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Piraterie dans le monde entre 2006 à

1 Création du port de Djibouti 887: une réponse aux préoccupations coloniales.

1.2 Des ports caravaniers aux nouveaux axes de communications

Bien que la mer Rouge et l’Afrique orientale ne soient pas dénuées d’intérêt. La mer Rouge et l’Afrique orientale ne commencent à intéresser réellement les Européens qu’avec le lancement des travaux de percement du canal de Suez au début du XIXe siècle. Les rivalités des puissances coloniales européennes pour la maîtrise et la sécurité de la route des Indes, attisées par l’ouverture prochaine du canal de Suez, seront à l’origine du renforcement de leur présence dans la région jusqu’à là sous domination ottomane. La présence européenne se manifeste, dans un premier temps, par l’établissement de comptoirs le long de la route des Indes et les signatures des traités avec les différentes tribus de la région. Les Britanniques seront le premier à prendre possession dans la région, avant même l’ouverture de Suez, par l’installation d’un comptoir à Aden en 1839. Ils seront suivis par les Français qui s’installent, à leur tour, à Obock sur la rive africaine de la mer Rouge en 1862 (quoique cette installation fût, au départ, symbolique du fait même de la médiocrité du site). Les différentes possessions britanniques et françaises (Aden, Obock) montrent l’importance de port nécessaire à la fois pour servir d’escale sur la route maritime, mais également point d’entrée vers les régions de l’intérieur (sauf le cas d’Aden).

La région n’était pas dépourvue d’installations portuaires avant l’arrivée des Européens puisqu’il existait déjà une multitude de ports, têtes de pont des pistes caravanières alimentant les régions de l’intérieur notamment l’Abyssinie. En allant du

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Nord au Sud, il s’agissait de ports portant les mêmes noms : Suakin (Soudan), Massawa (Érythrée), Tadjourah (Djibouti), Zeila, Berbera et Mogadiscio plus au sud (Somalie). Pôles de concentrations économiques pour le commerce régional, ces ports servaient de relais entre les principales cités commerçantes de l’époque telles que Harar, Aksoum, Ankobar ou encore Gondar situées à l’intérieur de l’Éthiopie (Ex- Abyssinie), les ports de l’Arabie (Aden, Hodeïda, Djeddah, etc.) et ceux de la péninsule indo-pakistanaise (Figure 12).

Dans un premier temps aux mains des Turcs qui occupaient l’ensemble des ports du pourtour de la mer Rouge, ces ports deviennent les points d’entrées des puissances européennes dans la région après le déclin de l’Empire ottoman. Cependant, le découpage des frontières imposé par la conquête coloniale produit dans la région une inversion des polarités. Aussi, les nouvelles configurations issues du découpage territorial contribuèrent à l’isolement de certains ports caravaniers de leur arrière-pays. Cette nouvelle forme spatiale est, à son tour, génératrice d’un enclavement politique (avec l’apparition de frontières étatiques) qui réoriente les flux commerciaux de la région.

Figure 12 : principaux ports et villes de la région avant 1870

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À partir de 1870, date à laquelle l’emprise européenne commence à être effective, la Corne de l’Afrique change complètement de physionomie. Les barrières politiques commencent à se mettre en place progressivement en créant des discontinuités spatiales entraînant le déplacement et la déconnexion de certains ports de leurs liaisons terrestres. La délimitation des territoires dans le contexte colonial occasionne d’importants changements en particulier les « réseaux de transport68 ». En effet, l’espace n’est plus ouvert, mais plutôt cloisonné du fait du partage orchestré par les puissances occidentales au préjudice souvent des réalités et des aspirations des populations locales (Figure 13).

En effet, de nombreuses études (Ndjambou, 2004, Kunth& Thorez, 2005, Thorez, 2007) ont montré les impacts du démantèlement des grands espaces territoriaux sur les réseaux de transport. Il s’agit ici de mettre en évidence les discontinuités consécutives à l’apparition de nouvelles frontières, remodelant, par ricochet, les flux et les réseaux de transports. En effet, Kunth et Thorez montrent comment le démantèlement de l’Union Soviétique a produit une discontinuité au niveau des réseaux transport dans les États de l’Asie centrale modifiant en profondeur les flux de marchandises suite à l’indépendance de ces États qui voient dans ces nouvelles frontières l’expression tangible de leur souveraineté.

Par ailleurs, les deux auteurs mettent en exergue également que toute nouvelle frontière constitue une contrainte pour les réseaux de transport et produit une réorientation des flux de marchandises « de telles transformations ne sont pas sans conséquence sur la circulation et les flux» (Kunth& Thorez, 2005, P.2). Autrement dit, cette transformation radicale de l’organisation restructure une grande partie du trafic de certains ports, en coupant de leur arrière-pays « naturel », et l’orientant vers d’autres ports

Les conclusions de ces études sont valables aussi pour le cas de l’Afrique qui a connu de changements frontaliers majeurs lors de la décolonisation : l’apparition des nouveaux Etats au sein des anciens blocs français (Afrique occidentale française, Afrique équatoriale française, etc.) ou Britannique engendre des discontinuités à caractère politique (Ndjambou, 2004).L’exemple de Zeila, principal port de la région, est la parfaite

68 Nous employons le terme réseau bien qu’il soit difficile de parler de réseaux de transport puisque pour

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illustration de cette nouvelle politique introduite par les Européens. Avant l’arrivée des Européens dans la région, Zeila fut l’un des plus importants ports de la région, rayonnant jusqu’à l’océan Indien en passant par la mer Rouge et l’Arabie « Zeila que les habitants de Harar nomment Aftali est le plus actif des ports de la côte après Mogadiscio » (Fontrier, 2003, P.42). Zeila était le principal port d’exportation du café récolté dans les hauts plateaux de la Corne, mais servait également comme port de transit pour les marchandises à destination des principales cités commerçantes en particulier Harar. Le port qui couvrait avant le découpage colonial un vaste territoire comprenant le Nord de la Somalie et une grande partie du territoire abyssin voit désormais son arrière-pays se limiter essentiellement au Somaliland dès 1897, possession britannique.

Figure 13: les principales colonies de l'Afrique de l'Est à partir de 1900

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La création de la ville de Djibouti, à environ une quarantaine de kilomètres, par les Français et la construction de la voie ferrée Djibouti – Addis-Abeba amorce le déclin économique de ce port. Cette voie pénétrante s’accapare l’essentiel du commerce éthiopien et renforce le port de Djibouti vis-à-vis de Zeila. Réduisant considérablement l’espace – temps, dorénavant, deux à trois jours suffisent pour atteindre les hauts plateaux éthiopiens avec le chemin de fer au lieu et place des trois semaines avec les caravanes. De plus, la quantité des marchandises transportées est nettement à l’avantage du train capable de déplacer en un seul voyage l’équivalent d’une centaine de dromadaires.

Certes, tous les ports caravaniers n’ont pas connu le même sort que Zeila, mais la plupart d’entre eux (Tadjourah, Massawa) ont été supplantés par les nouveaux ports (Djibouti, Assab)69. On observe ainsi que le découpage issu du partage du continent semble redessiner l’architecture des réseaux de transport. Ainsi, avec l’arrivée des puissances européennes dans la région, l’ensemble des réseaux de communications entre les principaux ports caravaniers et leur arrière-pays se trouve complètement remodelé (Figure 14: Nouvelles villes et nouveaux axes de communications).

Figure 14: Nouvelles villes et nouveaux axes de communications

Ismael.A.Guirreh &M.Nourayeh –Université de Djibouti - 2017

69La majeure partie des habitants de Zeila a migré vers Djibouti-ville ce qui accélère le déclin de la vieille cité

portuaire. A titre d’exemple, Bourhan Bey, le premier chef du village de Djibouti, est l’un des nombreux fils d’Ibrahim Aboubaker, dernier pacha de Zeila.

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