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Piraterie dans le monde entre 2006 à

Encadré 1 : Corrélation entre la période de pèlerinage et le trafic de bétail

1 Corridor : concept, limite géographique et dynamisme

Bien que le concept de corridor soit un terme polysémique (géologie, urbanisme, biologie, géographie), dans son acceptation géographique, il provient initialement des études d’analyse et de topologie (Kansky, 1963 ; Cole & King, 1968). Le corridor est utilisé pour décrire des processus de désenclavement des arrière-pays (Prentice, 1996,

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Debrie, 2001, Steck, 2004), pour identifier des axes de transport (Luiz & Paulo, 1996), mais également l’accès aux ressources (Neudorf& Hassan, 1996, Pelletier, 2012) ou encore pour décrire les réseaux routiers à différentes échelles (Doxiadis, 1978).

Le corridor sert aussi d’instrument de planification (Siarov, 2003) et constitue un élément fédérateur des différents acteurs (publics, privés) de la chaîne de transport (Reynaud et al. 1996). D’autres auteurs se sont penchés, quant à eux, sur la question relative à la délimitation du corridor, par le biais d’approches ou méthodes différentes. Il s’agit entre autres du modèle de gravité (Rodrigue, 2004), de l’offre et de la demande (Bruisma et al., 1997 ; De Corza-Souza, Cohen, 1999 ; Berthaud, David-Nozay, 2000) ou encore de l’analyse multicritères (Reggiani et al., 1995). Toutefois, selon Claude Comtois, il est illusoire et aléatoire de délimiter le corridor, quelle que soit la rigueur de la méthode employée étant donné que ce n’est pas l’analyse de la périphérie qui importe, mais plutôt son contenu (Comtois, Debrie, 2010 ; Comtois, 2012). Autrement dit, l’analyse doit davantage s’intéresser ou s’orienter vers ce qui favorise la concentration d’activités le long d’un axe par rapport un autre de taille similaire. Ceci explique le dynamisme du corridor, favorisé par plusieurs facteurs allant des conditions de transport et du marché, mais également de leur évolution respective et leur impact mutuel (Amjadi, Winters, 1997, Lakshmann, Anderson, 1999).

De ce fait, l’importance que revêt la compréhension des composantes physiques de corridors (les réseaux, les équipements de transport et de télécommunication) et non physiques (le capital, les connaissances, la main d’œuvre et les ressources appliquées aux réseaux physiques) demeure capitale. En dépit de la diversité de ses emplois, et quelles que soient les échelles et la discipline, le corridor est toujours abordé ou défini par rapport à sa forme continue, à sa fonction de conduit ou d’obstacle aux flux de matières ou/et d’informations (Carrière et al., 2008). Dans ce cas précis, quels sont les facteurs qui interviennent c'est-à-dire qui favorisent la formation des corridors ?

La littérature scientifique avance deux idées quant à la formation de corridor et leur consolidation. Une première qui met l’action sur l’importance des ports dans le développement des corridors (Klink, Berg, 1998 ; Robinson, 1998 ; Notteboom, Rodrigue, 2005). Ainsi, ces auteurs défendent le rôle historique des ports dans le développement

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des corridors, corridors qui permettent la connexion des arrière-pays portuaires aux façades maritimes.

La deuxième idée plus récente, quant à elle, privilégie le rôle des acteurs intervenant dans la chaîne logistique. Il s’agit des expéditeurs, des transporteurs, mais également des opérateurs (terminaux portuaires et plateforme logistique) qui contribuent au développement du commerce international grâce à leur capacité et leur savoir-faire pour surmonter les barrières et les obstacles frontaliers. C’est pourquoi par exemple Rimmer soutient que ce sont ces derniers (expéditeurs, transporteurs, etc.) qui sont à même de contribuer à l’intensification voire au développement des corridors (Rimmer, 1999).

Un autre fait marquant du développement des corridors est qu’à partir des années 90, leur promotion connaît une montée en puissance consécutive à l’ouverture et à l’accélération des flux d’échanges amorcée par la fin de la guerre froide. Cette politique d’ouverture prônée par les institutions internationales (OMC, BM, FMI), mais également par les organisations d’intégration régionales (COMESA, ASEAN, ALENA) contribue à une double mobilité des grands groupes aussi bien à l’échelle mondiale que régionale.

Aujourd’hui, l’intensification et la massification des échanges ne sauraient se faire sans l’amélioration des infrastructures de transport (CEMT, 2005). C’est la raison pour laquelle les espaces de transport et de communications au premier desquels se trouvent les corridors doivent être organisés en vue de refléter les profondes mutations de l’économie mondiale.

Cette logique est mise en évidence par la concentration des investissements sur quelques axes/corridors reliant généralement deux pôles économiques et impactant peu sur les territoires (ou espaces) intermédiaires traversés. Autrement dit, la logique économique des grands opérateurs mondiaux prime sur la politique de transport des États (Lombard, Ninot, 2012). En apportant plus facilement leur aide à la réhabilitation des voies existantes, mais rarement à la construction des nouvelles, les institutions financières internationales ne font que soutenir la logique économique des grands opérateurs de transport.

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En Afrique, les problématiques de développement sont généralement liées à la question des transports. La façon dont les différents territoires sont interconnectés et échangent leurs services a une influence décisive sur le développement du continent. La Commission Economique Africaine (CEA) est sensible à l’importance des transports et affirme que « les transports constituent l’un des éléments indispensables à la croissance et développement socio-économique » (CEA, 2007). L’organisme de programme des politiques de transport en Afrique subsaharienne (SSATP), quant à lui, met en évidence cette causalité en affirmant que «la compétitivité de l’ensemble des économiques du continent repose en grande partie sur le bon fonctionnement des corridors, en particulier pour les pays sans littoral » (SSATP, 2007). Le constat dressé par le programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) est encore plus frappant:

• 40 corridors principaux assurent 40% des échanges internationaux, • 19 ports assurent 70% des échanges internationaux,

• 53 aéroports représentent 90% du trafic aérien du continent montrant ainsi le rôle crucial des ports et des corridors en matière d’insertion de l’Afrique dans l’économie mondiale.

De ce fait, l'accessibilité et l’intégration au transport demeurent incontestablement des conditions nécessaires pour le développement. Il apparaît donc le rôle déterminant des corridors qui peuvent être désormais considérés comme de véritables vecteurs de développement (CNUCED, 2008).C’est dans cette optique qu’en 2003 le programme Almaty a été initié par les Nations Unies afin de soutenir le développement des infrastructures de transport en Afrique. Ce programme vise à faciliter le transit en particulier pour les pays enclavés et les petits pays insulaires. Dans le cadre de ce programme, 28 corridors ont été retenus sur l’ensemble du continent, c’est dire l’immense besoin du continent en matière d’infrastructures de transports.

Un autre fait marquant est que la majeure partie des corridors du continent africain répond davantage à une logique de sécurisation des transports face à l’instabilité politique que connaissent (ou ont connu) certains États littoraux (Côte d’Ivoire en 2000, Érythrée en 1998). Une autre particularité des corridors africains et qu’ils relient souvent deux pôles économiques majeurs. Il s’agit dans la plupart de cas d’une liaison entre un

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port et une ville (souvent la capitale d’un autre État) de l’intérieur pour servir de débouché maritime à un État enclavé (Brunet et al. 1992).

Bien qu’il ne s’agisse pas de faire une relecture du concept de corridor, nous pensons que ce cadre théorique devrait nous permettre d’engager notre réflexion sur les principaux corridors de l’Afrique de l’Est, en particulier ceux utilisés pour approvisionner l’Éthiopie, le pays le plus peuplé du monde en situation d’enclavement maritime. La façade est africaine n’a pas bénéficié d’une attention particulière exceptée les travaux de Hoyle (1970, 1978, 1983, 1986, 1993) consacrés essentiellement aux ports kenyan et tanzanien, et ce, à la différence de la façade ouest-africaine. Cette dernière a fait l’objet de nombreuses études (Charlier, 1995, 1996 ; Steck, 1996, 2004 ; 2012 ; Debrie, 2001; Debrie, Eliot, Steck, 2003 ; Ndjambou, 2004, Alix, 2012, 2013 ; Lombard &Ninot, 2010, 2013 ; Pelletier, 2012 ; Dicko, 2013 ; Lihoussou, 2015) consacrées entre autres à la concurrence interportuaire, relations villes – ports ou encore les liaisons avec les arrière- pays continentaux.

Ainsi, la transformation économique de l’Éthiopie et l’instabilité régionale semblent redistribuer les cartes entre les ports de l’Afrique de l’Est surtout ceux de la Corne d’Afrique, donc une concurrence plus âpre des différents corridors de transit de la région. Ce cheminement vers une plus grande concurrence entre les principaux corridors de la région laisse présager la bataille pour la place du hub régional capable de faire la connexion entre cette partie du continent et les courants (échanges) mondiaux.

L’instabilité est un facteur de redistribution portuaire, car dès lors qu’un État de la façade maritime connaît une déstabilisation, ses infrastructures de transport (port et corridors terrestres) ne sont plus en mesure d’alimenter l’arrière-pays. Ceci oblige souvent les États continentaux, mais également les opérateurs de transport à adapter leur stratégie en orientant leur trafic vers d’autres ports et corridors. De ce fait, dans un marché aux potentialités limitées, toute fermeture d’une voie de transit est l’occasion pour d’autres de se positionner pour capter le transit à destination des régions de l’intérieur. Elle est aussi l’occasion pour les États enclavés de diversifier leurs voies d’approvisionnement. Ainsi, le facteur instabilité constitue l’un des principaux éléments de concurrence interportuaire sur le continent africain.

Page 158 1.1 Les principaux corridors d’approvisionnement éthiopien

En dépit de l’utilisation quasi exclusive du port de Djibouti pour ses approvisionnements depuis 1998, l’Éthiopie dispose également de plusieurs autres possibilités portuaires allant de Port-Soudan (Soudan) jusqu’à Mombasa (Kenya) en passant par Assab et Massawa (Érythrée) et Djibouti. À cela s’ajoutent les ports somaliens (Mogadisho, Bossaso, Kismayo etc.) notamment celui de Berbera au nord du pays.

Toutefois, à l’heure actuelle, les Éthiopiens ne peuvent pas utiliser simultanément ces différents ports soit pour des raisons de distance géographique (Port-Soudan, Mombasa), politique (ports érythréens), soit pour des raisons de limites infrastructurelles (ports somaliens). En fait, les ports de Port-Soudan, de Massawa et de Mombasa sont excentrés par rapport au cœur de « l’Éthiopie utile », composé des régions densément peuplées où se concentrent les principales villes éthiopiennes (Dire-Dawa, Nazareth, Debre-Zeyt, Addis-Abeba). Quant aux principaux ports somaliens, excepté Berbera, ils restent inutilisables en raison de la situation politique du pays en proie à la guerre civile depuis la chute de Siad Barré en 1991 (Figure 31).

Au-delà des facteurs géographiques ou infrastructurels faisant que l’Éthiopie utilise certains corridors comme de voie exutoire alors que d’autres sont très rarement sollicités résulterait en grande partie de la période coloniale. Pour bien comprendre cette inégale utilisation de ces différents corridors par l’Éthiopie, en particulier, la singularité des corridors kenyan et soudanais, il est nécessaire de revenir au partage de la région par les puissances coloniales à la fin du XIXe siècle. Après avoir échappé à la domination européenne, l’Éthiopie a fait le choix de lier principalement son destin économique à la France à travers sa colonie (actuelle Djibouti). C’est pourquoi le cloisonnement territorial consécutif au découpage (cf.1.3.2) colonial a restreint principalement le transit éthiopien sur les corridors djiboutien et érythréen.

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Figure 31: les principaux ports corridors pour l’Éthiopie

Par conséquent, comme nous l’avons déjà montré (cf. partie 1) les autorités éthiopiennes avaient privilégié l’option française c'est-à-dire le port de Djibouti. En effet, dès l’entrée en fonction de la voie ferrée Djibouti – Addis-Abeba en 1917, l’essentiel des échanges éthiopiens est concentré sur Djibouti (Pinneda, 1995). Les autres corridors d’approvisionnement n’étaient pas certes complètement fermés au regard des statistiques des années 30 : Djibouti 70 %, Soudan 12 %, Érythrée 8 %, Somalie (italienne) 6 % et Somaliland 3 % (Zervos, 1935). Toutefois, elles mettent en évidence qu’avec la rentrée en activité de la ligne ferroviaire, Djibouti devient la principale porte d’entrée de l’Éthiopie. Cette prédominance du corridor Djibouti – Addis-Abeba s’observera tout au long du XXe siècle.

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Les corridors « britanniques » ont historiquement faiblement servi l’Éthiopie, confirmant ainsi l’influence du morcellement géopolitique et administratif de la période coloniale sur les réseaux de transport du continent (Hoyle, Charlier, 1995).

De ce fait, l’Afrique de l’Est n’a pas échappé à cette situation, en particulier, l’Éthiopie qui privilégie toujours les corridors de l’époque coloniale. Même si les Éthiopiens souhaitent diversifier les options portuaires pour des raisons sécuritaires, mais aussi dans le souci de permettre à chaque région de s’approvisionner au port le plus proche pour leur développement économique (Tamru, 2012). Ainsi, le port de Berbera servirait la région somalienne de l’Éthiopie tandis que les régions du nord (Amhara, Tigrée) s’approvisionneraient à partir de Port-Soudan. Il n’empêche que la situation du transport international notamment les liaisons entre l’Éthiopie et ses voisins littoraux demeurent encore tributaires des anciennes pistes et réseaux de transport. Ainsi, au lendemain des indépendances, rares sont les États africains qui ont initié une politique de transport capable d’inverser les systèmes issus de cette période.

1.2 Primauté du corridor djiboutien : un choix d’origine politique

Si la domination de la voie de sortie de l’Éthiopie est depuis 20 totalement djiboutienne, les liens entre ce pays et le port de Djibouti remontent l’émergence même des deux pays à la fin du XIXe. Les voies utilisées par les marchandises éthiopiennes montrent sur le long terme remarquablement stable : la voie ferrée inaugurée dès 1917 et la route de Galafi (comme la nomme les Djiboutiens) bien plus tard. Ces deux corridors ont bien joué un rôle particulier pour Djibouti, leur fonctionnement est différent.

2 Le chemin de fer : premier corridor d’approvisionnement de l’Éthiopie moderne