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Rouge feu et blanc nuage

2.2. Les maladies « chaudes »

2.2.1. Se « rafraîchir », une thérapeutique du « froid »

contre le « chaud » : lenflamasyon et gali

Illustration 17 : feuilles et fleurs de kann kongo (krg) : Costus spiralis. M-A Tareau.

L'importance de « se nettoyer l’intérieur » (krg : netwayaj) est la notion qui se distingue sans doute le plus dans l’ethos médical des habitants du littoral guyanais (475/3683 URs ; 12,9 %). Les personnes enquêtées font part d’un niveau de consensus relativement important concernant les espèces médicinales utilisées dans le traitement de ce type de pathologie (ICF = (475-131) / (475-1) = 0,73). Ce principe-phare de la médecine créole155 (Grenand et al., 2004 ; Vilayleck, 2002) désigne un processus de purification, souvent préventif (la prophylaxie constitue en effet une partie importante de la lutte contre

155 Qui, encore une fois, ne doit pas être réduite simplement à la médecine des Créoles, mais doit être perçue comme un système de soins et de représentations médicales partagés dont les pratiques et les conceptions sont aujourd’hui largement généralisées à l’ensemble des composantes de la population guyanaise (même des groupes ne se définissent pourtant pas comme « Créoles ») qui se les sont à leur tour plus ou moins appropriées.

lenflamasyon puisque cette démarche représente près de la moitié des cas de netwayaj :

45,7 % ; 217/475 URs), durant lequel le patient cherche à retrouver un équilibre symbolique entre le « chaud » (considéré comme « sale ») et le « froid » (considéré comme « propre »). D’autres expressions sont également utilisées comme « se laver le sang156 », « se purifier l’intérieur » (en adéquation, notons-le, avec tous les traitements « détox », très à la mode, et dont la logique thérapeutique répond particulièrement bien à ce besoin culturel localement très marqué de purification corporelle interne) ou encore

« se rafraîchir », cette dernière faisant clairement allusion à la conception humorale qui

vient d’être évoquée.

Dans les médecines créoles guyanaises, en effet, la maladie dont souffre celui qui se « nettoie » (ou qu’il cherche par ce biais à éviter lorsqu’il s’agit de prophylaxie) semble souvent être la résultante d’un « corps sale », et donc excessivement « chaud », souillé par un excès d’alcool, de tabac, de graisses alimentaires ou de sucreries. Cet état pathologique est appelé lenflamasyon chez les Créoles157 et gali chez les Marrons. Les lendemains de fête sont par exemple des moments propices à l’obtention d’un « sang sale » (27 URs) qui se manifeste lui-même par la présence de symptômes très divers (boutons, chaleur corporelle, sudation intense, maux de tête, nausées…) et peut être facteur de complications pathologiques plus graves, d’un état de morbidité plus ou moins avancé, s’il n’est pas « lavé » rapidement. En fait, ces excès poussent le corps à sécréter trop de labil (krg) qui, dans les représentations du corps propres à l’ethnomédecine créole (basée sur une définition humorale de la physiologie humaine), est un liquide jaune et amer produit par le foie qui va se déposer dans le sang, les intestins et le foie, et, en quelque sorte, polluer le corps. La constatation de certains symptômes semble par ailleurs être particulièrement important dans le diagnostic de lenflamasyon, comme une sueur forte et abondante (qui peut devenir, selon un informateur, « grasse et jaune » ; 6 URs), un goût amer dans la bouche158 (4 URs), des yeux jaunis (3 URs), des nausées récurrentes (3 URs) et un état de grande fatigue, quasi-léthargique (2 URs) :

« Lenflamasyon c’est une chaleur qui est coincée dans le corps, qui ne sort pas. Ça te monte à la tête, ça tourne dans ton corps, ça te rend malade. Tu as

156 Ou, plus rarement, la bile, le foie, l’intestin ou l’urine (sic).

157 Parfois aussi, comme l’indique également Benoît (1997), albimin chez les Créoles des Antilles. 158 Qui peut être perçu par le malade lui-même, qui se plaint alors d’avoir « la bouche amère », ou par une personne de son entourage après un éternuement (on parle alors de tousé yeg ; krg). D’après certains Créoles interrogés, « c’est la bile qui remonte dans la bouche ». On notera au passage que la perception d’un goût amer dans la bouche était un signe symptomatique de maladie particulièrement significatif dans la médecine hippocratique (Demont, 2004).

chaud tout le temps, tu es fatigué… Quand ça atteint un stade trop élevé, il faut prendre beaucoup de rafréchi pour traiter ça, ce n’est pas facile… » Homme d’origine créole guyanaise, 52 ans, Cayenne.

Lorsque lenflamasyon ou gali est diagnostiqué, l’absorption de plantes « nettoyantes » (tableau 5), « rafraîchissantes », est alors vivement recommandée (cf. « Rafréchi et purges »). Il s’agit le plus souvent de plantes réputées dépuratives dont la fonction est d’éliminer la « chaleur », la « crasse », contenues dans le corps du malade à travers la recherche d’une sueur et d’une urine abondantes159. Plus rarement, ce sont des remèdes purgatifs, voire vomitifs, qui sont prescrits ; confirmant encore la nécessité vitale d’extraire l’excès d’ « humeurs chaudes », tant par les orifices inférieurs que supérieurs, dans la médecine humorale classique (Lima, 1996). Chez les Créoles, ces qualités (« froides », donc) sont souvent reconnues aux plantes amères, comme cela fut également observé dans les cures « nettoyantes » de Haute-Provence (Chaber, 2018). Parmi les principales espèces « rafraîchissantes » utilisées figurent les espèces amères suivantes : Aloe vera, Aristolochia trilobata, Geissospermum laeve, Leonotis nepetifolia,

Momordica charantia (surtout par les habitants originaires d’Haïti), Phyllanthus amarus, Quassia amara, Solanum leucocarpon, Tinospora crispa. Les plantes acides sont

plebiscitées dans une moindre mesure (Citrus aurantiifolia, Costus spp. - illustration 17 -,

Gossypium barbadense, Manihot esculenta) qui sont principalement administrées sous

forme de macération dans de l’eau (54 URs), dans de l’alcool (29 URs) bains (krg : ben

rafréchi ou ben ladjé ; 24 URs), de tisanes (17 URs), de loochs (16 URs) voire dans

l’alimentation (soupes maigres, salades, bouillons ; 6 URs). Le rafréchi est ensuite régulièrement suivi d’une purge à base d’huile de ricin (Ricinus communis ; 25 URs) et/ou de séné (Senna alexandrina ; 24 URs) :

« Chaque année je fais une cure « rafraîchissante », en fin ou en début d’année. Ça permet de nettoyer son corps, de se sentir bien. Moi j’utilise le remède classique : un peu de kwak et un morceau de branche épluchée de

kann kongo (krg ; Costus spp.) dans de l’eau, pendant trois jours, suivi d’une

bonne purge. » Homme d’origine créole guyanaise, 40 ans, Cayenne.

159 De ce point de vue, on peut estimer que l’engouement contemporain en Occident pour les « cures détoxifiantes » est sans doute venue se juxtaposer (et par la même occasion renforcer) à cette vision du corps et de la maladie inhérente aux médecines créoles, qui l’ont-elles-mêmes très certainemement héritées des cures saisonnières « nettoyantes » qui étaient encore régulièrement prises dans les campagnes françaises, pour « se renouveller le sang » à la sortie de l’hiver (Lieutaghi, 1986).

« Pour se soigner, il faut avaler des thés qui te font rendre ton eau. La kwachi [Quassia amara] par exemple, ça te nettoie bien le sang et ça te permet d’éliminer toutes les saletés que ton corps avait accumulées. Tout ce qui est amer est bon pour te nettoyer, évacuer la chaleur en dedans de toi. » Femme d’origine créole guyanaise, 78 ans, Macouria.

« Il faut manger des herbes qui « rafraîchissent », comme le kalou [Abelmoschus esculentus], les épinards [Amaranthus spp.], toutes ces choses là. Du poisson aussi, des bouillons légers, sans trop de sel ou d’huile. » Femme d’origine sainte-lucienne, 71 ans, Saint-Laurent du Maroni.

« L’acidité ça givre le sang, ça donne des frissons comme le froid. Tu serres les dents. C’est pour ça que c’est efficace contre le chaud, que ça nettoie ton sang quand il est sale. » Homme d’origine aluku, 43 ans, Saint-Laurent du Maroni. En outre, notons que dans la logique humorale les espèces considérées comme sédatives (Annona muricata, 4 URs ; Peperomia pellucida, 3 URs) sont également considérées comme « froides »160 et agissent aussi sur des pathologies « chaudes » :

« Kosòl sé on bagay ki trè frèt. Si tèt ou cho, ou trapé an chok ou pa ka donmi,

sé li pou ou bwè [le kosòl (Annona muricata) c’est quelque chose de très

« froid ». Si ta tête est « chaude », que tu as attrapé un choc et que tu ne dors pas, c’est ce que tu dois boire]. » Femme d’origine sainte-lucienne, 72 ans, Rémire-Montjoly.

« Si tu as de la tension, que ton corps est chaud comme on dit, que ton sang bouille [faya buulu], tu peux mâcher des feuilles de koosaka uwi [Peperomia

pellucida] dans du vinaigre. Ça te refroidit, ça te calme. » Homme saamaka,

26 ans, Mana (village de l’Acarouany).

Enfin, le malfwa (7 URs) est une affection ethnomédicale créole qui s’inscrit également dans la catégorie de lenflamasyon mais qui résulte assez spécifiquement d’une consommation excessive d’alcool (maladi tafia, krg ; 5 URs) – et, plus rarement, d’un repas trop chargé (2 URs). Dans ce cas aussi, il est impératif avant tout de se « rafraîchir » (la plante la plus indiquée contre le malfwa étant gwo ponpon, Leonotis nepetifolia, 4 URs) puis de se purger régulièrement afin d’endiguer le syndrome, qui pourrait s’aggraver au fur et à mesure que « la bile engorge le foie et les poumons » puis aboutir, si rien n’est

160 D’après Vilayleck (2002 ; p. 68), « le chaud est assimilé à l’énergie, au travail sous toutes ses formes, à la jeunesse, à la vivacité, le froid à la fatigue, à la lenteur, à la vieillesse » et il est donc logique dans cette conception de classer des plantes « qui font dormir » comme étant froides ».

fait, à un « éclatement des poumons » (le patient vomit alors continuellement du sang), condamnant alors le malade. Bien sûr, la consommation d’alcool du malade doit également être limitée, hormis certains amer (cf. chapitre « Feu !! »), paradoxalement considérés comme efficaces pour lutter contre cette pathologie161.

Tableau 5 : principales espèces (≥ 2 % du total des citations) utilisées par les habitants du littoral guyanais dans le traitement de la maladie créole nommée lenflamasyon :

Espèces Familles URs (total 475) URs par communauté % des citations Modes d’administration Ricinus communis L. Euphorbiaceae 25 krg : 12 ; Slu : 6 ; krh : 3 ; kra : 2 ; mtp : 2 5,3 purge

Senna alexandrina Mill. Fabaceae

24 krg : 16 ; slu : 6 ; kra : 1 ; gya : 1

5,1 purge Manihot esculenta Crantz

Euphorbiaceae 23 krg : 13 ; slu : 6 ; krh : 2 ; brl : 1 4,8 macération Costus spp. Costaceae 20 krg : 13 ; slu : 4 ; krh : 1 ; kla : 1 ; ska : 1 4,2 macération Quassia amara L. Simaroubaceae 19 krg : 11 ; ska : 3 ; slu : 2 ; gya : 1 ; krh : 1 ; krr : 1 4,0 alcoolature / décoction Leonotis nepetifolia (L.) R. Br. Lamiaceae 17 krg : 5 ; slu : 5 ; ska : 3 ; brl : 1 ; gya : 1 ; kpa : 1 ; plk : 1 3,6 infusion / décoction Scoparia dulcis L. Scrophulariaceae 17 krg : 9 ; slu : 4 ; gya : 1 ; kla : 1 ; ndk : 1 ; 3,6 macération / infusion Gossypium barbadense L. Malvaceae 16 krg : 5 ; krh : 4 ; slu : 3 ; mtp : 1 ; ndk : 1 ; plk : 1 ; krs : 1 3,4 macération / infusion Momordica charantia L. Cucurbitaceae 15 krh : 7 ; krg : 3 ; kra : 2 ; gya : 1 ; kla : 1 ; mtp : 1

3,2 alcoolature / infusion / décoction / bain / alimentation Tinospora crispa (L.)

Hook. f. & Thomson Menispermaceae

14 krg : 7 ; slu : 4 ; brl : 1 ; krh : 1 ; krr : 1 ;

2,9 alcoolature / macération / décoction

Aristolochia trilobata L. 10 krg : 6 ; slu : 3 ; krh :

1

2,1 alcoolature / infusion

Citrus aurantiifolia (Christm.) Swingle162 Rutaceae 10 krg : 5 ; krh : 3 ; ndk : 1 ; prv : 1 2,1 jus / décoction / alcoolature Phyllanthus amarus

Schumach. & Thonn. Phyllanthaceae

10 krg : 6 ; slu : 3 ; gya : 1

2,1 alcoolature / infusion / décoction

Senna alata (L.) Roxb. Fabaceae 10 krg : 5 ; slu : 3 ; brl : 1 ; ska : 1 2,1 décoction / macération / bain 162 En particulier la variété amère.

2.2.2. « Crise » de vers

Illustration 18 : parties aériennes de Chenopodium ambrosioides. M-A Tareau.

Il demeure très présent dans le discours populaire global qu’un des principaux risques sanitaires qu’encourent les enfants est d’être infectés par une « crise de vers » (krg : kriz

vè ; ndk : abi woon), qu’il s’agisse de ti vè (krg ; éventuellement les oxyures ou les ascaris)

ou encore du vè solitè ou gran vè (krg ; probablement le ténia). Les parasites intestinaux sont très redoutés et font par conséquent l’objet d’une médecine préventive et curative très élaborée, notamment au sein des populations créoles (Cavaro, 1990 ; Bougerol, 1978 ; Grenand et al., 2004 ; Quinlan et al., 2002). Dans la plupart des systèmes ethnomédicinaux locaux, la présence de vers intestinaux est en effet considérée comme pouvant être à l’origine d’une aggravation brutale de l’état de santé infantile (un amaigrissement soudain, une grande fatigue et une diarrhée sévère sont considérés comme des symptômes sérieux de la présence de parasites internes) et leur prévention constitue de ce fait l’une des principales raisons évoquées pour justifier la prise régulière de remèdes purgatifs :

« Il ne faut pas laisser les vermines se reproduire. Après tu vois le ventre de l’enfant qui gonfle, et c’est presque trop tard. Avant beaucoup d’enfants

mourraient comme ça, mangés de l’intérieur ». Homme d’origine créole guyanaise, 81 ans, Roura.

« Quand sa bouche fait de la mousse, il a les yeux qui tournent, c’est comme ça que tu sais que l’enfant a beaucoup de vers. Là, il faut agir vite. A ce stade il faut lui donner de l’ail écrasé dans de la Porter163, et frotter son anus avec de l’ail ». Homme d’origine créole guyanaise, 58 ans, Montsinnery-Tonnegrande.

« Il y a une sorte de vers qu’on appelle bisibisi woon. C’est très dangereux, ça peut même tuer l’enfant. Le coco et le riz favorisent l’apparition du bisibisi. » Femme d’origine ndjuka, 24 ans, rémire-Montjoly.

L’ICF concernant les espèces utilisées comme vermifuges est fort (ICF= (220-79) / (220-1) = 0,64), avec une spécialisation de certaines plantes pour cet usage (tableau 6). Si l’espèce la plus couramment utilisée est Chenopodium ambrosoides164 (illustration 18 ; 25 URs) dont les noms vernaculaires créole guyanais (lapoudover, littéralement : « la poudre aux vers »165) et antillais (« zeb a vè », littéralement : « herbe à vers ») indiquent d’emblée sa principale fonction thérapeutique, on constate surtout que chez les Créoles antillo-guyanais et les Marrons les plantes indiquées dans le traitement ou la prévention des parasites internes sont majoritairement des espèces caractérisées par une plus ou moins forte amertume, à l’instar de Artemisia absinthium, Carapa guianensis, Carica papaya,

Citrus aurantium (variété amère), Coutoubea spicata, Momordica charantia, Solanum americanum, Quassia amara ou encore Tinospora crispa. Il s’agit d’ailleurs d’une des

indications majeures de l’amer, juste après celle qui consiste à « se nettoyer le sang ». Si, en Guyane, les graines amères de certains fruits sont utilisées166 car elles ont en plus la faculté de « pousser les vers », les drainer jusqu’à l’expulsion, les remèdes les plus

163 Il s’agit d’un type de bière de fermentation haute originaire d'Angleterre, caractérisée notamment par sa forte amertume (ce qui, au vu de l’importance accordée à l’amertume dans les ethnomédecines locales, ne semble pas être une coïncidence…)

164 Cette espèce est également utilisée comme vermifuge dans la Caraïbes (Honychurch, 1986 ; Quinlan et al., 2002), en Amérique Centrale (Berlin et al., 1996 ; Booth et al., 1993) et du sud (Kainer et Duryea, 1992 ; Schultes et Raffauf, 1990).

165 « Poudre » en raison des innombrables et minuscules graines que lâchent ses sommités florales.

166 Les graines de papaye (Carica papaya ; 4 URs) et de grenade (Punica granatum ; 2 URs) sont ainsi considérées comme amères (alors qu’on pourrait d’ailleurs plutôt considérer les premières comme piquantes et les autres comme astreingentes) et sont prescrites. Elles doivent être mâchées et avalées par la personne atteinte par la « crise de vers ».

courants demeurent les mixtures de plantes167 décoctées ou préparées en alcoolature amères dont on donne à boire un bouchon aux enfants :

« Si l’enfant à des vers, il faut lui donner une petite cuillère d’huile de carapa, le matin à jeun, pendant trois jours. C’est amer ». Femme d’origine créole guyanaise, 56 ans, Cayenne.

« Tu écrases des graines de grenade dans du vermouth, tu laisses macérer quelques jours et tu donnes à boire un petit verre à l’enfant. A Sainte-Lucie, lorsque nous étions petits, c’est ce que notre mère nous donnait assez régulièrement. Mais ici, les grenades sont assez rares ». Femme sainte-lucienne, 67 ans, Rémire-Montjoly.

« On met à tremper dans du vermouth - mais on peut aussi faire bouillir – un mélange de racines de mal papay [Carica papaya, variété stérile], de zèb a vè [Chenopodium ambrosoides], de l’absinthe [Artemisia absinthium] et 7 petits citrons créoles ». Homme d’origine créole guyanaise, 54 ans, Montsinnery-Tonnegrande.

Enfin, la consommation de certains plats, aux saveurs amères (contenant des espèces comestibles amères telles que Amaranthus sp., Phytolacca rivinoides, Momordica

charantia, Portulaca oleracea, Solanum americanum, Solanum leucocarpon, Solanum macrocarpon) ou fortement épicés, est également conseillé pour lutter contre les vers :

« Quand j’étais petite, tous les samedis, ou bien le dimanche, mon père nous donnait à manger kalalou168. Avec des feuilles d’épinards [Amaranthus

dubius], de koupyé [Portulaca oleracea], de gombo [Abelmoschus esculentus].

Il disait que ça tuait les vers ». Femme d’origine saint-lucienne, 71 ans, Saint-Laurent du Maroni.

« On dit que les gens qui mangent beaucoup de piment sont « immunisés » contre les vers. C’est chaud, ça les brûle. L’Homme est suffisamment fort pour résister à la brulure du piment mais ce n’est pas le cas d’aussi petites bêtes que les vers ». Femme d’origine ndjuka, 43 ans, Mana.

L’importance des espèces amères (plantes « froides ») dans le traitement des vers (état « chaud ») semble traduire, ici encore, la vieille opposition symbolique entre le sucré et

167 Il est courant de mélanger plusieurs espèces pour une meilleure efficacité du remède vermifuge.

l’amer (l’un attire, l’autre révulse) qui est à l’œuvre dans la médecine humorale d’influence hippocratique169. Cet antagonisme se retrouve dans l’ethnomédecine créole (cf. « Une médecine sensorielle ») et notamment dans le traitement des vers qui sont réputés se développer dans le sucre et être au contraire très sensibles à l’amertume qui est sensée les éliminer. D’ailleurs, si la crise de vers est considérée comme un état humoral très chaud (il fait « bouillir ton ventre »), il trouve son origine dans la consommation d’aliments sucrés (fruits, bonbons) également considérés comme « chauds ».

« Il ne faut pas donner trop de sucreries aux enfants, ça leur donne des vers. Et c’est pareil pour les fruits trop sucrés, comme les mangues, ils ne doivent pas en abuser. » Femme d’origine sainte-lucienne, 53 ans, rémire-Montjoly. « On met un peu du miel sur l’anus de l’enfant pour les attirer vers la sortie ; comme ça, quand ils prennent [sentent] l’odeur de l’amer, ils sortent tout seul oui. » Femme d’origine créole guyanaise, 31 ans, Montsinery-Tonnegrande.

Tableau 6 : principales espèces utilisées (≥ 2 % du total des citations) dans le traitement des parasites intestinaux. Espèces Familles URs (total 220) URs par communauté

% des citations Modes d’administration Chenopodium ambrosioides L. Amaranthaceae 25 brl : 3 ; kpa : 1 ; glb : 1 ; krg : 15 ; krh : 2 ; plk : 1 ; slu : 2 11,4 infusion / décoction Quassia amara L. Simaroubaceae 12 alk : 1 ; krg : 8 ; plk : 1 ; ska : 1 ; slu : 1 5,5 alcoolature / décoction Tinospora crispa (L.) Hook. f. & Thomson Menispermaceae 12 brl : 1 ; kra : 1 ; krg : 7 ; plk : 3 5,5 décoction / alcoolature / macération Carica papaya L. Caricaceae 10 kra : 1 ; krg : 2 ; mtp : 1 ; ndk : 2 ; plk : 1 ; ska : 1 ; slu : 2

4,5 ingestion des graines

169 De Bois Regard (1750) écrit ainsi, au milieu du 18ème siècle, que « tout ce qui est amer et purgatif est bon pour faire sortir les vers des entrailles » et Cullen (1788 ; p. 84) : « les amers ont forcément une action anthelmintique […] Tous les animaux semblent avoir de l’aversion pour les amers et il y a des insectes qui évitent leur odeur ».

Momordica charantia L. Cucurbitaceae 9 gya : 1 ; krg : 3 ; krh : 4 ; ska : 1 4,1 décoction / alcoolature Phyllanthus amarus Schumach. & Thonn. Phyllanthaceae 9 brl : 1 ; krg : 5 ; krh : 2 ; slu : 1 4,1 décoction / alcoolature Allium sativum L. Amaryllidaceae 7 krg : 5 ; brl : 1 ; plk : 1 3,2 macération / décoction / alcoolature Citrus × aurantiifolia (Christm.) Swingle Rutaceae 7 krg : 2 ; brl : 1 ; gya : 1 ; krh : 1 ; mtp : 1 ; slu : 1 3,2 jus/décoction/alcoolatu re Eupatorium ayapana Vent. Asteraceae

7 krg : 3 ; kra : 2 ; slu : 2 3,2 infusion / Alcoolature

Cymbopogon citratus (DC.) Stapf Poaceae 6 krg : 3 ; gya : 1 ; kra : 1 ; plk : 1 2,7 infusion / décoction Aristolochia trilobata L. Aristolochiaceae 5 krg : 4 ; slu : 1 2,3 alcoolature

Carapa guianensis Aubl. Meliaceae

5 krg : 3 ; slu : 2 2,3 huile bue

Eryngium foetidum L. Apiaceae

5 krg : 2 ; slu : 2 ; plk : 1 2,3 infusion / décoction

Portulaca oleracea L. Portulacaceae

5 krg : 3 ; kra : 1 ; slu : 1 2,3 décoction / looch / alimentation

2.2.3. Dermatologie

Illustration 19 :feuilles de Senna alata macérant dans un seau d'eau en vue du bain d'un enfant atteint de dermatite, à Apatou. M-A Tareau.

Plusieurs maladies affectant le système tégumentaire (343 URs) peuvent être soignées par les plantes (tableau 7), avec un indice de consensus élevé (ICF = (343-105) / (343-1) = 0,70). On observe que des infections cutanées très diverses d’un point de vue biomédical telles que la varicelle (maladie infectieuse causée par le virus varicelle-zona), l’eczéma (fréquemment lié au stress ou d’origine allergique), l’acné (boutons résultant d’une hyper-sécrétion de sébum et souvent associée à la puberté), les tâches de lota 170 ou encore la « gratelle » (qui dans l’ethnomédecine créole englobe tous les phénomène de démangeaison accompagnés ou non de prurit, et pouvant avoir des origines différéntes telles que les parasites externes ou justement l’eczéma…) sont souvent traitées par le même pool d’espèces, considérées comme des plantes « rafraîchissantes » (Gossypium

170 Pityriasis versicolor : « Ensemble de macules de couleur jaune chamois ou brunes, à contours souvent géographiques, squameuses lors du grattage, non prurigineuses, siégeant électivement à la partie supérieure du thorax et sur les épaules, due à une levure et devenant parfois achromique après une exposition solaire » (Kernbaum, 2008).

barbadense171, 29 URs ; Senna alata172, 20 URs – illustration 19)173 ou « qui nettoient » (plantes amères, et donc « froides » : Aloe vera174, 22 URs ; Momordica charantia, 14

URs ; Solanum leucocarpon, 11 URs). En effet, les éruptions cutanées sont vues comme le signe d’un sang sale, conséquence d’une sur-accumulation de « chaleur » (d’où le terme de « boutons de chaleur » qui est couramment utilisé). Ces espèces peuvent être administrées par voie interne ou externe (quelque fois les deux sont prescrites conjointement), même si les bains végétaux (krg : ben rafréchi) constituent la forme d’administration qui est le plus souvent privilégiée :

« Tu baignes l’enfant le matin avec des feuilles de bom seles (krg ; Mikania

congesta). Ça enlève les tâches, la gratel*, la douleur. Il faut faire bouillir les

feuilles, tu baignes avec et tu en bois aussi un peu ; c’est bon aussi pour la