'une fois que sa qualité pour agir était donnée, de par 1' exis-tence d'une atteinte de fait, une partie pouvait invoquer les intérêts du public en général à l'appui de sa demande419 . Comme les actions inten-tées par des organisations écologistes reposent la plupart du temps sur une disposition légale spéciale ou, à défaut, sur 1' AP A, la limite de prin-cipe posée à 1 'invocation des droits de tiers ne les touche guère.