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Niveau de compétence de l’emploi des adverbes vraiment et seulement

Évaluer la compétence grammaticale en FLE : l’emploi des adverbes

5. Niveau de compétence de l’emploi des adverbes vraiment et seulement

Même si de nombreuses études confi rment nous citons, entre autres, Borillo (1976), Mørdrop (1976), Danjou-Flaux (1982), Molinier & Lévrier (2000) – que vraiment est un adverbe polysémique et versatile pour un fran-cophone natif, l’adverbe vraiment qui apparaît sept fois dans le corpus des apprenants hellénophones, est plus ou moins utilisé dans les sens précis que ses emplois syntaxico-sémantiques lui donnent. Considérons les exemples suivants tous tirés du corpus :

(1) Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien

(2) De plus, on doit se demander si la littérature représente vraiment la réalité logiquement ou avec une manière plutôt stylistique

(3) […] il s’agit vraiment de la présence d’un narrateur mais aussi nous voyons la présence du narrateur avec l’utilisation du discours direct où nous pouvons le voir […]

(4) […] et qu’il faut vraiment vivre et passer les meilleurs instants chaque jour qui se passe dans notre vie

(5) […] on doit se demander si la réalité est représentée vraiment par des auteurs littéraires avec une manière plutôt stylistique et artistique

(6) Donc, dans notre dernière question si la littérature représente vraiment la réalité logiquement […]

(7) Elle les présente comme ils sont vraiment

Dans les exemples ci-dessus, abstraction faite des erreurs d’expression, vraiment semble être consciemment utilisé comme adverbe intensifi eur, adverbe de phrase ou adverbe de manière. Dans (1) vraiment, équivalent de l’adverbe grec αληθινά est intensifi eur car il précède un adjectif (beau/

ωραίο) et peut être remplacé par très/πολύ. Dans les exemples (2), (3) et

(4) l’adverbe vraiment est placé en position postverbale, position essentiel-lement réservée aux adverbes de manière verbaux dans les deux langues ; plus particulièrement, dans le cas de l’exemple (4), l’adverbe est placé entre une modalité il faut et deux verbes liés par coordination (vivre et passer). Par ailleurs, il pourrait répondre à la question en comment ? et être paraphrasé par de (manière + façon) vraie. Dans (5) et (6), il semble que vraiment soit un disjonctif de style (ou adverbe d’énonciation) car il peut être paraphrasé par une expression comportant le verbe dire (à vrai dire ou à dire vrai) ; en plus, il est synonyme de pour de vrai et sert à affi rmer la pertinence et le caractère incontestable d’un jugement de valeur accompagné d’une intonation affective.

L’emploi (7) est le plus intéressant pour celui qui connaît le grec moderne.

L’adverbe vraiment ne répond pas aux tests de reconnaissance précités pour les adverbes de manière ou d’énonciation, il est précédé du verbe être et se trouve en position postverbale fi nale dans une phrase assertive. En français, selon Molinier & Lévrier (2000 : 77), vraiment fi gure, en général, en posi-tion initiale dans des phrases interrogatives où « le locuteur demande alors à son interlocuteur de produire une réponse en conformité avec le réel, la vérité ou le vrai » telle que :

(8) Vraiment, est-ce une bonne chose pour Luc ?

Toutefois, selon le Trésor de la Langue Française informatisé3, cet adverbe peut fi gurer en position fi nale, d’une part, pour « affi rmer la pertinence et le carac-tère incontestable d’une évaluation, d’un jugement de valeur » comme dans : (9) La meilleure de nous tous, une brave femme vraiment (Renard, Journal,

1900, p. 583)

d’autre part, pour « exprimer la diffi culté à admettre pleinement quelque chose », comme dans :

(10) Je ne le croyais pas vraiment

et, enfi n, dans des expressions conventionnelles du type : (11) Je regrette vraiment

Or, si dans l’exemple (7) vraiment ne présente pas les caractéristiques de l’usage français, il serait plutôt l’équivalent des adverbes grecs πραγματικά (réellement), στ’ αλήθεια (en réalité), στην πραγματικότητα (dans la réalité), adverbes attestant la conformité du dire au réel, généralement placés en position fi nale.

Comme en témoigne l’exemple (12), ces adverbes grecs sont souvent précé-dés du verbe être (είναι) et de la conjonction όπως (comme) :

(12) Βλέπω τα πράγματα όπως είναι (στ’αλήθεια + πραγματικά + στην πραγματικότητα)

Je vois les choses comme elles le sont (en réalité + réellement + dans la réalité) D’ailleurs, dans l’exemple (7), la forme adverbiale en réalité serait plus appropriée que vraiment pour un Français natif mais l’apprenant semble avoir appliqué un emploi de L1 en L2. Plus précisément, il a appliqué l’adverbe français vraiment aux adverbes grecs πραγματικά (réellement), στ’ αλήθεια (en

3 Requête effectuée le 1er juin 2012 sur le site http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.

réalité), στην πραγματικότητα (dans la réalité) qui, par ailleurs, dans les diction-naires bilingues d’usage ainsi que dans les dictiondiction-naires4 et traducteurs en ligne5, sont traduits également par l’adverbe français vraiment.

Quant à l’adverbe seulement, il peut, d’une part, être adverbe de phrase conjonctif adversatif et commuter alors avec mais (Molinier & Lévrier 2000 : 59). D’autre part, il peut être adverbe de manière focalisateur (Molinier &

Lévrier 2000 : 282), emploi attesté, a priori, avec le sens de uniquement, sans rien de plus. Enfi n, selon les dictionnaires du français le Petit Robert (2003) et le Trésor de la Langue Française informatisé6, seulement peut en plus avoir une valeur temporelle, et être alors synonyme de à l’instant, juste. Par exemple :

(13) Il vient seulement d’arriver

= Il vient juste d’arriver

En grec moderne, seuls les deux emplois syntaxico-sémantiques sont attestés : en tant qu’adverbe de phrase conjonctif adversatif (14), et en tant qu’adverbe focalisateur (15). Il y est toutefois représenté par deux variantes μόνο et μονάχα. Par exemple :

(14) Τον κάλεσα, (μόνο + μονάχα) που δεν ήρθε Je l’ai invité, seulement il n’est pas venu (15) Θα είμαστε (μόνο + μονάχα) δύο μέρες μαζί

Nous serons (seulement + seulement) deux jours ensemble

Dans notre corpus, l’adverbe seulement apparaît dix-huit fois comme adverbe de manière focalisateur. Suivant les exemples ci-dessous, il n’appa-raît dans aucun cas comme adverbe de phrase conjonctif adversatif, ni comme adverbe avec un sens temporel. Toutefois, en tant qu’adverbe focalisateur, il présente des caractéristiques de son équivalent grec. Considérons les emplois suivants tirés du corpus :

(16) Si les femmes veulent acquérir le corps idéal il y a seulement une solution (17) Mais, la représentation du réel n’est pas seulement son objectif

(18) Nous avons examiné que la littérature représente la réalité mais elle n’a pas seulement pour but de représenter la réalité

(19) La problématique posée ici est de dire si le but de la littérature est de repré-senter seulement la réalité

(20) Le roman n’est pas seulement réaliste

(21) Donc, il va rester seulement dans le rêve d’avoir cette belle étoile (22) Le succès n’est pas seulement athlétique mais aussi spirituelle

Dans les emplois (16), (17) et (18), seulement est adverbe de manière focalisateur car il se trouve auprès du groupe nominal qu’il accompagne et peut être remplacé par l’adjectif seul, réduction déjà proposée pour le fran-çais par Piot (1975 : 226-230) et Gross (1977 : 84-86). Par ailleurs, dans

4 Cf. Pantélodimos & Kaiteris (2002 : 64).

5 Requête effectuée le 1er juin 2012 sur le site http://www.lexilogos.com/grec_langue_

dictionnaires.htm.

6 Requête effectuée le 1er juin 2012 sur le site http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.

les emplois (16), (19), (20) et (21), seulement peut aussi bien être remplacé par uniquement. Toutefois, si ces énoncés sont acceptables pour un locuteur natif, on dirait moins en français Max lit seulement que Max ne lit que…

ou Max lit uniquement... À ce point, nous devons noter que l’hellénophone possède une forme sémantiquement équivalente à ne…que : la forme παρά μόνο. Malgré cela, l’apprenant applique, aux exemples précités, la forme simple μόνο à seulement. Ceci peut être expliqué par le fait que παρά μόνο, forme constituée de deux éléments lexicaux contigus dans (23), ne corres-pond pas syntaxiquement à ne…que français de l’exemple (24), qui est une forme discontinue :

(23) Ο Μαξ δε διαβάζει παρά μόνο ελληνικές εφημερίδες (24) Max ne lit que des journaux grecs

Si seulement est par ailleurs souvent combiné avec la forme négative, c’est plutôt à cause de l’emploi beaucoup plus généralisé en grec qu’en français de la locution όχι μόνο…αλλά και (non seulement…mais (aussi + encore), qui n’a pour but que d’insister sur une énumération binaire. Alors qu’en grec, les deux composants de l’énumération sont exactement sur le même plan, en français le second élément est perçu comme un inattendu, un impro-bable qui néanmoins advient, comme dans l’exemple (22) de notre corpus, emploi adversatif qui peut se lire en français : Le succès est aussi bien spirituel qu’athlétique (le premier élément est minoré par la négation afi n d’introduire le second élément). En somme, si ces exemples paraissent assez naturels pour un francophone, c’est que la négation se combine avec le mécanisme de la focalisation afi n de produire une ouverture vers d’autres occurrences, d’autres possibilités.