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Rouge feu et blanc nuage

2.3. Maladies « froides »

2.3.2. Problèmes digestifs

Illustration 22 : tronc d'Anacardium occidentale, dans un village ndjuka du bas-Maroni, présentant de nombreuses traces de prélèvements d'écorce. M-A Tareau.

Cent trois espèces botaniques ont été mentionnées pour le soin des pathologies (quelque soit leur niveau de gravité) en rapport avec la sphère digestive (ICF = (283-103) / (283-1) = 0,64). Les maux de ventre (krg : malvant, malbouden ; ndk : bele pen) constituent le trouble le plus souvent indiqué180 ; ils totalisent 67 occurrences sur un total de 283

180 De nombreuses études dans le monde ont également montré qu’il s’agissait d’un domaine nosologique prééminent dans le soin par les plantes (Bruschi et al., 2011 ; de Medeiros et al., 2015 ; Heinrich et al., 1998 ; Rehecho et al., 2011 ; Teklehaymanot et Giday, 2007 ; Weckerle et al., 2009).

enregistrées dans cette catégorie. Ces troubles digestifs surviennent généralement après un repas trop chargé (krg : gwo manjé), trop « chaud », et qui fait « bouillir le ventre ». Les plantes les plus indiquées contre ce malvant sont les feuilles d’Annona squamosa (krg : ponm kannel, krh : piyong ; 10 URs181), de Cymbopogon citratus (krg : sitronnel ; 9 URs) et les parties aériennes de Lippia alba (krg : milis ; 5 URs) qui rentrent toutes trois dans la composition d’une tisane digestive très populaire chez les Créoles (krg : dité

dégonflé). D’ailleurs, de nombreuses plantes sont également employées en prévention,

pour aider la digestion, améliorer le transit et prévenir d’éventuels troubles de ce type. Hormis le malvant déjà évoqué chez les Créoles, des complications plus ou moins graves peuvent survenir à la suite d’un repas trop lourd. Lorsque de l’air se bloque dans le corps par exemple, on peut alors souffrir d’avoir des « gaz » ou des « vents » (krg : van ; 53 URs). Cette sensation douloureuse et désagréable se traduit par des ballonnements et par des flatulences incessantes qui peut aller jusqu’à « déplacer des organes » et rendre malade par leur caractère « froid ». Il est donc urgent de faire sortir ces van par l’absorption de tisanes à base de plantes « chauffantes » (Cinnamomum verum, Eupatorium ayapana,

Illicium verum, Plectranthus amboinicus, Zingiber officinale) afin d’« enlever le froid dans

le ventre ». Mais certaines espèces sont également spécialisées dans le traitement de ces troubles (comme semblent l’indiquer d’ailleurs certaines appellations vernaculaires créoles : radyé pété (Centropogon cornutus), dégonflé (Alpinia zerumbet). L’infusion de patchouli vrai (Pogostemon hymenaeus) est, selon les dires des Saint-Luciens chez qui la plante semble particulièrement populaire182 (tableau 9) et de quelques habitants Créoles guyanais âgés, un remède souverain contre les gaz, à l’instar des pelures d’ail (lapo lay, krg ; 15 URs). Ces « gaz » peuvent survenir à la suite d’un repas trop chargé mais peuvent également faire suite à une « imprudence » ayant causée l’introduction de van dans l’intérieur du corps ou suite à un accouchement lorsque la femme n’a pas suivi les gestes adéquats et ne s’est donc pas totalement « vidée ». On dit d’une personne atteinte de « gaz » qu’elle est « gonflée » et qu’il faut donc la faire « dégonfler » ou « déballonner », pour la « dégager » de ces vents :

« Lò to gen van, to gonflé, to ka santi to balonné, fo to bouyi lapo lay ké gro

mant ké sagou ké mil épis. Sa ka tiré van yan, to ka déglonfé [Quand tu as des van, que tu es gonflée, que tu te sens balonnée, il faut bouillir de la peau d’ail

181 A la fin du 19ème siècle, Duss et Heckel (1897) notent déjà aux Antilles que l’on « fait avec les feuilles des tisanes contre les dérangements du ventre ».

182 C’est également ce que semble suggérer l’ethnographe Stroebel, lors d’une visite du jardin médicinal d’une habitante sainte-lucienne de Saül : « je repars heureuse avec de la mélisse des carmes, du gwo konsoud et du patchouli, bien sûr… » (Stroebel, 1999 ; p. 317).

avec de la grosse menthe (Plectranthus amboinicus), du sagou183 (Maranta

arundinacea) et du mil épis (Alpinia zerumbet). Ça enlève les van, tu

dégonfles]. » Femme d’origine créole guyanaise, 82 ans, Sinnamary.

La fièvre, les vers ou encore une indigestion sont des états « chauds » qui font « bouillir le ventre » (et se liquéfier les selles) provoquant l’apparition de diarrhées (44 URs ; krg :

kakarel, lachyas ; kra : djidjit ; ndk : siki a bee) qui se soignent par l’absorption de tisanes

à base de plantes astringentes. Les espèces les plus indiquées comme anti-diarrhéiques sont le goyavier (Psidium guajava ; 17/44 URs ; dont on utilise essentiellement les bourgeons, en infusion, sous forme de looch ou même mâchés) et l’anacardier (7 URs ; dont on utilise plutôt l’écorce en décoction bue et plus rarement en bain de siège, et dont les prélèvements courants donnent à voir des troncs « sculptés » - cf. « encart 9 » - dans les villages : illustration 22).

En cas de constipation (9 URs ; ndk : bee dee), ce sont globalement des espèces laxatives qui sont choisies en fonction de l’intensité qui est recherchée. Le jus de tamarin184 et les autres Fabacées utilisées dans les purges (Senna occidentalis, Senna alexandrina) sont considérées comme très fortes (« ça t’envoie à la selle »), tout comme certaines Euphorbiacées (à l’instar de Ricinus communis et Jatropha curcas, notamment) suivies de plantes aux effets plus doux comme l’Aloe vera, la banane, les pruneaux ou encore la feuille d’argent185 (Ocotea guianensis). Chez les Ndjuka la constipation est considérée comme une maladie « froide » (bee dee, littéralement « ventre sec ») et un tissu chaud est appliqué en compresse sur le ventre de la personne malade (ndk : dampu*), pratique évoquée également par certains Créoles :

« To ka pilé féy sak darjan, to ka pasé’l annan roun lenj blanng é to ka pran

roun ti kuyèr. Apré to pouvé maré baba tou cho asou vant ti moun an osi [Tu

piles des feuilles d’argent (Ocotea guianensis), tu filtres le jus dans un linge propre et tu en consommes une petite cuillère. Ensuite, tu peux aussi

183 Terme sans doute d’origine asiatique puisqu’il désigne généralement la fécule tirée du stipe du sagoutier (Metroxylon sagu).

184 Qui est en vérité, malgré son appellation populaire, une décoction réfrigérée de la pulpe des gousses de tamarin.

185 Appelée également « sac d’argent » (krg, sak darjan), bien que ce nom semble désuet. Deux octogénaires l’ont ainsi nommé, m’expliquant que lorsqu’on en ramassait des sacs de feuilles pour préparer des bains, « ça ressemblait à un sac plein d’argent » du fait de la couleur argentée des feuilles.

appliquer le broyat en cataplasme chaud sur le ventre de l’enfant]. » Femme d’origine créole guyanaise, 80 ans, Roura.

« Si le bébé est constipé, tu peux masser son anus avec des feuilles de radyé

krapo [Commelina erecta], ça le débloque ». Femme d’origine créole

guyanaise, 31 ans, Montsinnery-Tonnegrande.

Enfin, les aigreurs (ou brûlures186) d’estomac sont considérées comme le signe d’une

enflamasyon d’estomac et doivent être soignées par des remèdes dépuratifs

rafraîchissants. Cependant, parmi ceux-ci, la consommation exclusive de tisane de l’espèce Justicia pectoralis (kra : zerb charpantyé, krg : kranmanten, ndk : sineki uwii ; 3 URs) sur une période de plusieurs jours semble particulièrement indiqué dans le traitement de ces troubles.

« Avant je souffrais de douleurs aigues au niveau de l’estomac. J’avais des reflux gastriques permanents, je prenais des médicaments. Une dame âgée m’a dit un jour de faire bouillir de grosses poignées de zeb charpantyé et de ne boire que cela durant une semaine. Et bien depuis je suis complètement guéri, je n’ai plus de douleurs et surtout je n’ai plus jamais pris de cachets ! » Homme martiniquais, 44 ans, Rémire-Montjoly.

Tableau 9 : principales espèces (≥ 2 % du total des citations) utilisées pour soigner les troubles digestifs.

Espèces

Familles

URs (total 283)

URs par communauté % des citations Modes d’administration Annona squamosa L. Annonaceae 23 krg : 13 ; slu : slu : 9 ; krh : 1 8,2 infusion / décoction Psidium guajava L. Myrtaceae 23 kra : 4 ; krg : 4 ; brl : 3 ; slu : 3 ; krh : 2 ; mtp : 2 ; ndk : 2 ; dmn : 1 ; plk : 1 ; ska : 1 8,2 infusion / looch / ingestion / jus bu Allium sativum L. Liliaceae 15 krg : 6 ; slu : 4 ; brl : 2 ; kpa : 1 ; kra : 1 ; krh : 1 5,3 décoction / macération / looch / alcoolature Anacardium occidentale L. Anacardiaceae 11 brl : 2 ; slu : 2 ; kpa : 1 ; kra : 1 ; krs : 1 ; mtp :

3,9 décoction / bain décocté

186 Ce qui sous-tend peut-être le caractère sans doute « chaud » qu’elles revêtaient également dans la médecine humorale européenne ancienne ?

1 ; ndk : 1 ; plk : 1 ; ska : 1 Cymbopogon citratus (DC.) Stapf Poaceae 11 krg : 6 ; brl : 1 ; kra : 1 ; krh : 1 ; mtp : 1 ; slu : 1 3,9 infusion / décoction Pogostemon heyneanus Benth. Lamiaceae

10 slu : 8 ; krg : 2 3,5 infusion / décoction

Ocimum spp. Lamiaceae 16 krh : 6 ; krg : 3 ; slu : 3 ; brl : 1 ; kpa : 1 ; ndk : 1 ; ska : 1 infusion / décoction Aristolochia trilobata L. Aristolochiaceae

6 slu : 4 ; kra : 2 2,1 alcoolature / décoction

Alpinia zerumbet (Pers.) B.L. Burtt & R.M. Sm.

Zingiberaceae

6 krg : 3 ; kra : 1 ; ska : 1 ; slu : 1

2,1 infusion / décoction

Lippia alba (Mill.) N.E. Br. ex Britton & P. Wilson

Verbenaceae

6 krg : 4 ; kra : 1 ; slu : 1 2,1 infusion / décoction

Plectranthus amboinicus (Lour.) Spreng. Lamiaceae 6 slu : 3 ; brl : 1 ; krg : 1 ; krh : 1 2,1 infusion / décoction