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La prise de conscience des limites de l’approche sécuritaire des migrations

LOGIQUE DE MOBILITÉ ?

2.2 La prise de conscience des limites de l’approche sécuritaire des migrations

Les événements tragiques qui ont eu lieu à Ceuta et Melilla en 2005, ainsi que l’augmentation des pateras arrivées sur les îles Canaries, ont provoqué un changement dans la dimension externe de la politique espagnole d’immigration.

La dimension externe de la politique migratoire s’est initiée dans les années 1990 avec, nous l’avons déjà évoqué, la signature d’un premier accord, l’Accord de Malaga, entre l’Espagne et le Maroc en 1992. Par cet accord, le Maroc s’engage à réadmettre toute personne ayant transité sur son territoire63. Néanmoins, la mise en œuvre de l’accord n’aura lieu qu’en 2005, suite aux événements survenus dans les enclaves espagnoles64. Ce n’est qu’à partir de l’an 2000 que l’Espagne développera davantage ses relations avec les pays africains en termes de migrations. Nous avons déjà évoqué qu’à partir de cette année-là, l’Espagne a vu ses nombres de migrants, réguliers et irréguliers, augmenter de manière exceptionnelle. Les pays africains étant plutôt réticents à la signature d’accords consacrés exclusivement à la réadmission, seulement cinq accords sont signés entre 1992 et 2003 (García Andrade, 2008). Le dénominateur commun de ces accords concerne les réadmissions de personnes en situation irrégulière. Il s’agit ainsi, là encore, d’une politique fondée sur le contrôle65, privilégiant les intérêts du pays de destination (l’Espagne) à ceux des pays de départ (causes de l’immigration clandestine par exemple).

C’est la Commission européenne qui constate que le succès des négociations des accords de réadmissions dépend des « mesures d’incitation qui pourraient être offertes aux pays tiers et qui devraient alors s’inscrire dans le cadre d’un agenda de coopération plus large » (García Andrade, 2008 :18). Suite à cette prise de conscience, l’Union européenne va développer une nouvelle orientation des politiques extérieures en matière d’immigration.

Suite aux événements de Ceuta et Melilla en 2005, le gouvernement espagnol demande d’inscrire la question migratoire à l’ordre du jour du Sommet de Chefs d’État et de >ĞƐĂĐĐŽƌĚƐŶĞĐŽŶĐĞƌŶĞŶƚƉĂƐůĞƐƌĠĂĚŵŝƐƐŝŽŶƐĚĞDĂƌŽĐĂŝŶƐĞŶƐƉĂŐŶĞ͘ ^ƵŝƚĞĂƵdžĂƐƐĂƵƚƐĞŶϮϬϬϱ͕ůĞŐŽƵǀĞƌŶĞŵĞŶƚŵĂƌŽĐĂŝŶĂĂĐĐĞƉƚĠĚĞƌĂƉĂƚƌŝĞƌϳϯĚĞƐŵŝŐƌĂŶƚƐĂLJĂŶƚƌĠƵƐƐŝă ĞŶƚƌĞƌĚĂŶƐůĞƐĞŶĐůĂǀĞƐ͘EĠĂŶŵŽŝŶƐ͕ƐĞůŽŶůĞƐĂƵƚŽƌŝƚĠƐĞƐƉĂŐŶŽůĞƐ͕ĐĞƐĚŝƚƐƌĂƉĂƚƌŝĞŵĞŶƚƐŶ͛ŽŶƚƉĂƐĞƵůŝĞƵĞŶ ǀĞƌƚƵ ĚĞ ů͛ĂĐĐŽƌĚ ĚĞ ϭϵϵϮ͕ ŵĂŝƐ ĞŶ ƌĂŝƐŽŶ ĚĞ ͨďŽŶŶĞƐ ƌĞůĂƚŝŽŶƐ ƋƵŝ ƵŶŝƐƐĞŶƚ ůĞƐ ĚĞƵdž ƉĂLJƐ Ğƚ ƉĂƌ ƵŶ ŐĞƐƚĞ ĞdžĐĞƉƚŝŽŶŶĞů ĚĞ ƐŽůŝĚĂƌŝƚĠͩ ;ů DƵŶĚŽ͕ ůĞ ϭϯ ŽĐƚŽďƌĞ ϮϬϬϴ͕ ŝŶ 'Ăƌкà ŶĚƌĂĚĞ͕ ϮϬϬϴ͗ ϳͿ͘ WŽƵƌ ůĞƐ ĂƵƚŽƌŝƚĠƐ ĞƐƉĂŐŶŽůĞƐ͕ ů͛ĂĐĐŽƌĚ ĚĞ ϭϵϵϮ ŶĞ Ɛ͛ĂĚĂƉƚĞ ƉĂƐ ă ůĂ ƌĠĂůŝƚĠ ĂĐƚƵĞůůĞ͗ ůŽƌƐ ĚĞ ůĂ ƐŝŐŶĂƚƵƌĞ ĚĞƐ ĂĐĐŽƌĚƐ͕ ůĞ ƉĂLJƐ Ŷ͛ĠƚĂŝƚƉĂƐĞŶĐŽƌĞůĞƉĂLJƐĚĞƚƌĂŶƐŝƚƋƵ͛ŝůĞƐƚĚĞǀĞŶƵĂƵũŽƵƌĚ͛ŚƵŝ;'ĂƌĐşĂŶĚƌĂĚĞ͕ϮϬϬϴ͗ϳͿ͘  >Ă ƉŽůŝƚŝƋƵĞ ŵŝŐƌĂƚŽŝƌĞ ĨŽŶĚĠĞ ƐƵƌ ĚĞƐ ŝŶƐƚƌƵŵĞŶƚƐ ĚĞ ĐŽŶƚƌƀůĞ ŝŶĐůƵƚ ĚĞƐ ͨŵĠĐĂŶŝƐŵĞƐ ĚĞ ĐŽŶƚƌƀůĞ ĂƵdž ĨƌŽŶƚŝğƌĞƐ͕ ĚĞ ůƵƚƚĞ ƉŽůŝĐŝğƌĞ Ğƚ ũƵĚŝĐŝĂŝƌĞ ĐŽŶƚƌĞ ůĞƐ ƌĠƐĞĂƵdž ĚĞ ƚƌĂĨŝĐ ŝůůĠŐĂů ĚĞ ƉĞƌƐŽŶŶĞƐ͕ ĚĞ ƌĞƐƚƌŝĐƚŝŽŶ ĞŶ ŵĂƚŝğƌĞ ĚĞ ǀŝƐĂƐ Ğƚ ůĞ ƌĂƉĂƚƌŝĞŵĞŶƚ ĨŽƌĐĠ ĚĞƐ ŵŝŐƌĂŶƚƐ ĐůĂŶĚĞƐƚŝŶƐ ǀĞƌƐ ůĞƵƌƐ ƉĂLJƐ Ě͛ŽƌŝŐŝŶĞ ŽƵ ĚĞ ƚƌĂŶƐŝƚͩ ;'ĂƌĐşĂŶĚƌĂĚĞ͕ϮϬϬϴ͗ϰͿ͘

Gouvernement de l’Union européenne, tenu à Hampton Court (Royaume Uni) le 27 octobre 2005. Ici, les grandes lignes d’action à suivre dans la coopération avec l’Afrique sont définies. Le sommet constitue ainsi le point de départ pour l’appropriation, au Conseil européen de décembre 2005, de « l’Approche Globale sur la question des migrations : Priorités d’action centrées sur l’Afrique et la Méditerranée »66. Paula García Andrade (2008) définit l’approche globale des migrations comme « une conception politique qui essaierait de tenir compte aussi bien des intérêts des pays de destination que de ceux des pays d’origine et de transit au moment d’affronter le phénomène migratoire. Il s’agirait alors de combiner des instruments de contrôle de type sécuritaire avec des mécanismes de gestion des flux migratoires légaux, sans oublier la mise en place des moyens préventifs consacrés à réduire la nécessité de migrer » (García Andrade, 2008 : 20).

2.2.1 Le cas espagnol : la Plan Afrique 2006-2008

En Espagne on se rend compte que la coopération avec le Maroc dans le contrôle des frontières maritimes et terrestres, tout comme l’établissement du SIVE dans le détroit de Gibraltar, n’ont fait que déplacer les routes de plus en plus vers le sud (Mauritanie, Sénégal et Guinée Conakry). Nous pouvons alors dire que l’année 2005 marque le début d’une nouvelle étape de la politique migratoire espagnole.

Cette réorientation s’est plus particulièrement concrétisée par l’adoptation du Plan Afrique en 200667. Il s’agit d’un plan dirigé vers les relations politiques, économiques et sociales avec les pays de l’Afrique Subsaharienne. La période de l’application est celle de 2006-2008. Les relations entre l’Espagne et cette partie du monde étant jusque-là très timides, le plan comble un vide historique de la politique extérieure espagnole (Iranzo 2006, in García Andrade, 2008 : 21). Plusieurs objectifs sont définis dans le plan : la coopération pour gérer les flux migratoires ; la consolidation de la démocratie, des droits de l’homme, de la paix et de la sécurité ; la lutte contre la pauvreté ; la participation active au développement de la Stratégie de l’Union européenne pour l’Afrique ; le renforcement des échanges économiques et la stimulation des investissements ; l’accroissement de la coopération culturelle et, enfin, l’augmentation de la projection politique et de la présence institutionnelle espagnole dans la région.

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Malgré la diversification des objectifs du plan, se dégage cependant l’idée selon laquelle l’Espagne aurait construit cette politique avec comme (seul) objectif de réduire l’immigration irrégulière en provenance de l’Afrique Subsaharienne. Néanmoins, même si tel est le cas, il convient de souligner que, par la mise en place de ce plan, l’Espagne contribuerait au développement du continent. Chose qu’elle n’aurait probablement pas faite si l’accroissement de l’immigration irrégulière africaine ne s’était pas produit. De plus, les aides que recevront les pays, ne semblent pas dépendre de leur collaboration dans le contrôle des flux migratoires.

2.2.2 Les trois dimensions du Plan

Le Plan Afrique concerne trois aspects : l’interne, le multilatéral et le bilatéral. Sur le plan interne, l’Espagne renforcera les mesures de contrôle des frontières et perfectionnera les mécanismes d’obtention d’information sur les routes migratoires ainsi que sur les réseaux de l’immigration illégale. Aussi, tout en acceptant le respect des droits de l’Homme et du droit international, le gouvernement accélèrera les procédures de rapatriement immédiat des migrants arrivant sur le territoire national de façon irrégulière. Mais la dimension interne du plan contient aussi des mesures visant l’intégration des immigrés en Espagne : renforcer le rôle des diasporas en Espagne et en Europe ; soutenir plus fermement les administrations régionales et locales ainsi que les ONG consacrées à l’accueil des migrants ; établir des nouvelles lignes budgétaires spécifiques pour les questions migratoires et, enfin, favoriser l’intégration du collectif africain en Espagne par le biais d’une meilleure connaissance mutuelle des deux cultures.

La dimension multilatérale du plan encourage des initiatives et projets au niveau international afin d’aborder les questions migratoires de manière conjointe entre les pays de destinations, d’origine et de transit des flux migratoires. La conférence ministérielle eurafricaine sur la migration et le développement tenue à Rabat en 2006 constitue un premier exemple d’une telle initiative.

Sur le plan bilatéral, le gouvernement espagnol souligne l’importance de l’approche globale et rompt avec l’approche exclusivement sécuritaire des années précédentes. L’Espagne fera ainsi l’effort de conclure des accords de coopération et de réadmission de « la nouvelle génération » avec des pays dits prioritaires comme le Sénégal, le Mali, le Ghana, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Cap-Vert, la Guinée-Conakry et la Gambie. La dimension bilatérale prévoit également une augmentation des déplacements, visites et contacts politiques

entre l’Espagne et l’Afrique, notamment pour l’établissement d’ambassades dans des pays où l’Espagne était jusque-là absente.

Il est probablement trop tôt pour tirer des conclusions globales de l’impact et de l’efficacité du Plan Afrique 2006-2008. Nous pouvons toutefois avancer que malgré cette réorientation récente de la politique extérieure espagnole, l’approche sécuritaire semble toujours prévaloir dans les faits. Il faut également souligner la forte médiatisation de l’immigration irrégulière en provenance de l’Afrique. Cette dernière, n’aurait-elle pas influencé le rang des préoccupations de la politique espagnole ? Car les flux migratoires d’origine africaine ne sont pas les plus importants en Espagne ; ceux provenant de l’Amérique du Sud les dépassent largement, et cela tant par leur aspect régulier que par leur aspect irrégulier.

3 LE PAYSAGE MIGRATOIRE ESPAGNOL D’AUJOURD’HUI

Il s’agit de dresser un tableau quantitatif de la population étrangère en Espagne : premières nationalités, sexe, âge, type du permis de séjour, et répartition spatiale. Les données ici présentées sont majoritairement celles de l’Anuario Estadístico de Inmigración 2007, publié par l’Observatorio Permanene de la Inmigración. Ces dernières correspondent soit à la date du 31 décembre 2007, soit à une date antérieure à celle-ci lorsque les données du 31 décembre ne sont pas disponibles, soit à l’ensemble de l’année 2007. D’autres données sont issues du

Padrón, notamment celles présentées dans la partie sur la répartition spatiale de la population

étrangère en Espagne. Les données du Padrón correspondent à la date du 1er janvier 2008 et prennent également en compte, nous le rappelons, les étrangers en situation irrégulière.

3.1 Principales données sociodémographiques de la population étrangère en Espagne