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Les difficultés de l'approche comparative

6. Les Etats-Unis ont vu, comme la Suisse, l'émergence d'un mouvement écologiste bien structuré, prêt à utiliser les instruments ju-ridiques qui, dans les deux pays, ont été mis à sa disposition, progressi-vement, depuis environ une trentaine d'années3. Ce trait commun n'est certainement pas le fruit du hasard, s'agissant de pays qui, au-delà de différences d'échelle et de géographie évidentes, présentent un degré de développement économique comparable, marqué par un niveau de vie élevé, une forte motorisation et une pression sur les espaces naturels provenant non seulement de l'industrie et de l'agriculture, mais aussi des besoins de déplacements et de loisirs d'une population aisée. Sur ce plan, 1' approche comparative apparaît tout à fait justifiée.

2 Voir le récent débat parlementaire sur la révision de la LPN, cf. infra no 74.

Les Etats-Unis et la Suisse sont d'ailleurs considérés comme les exemples les plus connus de pays ayant ouvert la voie aux recours d'organisations écologistes dans l'intérêt public, cf. FÜHR et al. (1995) p. 81.

INTRODUCTION

7. Certes, toute tentative de comparaison entre le droit améri-cain et un droit européen continental doit tenir compte des profondes différences conceptuelles qui les séparent. La tradition de la common law s'oppose à la tradition du droit écrit. Les Américains ne distinguent pas de la même façon que nous droit privé et droit public et n'ont qu'une unique action «civile» (c'est-à-dire non criminelle), alors que les Euro-péens continentaux séparent généralement procédure administrative et procédure civilé. Enfin, là où les Européens ont mis sur pied une admi-nistration pyramidale et hiérachisée, accompagnée d'une relative con-fiance populaire dans les organes gouvernementaux, les Américains, mus par une profonde méfiance envers le gouvernement, ont préféré un système beaucoup plus ouvert et conflictuel dans lequel les tribunaux jouent un rôle fondamental5.

8. Ces différences ne doivent cependant pas être surestimées.

Premièrement, comme l'a montré Mauro Cappelletti, l'élargissement de la qualité pour agir des organisations écologistes, comme celle d'ailleurs d'autres associations poursuivant un but d'intérêt public, est une réponse à un besoin généralisé de la société moderne6. De nou-veaux droits et intérêts- sociaux, collectifs ou «diffus»- ont émergé, qui ne peuvent être protégés que par de nouveaux remèdes et procédu-res juridiques 7. Cette tendance apparaît dans la plupart des pays ayant atteint le même stade de développement économique et culturel8. Elle transcende donc visiblement les frontières et les traditions juridiques que celles-ci renferment. Une des réponses à cette évolution réside dans une politique des voies de droit, dont les éléments et les fondations ont bien plus à voir avec les situations concrètes auquelles les citoyens et l'Etat sont confrontés qu'avec les traditions juridiques nationales9.

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SHAPIRO (1988) pp. 36 ss.

Cf. LANGER (1988) p. 280; DWYER (1987) p. 809.

CAPPELLETTI (1979) p. 517. Plus dubitatif à cet égard, au vu de l'exemple alle-mand, GREVE ( 1989) p. 200.

CAPPELLETTI (1979), pp. 520 ss.

Id. pp. 516-517. Sur l'exception allemande, cf. GREVE (1989) pp. 201 ss.

GREVE (1989), pp. 220 ss, expose cependant brillament les liens entre le rejet par l'Allemagne fédérale des actions judiciaires dans l'intérêt public et les tradi-tions juridiques et politiques de ce pays. L'attitude plus ouverte de la Suisse face à l'élargissement de la qualité pour agir, malgré la forte influence qu'y exerce la doctrine juridique germanique, en est d'autant plus intéressante à étudier.

LES VOIES DE DROIT DES ORGANISATIONS ÉCOLOGISTES

9. Deuxièmement, la place de la common law en droit améri-cain de l'environnement n'est plus aujourd'hui centrale. En effet, avec 1 'adoption, depuis environ trente ans, d'un ensemble de grandes lois fédérales, tout un système régulateur a été mis en place, dont la struc-ture est finalement assez proche du droit administratif des pays de civil law10Le droit écrit fixe les conditions dans lesquelles l'administration édicte les normes (standards)11 applicables aux activités affectant la qualité de 1 'environnement et accorde les permis requis pour de telles entreprises12Il définit aussi les procédures et par là même, dans une large mesure, les droits de participation des citoyens13C'est surtout au niveau des Etats que la common law joue encore un rôle, à côté du droit édicté par les autorités étatiques 14, au travers des actions en cessation de trouble ou en dommages-intérêts que les victimes de pollutions peu-vent intenter contre les auteurs de celles-ci 15.

1 O. Enfin, il convient de ramener à de justes proportions le cliché selon lequel le citoyen européen, content de son rôle d'électeur, fait pour le reste confiance à son gouvernement et est dénué de la combati-vité et du goût de la procédure qui caractérisent son homologue améri-cain. D'une manière générale cette vision est de moins en moins exacte.

Dans les pays les plus imprégnés de l'idéologie représentative, une par-ticipation directe des citoyens aux décisions concrètes est revendiql}ée.

Cette revendication est encore plus marquée en Suisse, qui partage avec une moitié des Etats américains une tradition de démocratie directe16.

Les citoyens suisses sont donc habitués à ne pas attendre les prochaines élections pour intervenir sur les questions concrètes qui les préoccu-pent. Aujourd'hui, une très large part de ces questions relève de la pro-tection de l'environnement et de l'aménagement du territoire17

IO l'environnement, cf. infi"a no 71.

Voir, par exemple, CAA, 42 U.S.C. §§ 7409, 7411, 7473, et CWA, 33 U.S.C.

Sur la démocratie directe dans les Etats américains, voir AUER (1989).

TANQUEREL (1988) p. 47.

INTRODUCTION

11. En définitive, en matière de droit de l'environnement, la Suisse et les Etats-Unis apparaissent suffisamment différents pour que la com-paraison de leurs systèmes soit source de distance critique envers des conceptions trop facilement acceptées comme évidentes, mais aussi suf-fisamment semblables, notamment en ce qui concerne les problèmes de protection de 1' environnement, pour que les leçons tirées de 1 'étude d'un modèle servent utilement 1 'analyse de 1 'autre.