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Quelques problèmes de définition

en France et en Allemagne

2. Quelques problèmes de définition

2.1. Culture, Kultur

Lorsqu’on demande aux enseignants ce qu’ils entendent par « culture », ils évoquent généralement la littérature, l’art, l’histoire, la géographie, c’est-à-dire ce que l’on regroupe en France sous le terme de « civilisation ». Cela correspond à ce que l’on peut appeler la Culture avec un grand C par oppo-sition à la culture avec un petit c qui, elle, comprendrait des éléments moins traditionnels, moins visibles (Lazar 2007 : 7). C. Kramsch considère que la culture est une vision du monde, un système commun de valeurs qui sous-tend la perception, que l’on doit découvrir à travers la langue et les inte-ractions langagières des locuteurs : la culture ne se réduit pas à des faits à apprendre ou des comportements à acquérir (Kramsch 1993). Si l’on adopte cette défi nition, il apparaît que les éléments culturels pertinents pour l’en-seignement-apprentissage d’une langue étrangère dépassent largement le cadre des faits de civilisation traditionnels. Dans un ouvrage qui porte sur la communication interculturelle, Levine et Adelman proposent une com-paraison entre la culture et l’iceberg : seule la pointe (à travers des phéno-mènes comme la langue, l’alimentation) est apparente, tandis que la plus grande partie demeure cachée, plus diffi cile d’accès (croyances, perceptions, attitudes). Les apprenants d’une langue étrangère sont amenés à une prise de conscience culturelle : en découvrant les différences culturelles qui ne se limitent pas aux faits de civilisation, ils sont amenés à réexaminer leurs propres normes et attitudes.

L’opposition Kultur vs Landeskunde en Allemagne diffère du couple fran-çais culture vs civilisation. Cela tient au caractère élitiste du concept Kultur (qui serait plutôt la Culture avec un grand C que la culture avec un petit c).

L’histoire des méthodologies de l’enseignement des langues en Allemagne illustre ce fait (Christ 2000 : 11-24). Se sont succédées en effet, au XIXe siècle la Kulturkunde (connaissances de la culture) centrée sur les hauts faits de civilisation (grands hommes et événements, littérature), puis au tournant du siècle la Realienkunde qui s’est tournée vers les aspects plus matériels, les

« réalités » des sociétés (économie, politique). Après la première guerre mon-diale, on parle de Volkskunde (connaissances du peuple) pour mettre l’accent sur le caractère national et son lien avec la langue. Le terme qui s’est imposé après 1945 est celui de Landeskunde (connaissances du pays). La terminologie

refl ète ainsi l’évolution méthodologique des enseignements de civilisation en mettant en évidence l’évolution de la perspective et des contenus.

En France, la conception de la culture a été fortement marquée par les travaux de P. Bourdieu. Celui-ci voit dans la culture le système de classifi -cation des phénomènes sociaux. M. Abdallah-Pretceille et L. Porcher font référence explicitement aux travaux de P. Bourdieu et reprennent cette défi -nition pour asseoir la légitimité d’une « pédagogie authentiquement inter-culturelle » : ils affi rment

si une culture c’est une manière de classer toutes choses, toute culture se trouve défi nie par les classements qu’elle installe et fait respecter. Les élèves auront donc à apprendre plusieurs manières de classer : celle de leur culture et celle de la culture des autres. Les comparaisons et les différences contribuent ainsi à la décentration des apprenants et celle-ci est, comme on l’a vu, l’un des objectifs fondamentaux de toute éducation (Abdallah-Pretceille & Porcher 1996 : 37).

L. Porcher voit dans la compétence culturelle un élément indispensable de la compétence de communication, et elle « implique essentiellement, sur le plan conceptuel, maîtrise des habitus, au sens que Pierre Bourdieu a donné à ce terme, et que l’on pourrait décrire, à sa suite, comme « grammaire géné-rative de nos comportements culturels » (Porcher 1986 : 35). La compétence culturelle est un savoir-agir et savoir-communiquer dans un champ social.

En développant l’idée que la langue est imprégnée par un champ social, on s’intéresse à l’implicite et au non-dit, à la façon qu’a le culturel d’impré-gner le linguistique. L. Porcher distingue trois aspects des « compétences linguistico-culturelles » : la composante sociologique du linguistique, l’usage social de la langue et les implicites. Les implicites étant hérités, ils sont une part diffi cile de l’apprentissage d’une langue étrangère, et c’est leur maîtrise qui « installe chez l’élève la véritable capacité à communiquer » (Porcher 1995 : 63).

En Allemagne, comme le montre D. Abendroth-Timmer, on donne une orientation plus psychologique que sociologique à la notion de culture, en la considérant avant tout comme le système de valeurs qui permet à l’indi-vidu de s’orienter. Pour K. Hansen, ce qui compte, c’est la connaissance des différences entre les membres d’une culture, et non une manière semblable de percevoir et d’agir (Hansen 1995 : 168). L’identité individuelle ainsi que la relation interindividuelle sont marquées par la langue (Abendroth-Timmer 2000 : 27). L’objectif prioritaire, alors, est celui de l’épanouissement et de l’empathie, qui passent par une prise de conscience de l’infl uence de la culture sur soi et les autres. L’individu doit prendre conscience des différences cultu-relles en priorité, alors que côté français, on a tendance à privilégier le sem-blable et à le mettre en avant par rapport aux différences (Galisson 1997).

2.2. Communication interculturelle et compétence interculturelle

Quand il a défi ni la compétence en communication, en 1972, Dell Hymes a souligné que la signifi cation socioculturelle de l’énoncé n’était pas suffi -samment prise en compte. Quelques années plus tard, le premier modèle de la compétence communicative proposé par M. Canale et M. Swain pré-sente une composante sociolinguistique : il s’agit de bien connaître les règles socioculturelles qui régissent l’emploi de la langue (Canale & Swain 1980).

Le modèle de S. Moirand est plus explicite, comprenant une composante socioculturelle qui ne se limite pas aux règles sociales mais inclut les insti-tutions, l’histoire culturelle et la relation entre les objets sociaux (Moirand 1982). C’est le seul modèle qui ne fait pas de la dimension socioculturelle une partie intégrante du sociolinguistique. La notion de compétence com-municative a été largement reprise dans un sens plus restrictif, comme une compétence essentiellement linguistique. Le CECRL s’inscrit dans cette série de modèles restrictifs, avec une dimension culturelle réduite au sein de la compétence communicative langagière. Selon D. Lussier, « on élimine la dimension culturelle de la compétence de communication. On retourne aux modèles théoriques du début des années 1970 » (Lussier 1997 : 239).

On peut dire, et c’est l’idée qui sous-tend l’emploi même du terme un peu long « compétence communicative interculturelle », que la compé-tence interculturelle prolonge et complète la compécompé-tence communicative, en dépassant les aspects strictement linguistiques auxquels on l’a réduite. La compétence interculturelle est alors défi nie comme la capacité à être acteur de sa propre culture en interaction avec d’autres. M. Byram a développé un modèle de la CCI où il montre qu’elle exige des attitudes, aptitudes et connaissances en plus des compétences linguistiques, sociolinguistiques et discursives (Byram 1997). Il s’agit d’abord d’une ouverture, curiosité, dispo-sition à suspendre son jugement. La CCI implique aussi des connaissances portant sur les groupes sociaux au sein de sa propre culture et de la culture cible ainsi que sur les processus de l’interaction individuelle et sociale. Enfi n, elle fait appel à la capacité d’établir des contacts avec des personnes issues de différents contextes sociaux, à une capacité d’empathie qui permet d’ap-préhender l’état d’esprit de l’autre. M. Byram montre que l’apprentissage cognitif est amélioré par l’affectif, pour lequel il faut une démarche active.

On peut défi nir la CCI comme la « capacité à communiquer effi cacement dans des situations interculturelles et à établir des relations appropriées dans des contextes culturels divers » (Bennett & Bennett 2004). C’est alors une compétence à part entière et non un simple élément complémentaire (voire ornemental) qui vient s’insérer dans le cadre « sociolinguistique » de la compétence communicative.