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Piraterie dans le monde entre 2006 à

Encadré 1 : Corrélation entre la période de pèlerinage et le trafic de bétail

2 Le chemin de fer : premier corridor d’approvisionnement de l’Éthiopie moderne Artère principale de l’économie de la colonie, le chemin de fer a été jusqu’aux années

2.2 La privatisation du CDE : un échec aux responsabilités multiples

À l’instar de la plupart des chemins de fer du continent, tous en perte de vitesse et de compétitivité face à la route et tous contraints à la privatisation par des États pour la plupart assujettis au programme (PAS), la CDE n’échappe pas à ce mouvement de fond. Si pendant un certain temps, l’idée de faire appel au secteur privé était admise, force est de constater que rien n’a été encore mis en œuvre pour ce changement de gestion. C’est seulement qu’à partir de 2002 que les choses s’accélèrent pour la compagnie avec le lancement officiel de l’offre de reprise du chemin de fer.

Plusieurs compagnies internationales spécialisées dans le transport ferroviaire répondent à l’appel. Il s’agit entres autre des sociétés française (Bolloré), Canadienne (Canac), sud-africaine (Comezar), mais également d’autres sociétés (indienne, portugaise et américaine). En 2006, le consortium sud-africain, Comezar, gestionnaire de plusieurs projets ferroviaires sur le continent remporte l’offre de reprise pour une concession de 25 ans pour la gestion du chemin de fer Djibouti – Addis-Abeba. Tardant à produire un cahier de charge clair et présentant les objectifs de son projet, Comezar perd le contrat de concession. Suite à cet échec, un nouvel appel a été lancé pour trouver un autre repreneur. Cette fois-ci, aucune offre sérieuse ne sera enregistrée, hormis celle d’une société koweïtienne, AL Ghanim& sons. Cette offre n’aboutira pas comme celle de la société sud-africaine.

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En dehors des facteurs endogènes à la compagnie mentionnés ci-dessus, le tarif pratiqué par le train est plus élevé par rapport à celui de camions. En effet, selon une étude de l’Infrastructure Consortium for Africa (ICA) pour la même distance le train facture 55 dollars la tonne contre 30 dollars pour le camion (ICA, 2007). Ainsi, toutes ces difficultés ont eu raison des principaux utilisateurs de la CDE qui se sont tournés vers la route moins chère et plus sûre.

À cela s’ajoutent des facteurs exogènes à la compagnie du chemin de fer. Par exemple, la CDE a bénéficié d’une enveloppe de 50 millions de dollars de l’Union européenne et de l’Agence Française de Développement (AFD) pour réhabiliter une certaine partie de la voie ferrée. Cet aide devait servir à pallier la faiblesse du train en matière de tonnage par essieu. Il s’agissait de changer certains types de rails sur 114 km (sur 781) essentiellement dans la partie éthiopienne pour augmenter la capacité de trains. D’autres facteurs exogènes ont également contribué à l’échec de la concession du chemin de fer.

Les différentes parties au contrat de concession (États, bailleurs de fonds, concessionnaire) ont chacune, à leur manière, une part de responsabilité dans l’échec de la privation du CDE.

En premier lieu, les bailleurs de fonds, notamment l’AFD, en conditionnant leur prêt à la privatisation de la compagnie ne laissent guère d’autres options aux États pour bénéficier de cette subvention. Pour le concessionnaire sud-africain, même s’il s’était engagé à débloquer plus de 100 millions de dollars pour l’entretien, l’exploitation du matériel roulant ainsi que les infrastructures fixes devaient bénéficier de l’appui des deux États. Toutefois, dans ses prévisions, Comezar espérait capter dès la première année environ 777 000 tonnes et 1 million de tonnes pour l’année suivante pour un chiffre d’affaires de 50 millions de dollars pour les 5 premières années.

Ces prévisions étaient irréalistes eu égard au transit éthiopien qui était sur cette même période de 4 776 546 tonnes en 2006 (BCD, 2006). Cela supposait que le chemin de fer soit en mesure de capter plus de 21% du trafic en 2 années alors que, depuis 1998, date de transfert intégral du transit éthiopien sur Djibouti, la CDE était dans l’incapacité d’attirer plus de 1% de ce trafic. Cela montre que l’offre de reprise de Comezar était purement opportuniste, car elle ne tenait même pas compte des délais impartis aux

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travaux de génie civil engagés pour la remise en état de certaines portions de la ligne (Foch, 2011).

En 2007, le contrat est rompu avec la société sud-africaine. Suite à cette rupture, un autre repreneur, en l’occurrence, la société Al Ghanim& sons, un groupe koweïtien, obtient la concession de la CDE. Toutefois, les négociations n’aboutissent pas à nouveau. En effet, le projet présenté par la firme koweïtienne, à l’instar de Comezar, tablait sur une prévision d’environ 5,8 millions de tonnes sur 5 ans représentant plus de la moitié du transit éthiopien (hydrocarbures compris) en 2012. Cette prévision était, elle aussi, irréaliste en raison de délais aussi courts.

Même si le groupe koweïtien projetait d’investir 250 millions de dollars, ce projet d’AlGhanim& sons péchait par son manque de directives claires, en particulier, l’absence d’un plan détaillé de cet investissement (Foch, 2011). C’est la raison pour laquelle, ce projet a été jugé aussi opportuniste que celui de Comezar par les bailleurs de fonds, cautionnant le projet de privatisation. Aujourd’hui, bon nombre d’États du continent ont opté pour cette politique de privatisation des chemins de fer certes imposée par les bailleurs de fonds internationaux, mais nécessaire au redressement de la situation financière et la compétitivité de ce mode de transport. Cette politique de privatisation a parfois bien réussi pour un certain nombre des chemins de fer.

L’exemple du chemin de fer reliant Abidjan (Côte d’Ivoire) à Ouagadougou (Burkina Faso) concédé au groupe Bolloré constitue une parfaite illustration des concessions qui ont réussi, du moins, avant la survenance des troubles politiques des années 2000. Le processus de privatisation enclenché en Afrique, depuis les années 90, aurait pu servir de modèle pour le cas du chemin de fer Djibouti – Addis-Abeba. À ce sujet, Etienne Giros suggérait que les premières privatisations du secteur de transport ferroviaire devaient servir d’exemple pour les nouvelles en affirmant qu’« il convient maintenant de tirer des leçons des expériences passées pour adapter les modèles afin d’aller de l’avant » (Giros, 2003). Il aurait donc fallu s’appuyer sur les exemples de privatisation de chemin de fer du continent en tenant compte de la spécificité de la CDE.

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L’échec de privatisation de certaines entreprises publiques en difficulté telle que la CDE a généralement pour origine la rapidité avec laquelle les soumissionnaires, en raison des sommes importantes engagées (ou prévues) dans le projet, exigent un retour sur investissement sur une courte période. Le constat est celui formulé par Lesourd et Ninot dans leurs travaux consacrés à la privatisation des chemins de fer en Afrique « La rentabilité d’un tel investissement n’étant pas assuré et le retour sur investissement n’étant envisageable que sur le très long terme » (Lesourd, Ninot, 2003).

Toute la problématique est donc de savoir comment concilier ou trouver un équilibre entre deux logiques, à savoir celle d’investir dans une infrastructure de transport comme le chemin de fer, délaissé et déficitaire depuis plusieurs années et celle de tirer profit de cet investissement sur une courte période. Pour les concessionnaires, tabler sur une période aussi courte pour recouvrir les frais engagés montre le sérieux de leur projet alors que la société concédée est en difficulté financière depuis plusieurs années.

Quel a été le rôle des États et des bailleurs de fonds dans cet échec ?

Cet échec de privatisation du CDE s’explique aussi par le rôle joué par les deux États qui n’ont pas su s’entendre sur un concessionnaire sérieux en raison de leurs atermoiements politiques. L’absence d’enthousiasme ou de volonté affichée de deux États de mener, à terme, le processus de concession de la compagnie ne manque pas de soulever la question d’existence d’autres alternatives à la privatisation. Pour l’ancien directeur commercial de la CDE, Ahmed Doualeh, les deux États n’avaient pas vraiment d’autres alternatives, car ils ne cessaient de corriger les déficits passés enregistrés par la compagnie par une politique de perpétuel « rafistolage ». Aussi, il impute cet état de fait au manque de concertation entre Djiboutiens et Éthiopiens quant au choix du repreneur. En outre, avec le programme d’ajustement structurel, Djibouti a été vivement encouragé à privatiser les grandes entreprises publiques (Port, chemin de fer, électricité, eau) afin de bénéficier de l’assistance des bailleurs de fonds internationaux. Du côté éthiopien, il semblerait que les nouveaux dirigeants du pays ne voyaient pas l’importance de relancer le chemin de fer du moment qu’une noria de camions assurait

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déjà l’approvisionnement du pays, à partir du port d’Assab, avant d’être transférée sur de Djibouti à la suite du conflit de 1998.

De plus, aucun de deux États n’avait rempli sa part du contrat: Djibouti devait construire une bretelle permettant la jonction du chemin de fer avec le nouveau terminal à conteneur de Doraleh tandis que l’Éthiopie devait réhabiliter les 114 km. Cette réhabilitation devait permettre le remplacement des rails de 20 kg/m qui ont une charge maximale de 12 tonnes par essieu par des rails de 30 kg/m avec une charge de 14 tonnes par essieu (Gascon, 2003). Cet état de fait est confirmé par un haut responsable du ministère de l’Équipement et des transports, « rien ne s’est passé comme prévu : les Éthiopiens ont réalisé moins de 20 % de travaux de réhabilitation alors que plus de 70 % de l’enveloppe budgétaire ont été entamés – du côté djiboutien, rien n’a été fait pour la bretelle ».

Enfin, les bailleurs de fonds ont également leur part de responsabilité dans les échecs successifs de la concession du CDE. En effet, en finançant, la réhabilitation du corridor routier en 1998, ils ont contribué d’une certaine manière à retarder encore l’échéance de la privatisation de la CDE, dans la mesure où les camions pouvaient circuler sans problème sur cet axe routier suite à sa réhabilitation « la concurrence des routes, d’autres couloirs de transports vers des ports côtiers plus ou moins bien équipés représentent cependant une menace pour des chemins de fer vétustes et peu fiables » (Pourcet, 2003). Cela s’est encore vérifié avec le cas du corridor routier Djibouti – Addis-Abeba qui a complètement supplanté le chemin de fer.

L’AFD avait posé la privatisation de la CDE comme condition préalable à son prêt. Comme les conditions d’attribution de l’aide publique française ont considérablement évolué, notamment pour les pays les moins avancés (PMA), l’AFD ne pouvait soutenir la CDE dans sa privatisation qu’avec un prêt non souverain. En d’autres termes, l’intégration dans le projet de concession d’un partenaire privé financièrement sain (Foch, 2011).

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