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Piraterie dans le monde entre 2006 à

1 Une plateforme au service des puissances

1.2 Une nouvelle politique de gouvernance portuaire

1.2.3 Djibouti face à la concurrence régionale

Le trafic conteneurisé connaît une croissance soutenue conséquence d’une production mondiale de plus en plus manufacturée. Il intéresse presque tous les ports notamment ceux situés à proximité d’une grande route maritime. Il est ainsi passé de 195,3 millions d’EVP en 1999 à plus de 303,1 millions d’EVP en 2003. Le trafic a même doublé en moins d’une décennie puisqu’on a enregistré plus de 287,6 millions d’EVP en 2005 (CNUCED, 2006). Excepté la crise économique de 2008, le transport par conteneur connaît une croissance continue (Figure 22).

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Chine Europe Moyen-orient Etats-Unis Autres import %

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Figure 22 : Trafic par conteneur dans le monde 1999 - 2014

Source : CNUCED.

En effet, l’itinéraire au départ des ports du Nord (États-Unis, Europe occidentale) traversant la Méditerranée puis le canal de Suez et atteignant l’Est asiatique demeure l’un des plus actifs dans les échanges internationaux. La route Asie –Europe a même dépassé, pour la première fois, la transpacifique avec un trafic de 27,7 millions de EVP en 2007 (CNUCED, 2006). La libéralisation et l’ouverture des économies ont provoqué un changement radical des systèmes productifs qui deviennent globaux. Cela a permis l’émergence d’un bloc commercial très dynamique dans l’Asie du Sud Est. Le basculement vers l’Asie a ainsi propulsé, au cours de la dernière décennie du XXe siècle, la Chine au rang de moteur de l’économie mondiale. La Chine constitue donc l’un des pivots de ce trafic conteneurisé, ses ports ont traité plus de 139,1 millions d’EVP en 2007, soit 28,4% du trafic mondial (CNUCED, 2008).

Ainsi, la massification de flux a amené l’emploi de navires de plus en plus gros sur les principales lignes océaniques, réduisant ainsi les capacités d'escale pour des raisons techniques (tirant d'eau, capacité d'outillage) et économiques (volume, rentabilité). Pour répondre à ce nouveau défi, on assiste au développement d’une nouvelle stratégie de déploiement des lignes maritimes par les armateurs. Les armateurs ont donc complètement modifié leurs stratégies pour la gestion de lignes maritimes.

Les escales sont alors réduites sur quelques terminaux à savoir les grands ports continentaux aux extrémités ainsi sur quelques ports de transbordement le long de

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principales routes maritimes (Miossec, 2016). Il s’agit de la stratégie dite « hub and spokes » qui vise à organiser les réseaux autour de ports pivots tout en assurant l’intercommunicabilité entre les lignes transocéaniques. À cela s’ajoute la couverture des marchés régionaux de proximité de ces ports pivots.

Autrefois porte d’accès obligatoire à une zone économique naturelle, ce qui était son statut à l’époque du transport conventionnel, aujourd’hui le port est devenu un simple maillon dans la chaîne du transport intermodal. Ce changement a produit une concurrence plus rude entre les ports voisins. Les autorités portuaires doivent désormais être attentives aux attentes des lignes maritimes pour bénéficier (accueillir) l'une des escales envisagées par ces dernières dans chaque région. En effet, l’accroissement des volumes des marchandises conteneurisées et la réduction de nombre d’arrêts par les compagnies maritimes font que tous les ports non desservis par la ligne principale sont alimentés par le système de feedering100.

L’importance de ce trafic a suscité un chapelet des ports, situés le long de la route Europe - Extrême-Orient, ports devenus très stratégiques pour les armateurs. Certains ports (ou terminaux) tels que Singapour, Salalah, Marsaxlock, GioaTauro, Algerisas remplissent de manière quasi exclusive la fonction de hub. D’autres (Djibouti, Djeddah, Le Havre, Anvers ou encore Rotterdam, etc.) assurent à la fois une fonction de transshipment et une autre de desserte à destination de leur arrière-pays. L’activité de transshipment est devenue un sous marché important de la conteneurisation. Elle est bien spécifique et a sa propre logique en termes d’acteurs, de ports et des navires.

Quelle est la stratégie djiboutienne pour se positionner en tant que hub de transshipment ? Le port djiboutien dispose-t-il des avantages concurrentiels par rapport à ces principaux concurrents ?

En 2009, le Yémen et le Sultanat d’Oman ouvrent respectivement deux terminaux. Le port yéménite d’Aden s’associe avec l’opérateur Port Authority of Singapore (PSA) tandis qu’un autre s’ouvre à Salalah en collaboration avec le premier armateur mondial,

100En effet, le feedering est le processus de collecte et de distribution des conteneurs dans les nombreux ports

secondaires délaissés par l'organisation des lignes transocéaniques autour de quelques grands ports desservis par des grands navires. Situés généralement à l’intersection des grandes routes Est-Ouest et Nord-Sud, ils servent de point d’éclatement pour les compagnies maritimes.

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Maersk. La situation était donc difficile pour le port de Djibouti qui n’a pas non seulement su consolider l’avantage qu’il avait pris sur ses principaux concurrents puisqu’il est même à la traîne pour le trafic de transshipment régional bien que le terminal soit opérationnel depuis une quinzaine d’années.

Pour rattraper son retard face aux autres ports de la région, Djibouti n’a fait qu’appliquer la même stratégie que ses concurrents c'est-à-dire en concédant la gestion des ports et/ou des terminaux aux grands groupes de manutention portuaires (Figure 23). L’exemple des ports de la mer Rouge est très significatif puisqu’il met en évidence le recours quasi systématique à un gestionnaire des terminaux pour tout port aspirant attirer plus de trafic.

Figure 23 : Terminaux à conteneurs et leur opérateur

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Toutefois, avant d’évoquer la position concurrentielle de Djibouti, il serait important d’avoir une estimation du volume du trafic conteneurisé disponible en mer Rouge voire dans l’océan Indien proche. Et quelle est la position de chacun des ports de cette région.

Pour le port de Djibouti, le transit éthiopien représente ses principales activités, mais on observe une progression continue du trafic de transshipment. Le graphique (Figure 24) comparant le trafic de transshipment par rapport conteneurisé, depuis la création du premier terminal en 1985 jusqu’en 2013, montre une évolution contrastée du premier ce qui illustre parfaitement la mobilité des armements entre les différents ports de la région. En d’autres termes, la politique commerciale des ports, mais surtout le contexte régional favorise le basculement du trafic de transshipment d’un port à un autre. Par exemple, en 2003, l’armateur singapourien PIL a transféré son trafic transshipment sur Djibouti en raison de l’insécurité du port d’Aden101. Mais dès que la situation sécuritaire du port yéménite s’est améliorée, on observe une reprise du trafic au profit de ce dernier, mais également vers d’autres ports de la région (Djeddah, Salalah, etc.).

Figure 24 : Évolution du trafic de transbordement au port de Djibouti : 1985 - 2013

Source : Ports de Djibouti, BCD

101 Deux actes de terroristes avaient touchés le port d’Aden 2003, l’un visant un bateau de la

marine américaine et un autre visant un tanker pétrolier affecté par la compagnie Total. Ces actes ont eu des conséquences négatives pour le port yéménite.

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Toutefois, ces facteurs ne sont pas les seuls contribuant à l’accroissement de nombre d’escales dans un port, car la plupart des ports de la région offrent à peu près les mêmes facilités. D’autres éléments peuvent donc influencer le choix portuaire. Il s’agit notamment du volume des marchandises disponibles, des conditions tarifaires du port, mais également la distance de déviation par rapport à l’axe principal de la route maritime.

Notre analyse du marché de transshipment régional comprend les ports du pourtour de la mer Rouge (Djeddah, Port-Soudan, Aden), de Salalah sur la rive arabique de l’océan Indien et ceux de la rive africaine (Mombasa et Dar-el-Salam). Toutefois, concernant le transshipment, Djibouti est surtout en concurrence avec les ports de la rive arabique (Aden, Salalah, Djeddah), car les ports de l’Afrique orientale sont excentrés par rapport à l’axe principal de la route maritime pour servir de plateforme d’éclatement. La faiblesse économique de cette région fait que ses ports (Mombasa et Dar-el-Salam) dépendent plus des services de transshipment pour jouer un rôle de hub.

Comparer ces différents ports serait difficile, car ils n’ont ni la même stratégie ni la même politique commerciale. Toutefois, la première distinction qu’on peut observer est le positionnement de chaque port. Autrement dit, chaque port donne donc la priorité à une fonction portuaire. Pour certains ports tels que Salalah voire Aden, leur stratégie est résolument tournée vers le transshipment tandis que d’autres visent à la fois la fonction de plateforme d’éclatement et celle de desserte vers l’arrière-pays. Lorsque l’arrière-pays peut fournir du volume, c’est par exemple le cas de Djeddah qui dispose d’un important marché intérieur ou encore de Djibouti adossé à un immense marché de l’arrière-pays.

En 2007, l’ensemble des ports de la mer Rouge représentait un trafic de 5,11 millions d’EVP, ce volume passe à plus de 8 millions d’EVP si on prend en compte Salalah situé à pratiquement à l’embouchure de la mer Rouge. En 2012, le trafic est passé à plus de 11 millions d’EVP (Salalah inclus) soit une progression de plus de 27,3% en 5 ans (Figure 14). Cela montre la vitalité de ce segment dans l’industrie du transport maritime notamment pour des ports situés à proximité d’une route majeure.

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Djeddah et Salalah sont les ports qui traitent le volume le plus important. Le port omanais est le principal hub de Maersk dans la région de l’océan Indien et la mer Rouge. L’armateur danois organise l’ensemble de ses services à destination de l’Afrique orientale, de l’océan Indien et de l’Afrique du Sud à partir de ce hub. Auparavant installé à Dubaï, Maersk quitte ce port à la fin de 1998 pour une position plus proche de la route maritime (Europe–Extrême Orient). En quittant Dubai (1315 mille marin102) excentré par rapport à l’axe principal de la route maritime pour Salalah (150 mille marins) beaucoup plus proche, Maersk réalise ainsi une économie de 3 jours de navigation pour ces gros porte-conteneurs (Tableau 12). Pratiquement dépourvu d’arrière-pays, le transshipment représente plus de 98% de l’activité du port. Salalah est exploité exclusivement par Maersk, car ses activités représentaient plus de 97% du trafic total en 2002 (Frémont, 2007, Ahmed Abdillahi, 2012). Bien que l’État omanais cherche à diversifier l’offre portuaire, à l’instar de Dubai, par le développement d’une zone franche capable de générer d’activités connexes, cela pose la question de la stratégie de Maersk. Puisque pour l’armement Salalah reste avant tout une plateforme d’éclatement d’où une politique commerciale exclusivement tournée vers ce type de trafic. Cependant, grâce à la présence de Maersk, Salalah est devenu en quelques années l’une des principales escales de transshipment sur cette route (Figure 25).

102Le mille marin ou nautique est défini comme étant l’unité de mesure de distance utilisée en navigation

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Figure 25 : le trafic de conteneur dans les principaux ports de la sous-région

Géographiquement, bien situé (8 mille marin) Djeddah est le principal port de commerce de l’Arabie Saoudite, principale économie du Moyen-Orient. Contrairement à Salalah, le transshipment ne représente pas la principale activité de Djeddah puisque les importations et les exportations nationales constituent l’essentiel du trafic portuaire (Tableau 12). Concédé à DPW, Djeddah, qui dispose de deux terminaux d’une capacité totale de plus de 9 millions EVP, a profité de cette politique de privatisation pour développer ses activités de transshipment. Toutefois, Djeddah a enregistré une baisse considérablement en 2009 suite à la perte d’une partie de l’activité de transshipment. Cette baisse est consécutive à la construction des nouveaux terminaux à sa proximité (Aqaba, Damiette) ce qui montre la volatilité de ce type de trafic. Aussi, le transshipment constitue une activité complémentaire pour le port saoudien contrairement à Salalah.

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Tableau 12: Caractéristiques des ports de la région de la mer Rouge.

Tarif en $ Déviation en miles nautiques %du transshipment par rapport trafic conteneurisé (*) Capacité en EVP (en milliers) 20’P 20’V 40’P 40’V DCT 141 112 201 137 35 49 1.2 Aden 40 40 80 80 6 4 0.7 Salalah 140 100 200 140 150 98 6 Djeddah* 149 149 223 223 8 32 3.7 Source : Ocean Shipping Consulting, Sites de ports, Cnuced, Ahmed Abdillahi, A (2012) : conteneurisation, stratégies des acteurs et le développement portuaire : cas de Djibouti, thèse de

Doctorat, Perpignan, 421p, P=Plein, V= Vide, * données relatives à l’année 2015 uniquement. Quant au port d’Aden, de par sa position géographique (en face de Djibouti), il est en concurrence directe avec le port djiboutien pour le trafic de transshipment comme ce fut aussi pour le soutage dans les années 50-60. Bien que le tableau 1 ne permette pas de mettre en évidence l’importance du trafic de transshipment pour Aden, car les données sont relatives à l’année 2015 où le pays connaît une guerre civile, ce dernier représentait une part très significative depuis l’ouverture du terminal en 1999. Souffrant de l’instabilité du pays, Aden connaît une situation difficile ces dernières années, car les lignes maritimes l’ont quasiment déserté. Elles ont ainsi transféré leur activité vers les autres ports de la région et notamment Djibouti où l’activité de transshipment a repris de la vigueur depuis 2011.

Face à la concurrence régionale, Djibouti ne manque pas d’atouts pour attirer davantage le transshipment. Tout d’abord, malgré l’étroitesse de son marché intérieur, Djibouti a l’avantage de disposer d’un important hinterland, en l’occurrence l’Éthiopie, capable de garantir à moyen terme un volume susceptible d’attirer les compagnies maritimes. Mais, l’Éthiopie ne constitue pas le seul horizon économique de Djibouti puisque le pays est également bien placé pour alimenter le Soudan du Sud, l’un de tout dernier État enclavé du continent. À cela s’ajoute le marché commun du COMESA dont Djibouti est l’une des portes d’entrée maritime.

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Ensuite, l’arrivée chinoise dans les infrastructures de transport a complètement changé la donne à Djibouti. Les multiples accords que l’État djiboutien a passés avec des entreprises chinoises (publiques et privées) ont pour objectif de faire de Djibouti un centre de redistribution des produits chinois pour une large partie du continent. Si les différents projets chinois sont tournés vers l’hinterland, il faut que noter que la fonction de transbordement peut être tributaire de l’activité de cette desserte. En d’autres termes, plus l’arrière-pays va générer du volume mieux sera pour le trafic de transshipment. Les projets avec la Chine ne cessent de prendre de l’ampleur de celui signé en janvier 2016, reste sans doute le plus emblématique. Il s’agit d’un projet de création d’une zone franche « Djibouti Silk Road Station 103» dédiée essentiellement aux produits chinois

destinés à l’Afrique orientale. Cette nouvelle zone franche renforcera les capacités logistiques et commerciales du pays et fera des installations portuaires djiboutiennes un point d’entrée pour une grande partie de l’Afrique. Cette zone franche d’une superficie de 3500 hectares qui sera construite et gérée par China Merchants Holdings, le plus grand opérateur portuaire chinois, implique déjà dans d’autres projets de transports à Djibouti. Ainsi, la stratégie djiboutienne pour capter plus de transshipment passe par le développement de projets capables de générer du volume qui est l’un des plus importants facteurs d’attractivité des compagnies maritimes. Selon le président des ports et zones de franches, l’arrivée prochaine de Cosco, le 5e armateur mondial devrait encore renforcer Djibouti dans sa quête de la « plateformisation ». Ainsi, par la création du volume, Djibouti se positionne pour être un centre d’éclatement régional.