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LOGIQUE DE MOBILITÉ ?

1.1 De l’émigration à l’immigration

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L’objectif de ce chapitre est de contextualiser la situation migratoire en Espagne. Encore pays d’émigration dans les années 1980, l’Espagne est aujourd’hui parmi les premiers pays récepteurs de migrants dans le monde. Nous tenterons alors de comprendre cette transition migratoire, ses réponses politiques et, par là, les logiques de mobilités dans l’espace migratoire espagnol30.

1 L’ÉTAT ESPAGNOL ET SA POLITIQUE MIGRATOIRE. QUELLE

LOGIQUE DE MOBILITÉ ?

1.1 De l’émigration à l’immigration

1.1.1 L’émigration espagnole

Le début de l’émigration espagnole dans l’histoire contemporaine remontre au XIXe siècle.

C’est vers l’Algérie qu’une première vague de migrants espagnols se dirige dès 1830, l’année de la conquête française du pays. Ces premiers départs sont principalement liés à l’accroissement démographique de l’Espagne et, par là, à son incapacité à absorber la population active. En 1890, l’Algérie compte 160 000 Espagnols, pour la plupart originaires de l’Espagne de l’Est ou des îles Baléares. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, environ 30 000 pieds-noirs s’installent dans la région d’Alicante, non sans y laisser des empreintes31 (Martin-Muñoz, 2002).

Une deuxième vague de migrants Espagnols est celle qui se dirige vers l’Amérique Latine. Ces flux, beaucoup plus importants que ceux vers l’Algérie, commencent autour de ϯϬ   >Ă ƌĂƉŝĚŝƚĠ ĚĞ ů͛ĠǀŽůƵƚŝŽŶ ĚĞ ů͛ŝŵŵŝŐƌĂƚŝŽŶ ĚĂŶƐ ůĞ ƉĂLJƐ Ă ŵġŵĞ ĐĂƵƐĠ ƋƵĞůƋƵĞƐ ĚŝĨĨŝĐƵůƚĠƐ ƋƵĂŶƚ ă ůĂ ƌĠĚĂĐƚŝŽŶ ĚĞ ĐĞ ĐŚĂƉŝƚƌĞ͗ ĐĞƌƚĂŝŶƐ ƉĂƐƐĂŐĞƐ ĂLJĂŶƚ ĠƚĠ ĠĐƌŝƚƐ ă ů͛ĂƵƚŽŵŶĞ ϮϬϬϴ͕ ĚĞƵdž ĂŶƐ ƉůƵƐ ƚĂƌĚ ůĂ ƌĠĂůŝƚĠ Ŷ͛ĞƐƚƉůƵƐůĂŵġŵĞ͘WŽƵƌƵŶĞĐĞƌƚĂŝŶĞĐŽŚĠƌĞŶĐĞĞŶƚƌĞůĞƐĚŽŶŶĠĞƐƉƌĠƐĞŶƚĠĞƐĚĂŶƐĐĞĐŚĂƉŝƚƌĞĞƚĐĞůůĞƐŝƐƐƵĞƐ ĚĞƐƌĞĐŚĞƌĐŚĞƐĞŵƉŝƌŝƋƵĞƐ;ϮϬϬϳͲĚĠďƵƚϮϬϬϵͿ͕ũ͛ĂŝĐŚŽŝƐŝĚĞŵŽŝŶƐŵĞĨŽĐĂůŝƐĞƌƐƵƌůĂƉĠƌŝŽĚĞĨŝŶϮϬϬϵͲϮϬϭϬ͘ :͛LJĨĂŝƐƚŽƵƚĞĨŽŝƐƌĠĨĠƌĞŶĐĞůŽƌƐƋƵĞũĞũƵŐĞĐĞůĂŶĠĐĞƐƐĂŝƌĞ͘>ĂƉƌŽŵƵůŐĂƚŝŽŶĚĞůĂĚĞƌŶŝğƌĞůŽŝƐƵƌů͛ŝŵŵŝŐƌĂƚŝŽŶ ĞŶƐƉĂŐŶĞ;ĨŝŶϮϬϬϵͿĐŽŶƐƚŝƚƵĞƵŶƉƌĞŵŝĞƌĞdžĞŵƉůĞ͘ WŽƵƌƉůƵƐĚ͛ŝŶĨŽƌŵĂƚŝŽŶƐƵƌůĞƐƉŝĞĚƐͲŶŽŝƌƐĞŶƐƉĂŐŶĞ͕ǀŽŝƌů͛ĂƌƚŝĐůĞĚĞ:ƵĂŶ:ĞĂŶͲWĂƵů^ĞŵƉĞƌĞ;ϮϬϬϬͿͨ>ĞƐ ƉŝĞĚƐͲŶŽŝƌƐăůŝĐĂŶƚĞͩ͘

1850 et comme pour la première vague, la raison du départ est économique ; l’économie espagnole est en retard et le continent américain à besoin de main d’œuvre. L’Argentine et Cuba constituent les deux premiers pays d’accueil de cette vague migratoire. Suite au krach économique de 1929, les politiques migratoires des pays latino-américains deviennent plus restrictives et l’émigration économique espagnole vers le continent ralentit. En 1950, le continent américain compte tout de même 3.5 millions d’Espagnols, majoritairement originaires de la Galice et de l’Andalousie. Ce n’est que dans les années 1970 que cette migration cesse définitivement. Parallèlement au ralentissement de l’émigration économique se produit une nouvelle vague, politique cette fois et liée à la guerre civile espagnole (1936-1939). Le Mexique et le Chili sont les deux premiers pays d’accueil de ces migrants politiques (Martin-Muñoz, 2002).

Les départs vers l’Europe constituent la dernière vague de migrants Espagnols. Ces départs sont particulièrement significatifs à partir de la fin des années 1950. La Suisse, l’Allemagne et la France constituent les trois premiers pays d’installation des migrants espagnols en Europe. Des conditions économiques toujours en retard, le régime franquiste (1937-1977) et l’appel des pays européens en plein développement économique à une main-d’œuvre originaire des pays moins développés sont, nous le savons, les facteurs explicatifs des départs des Espagnols vers l’Europe. Ces migrants sont originaires de toute l’Espagne, leur nombre dépasse les deux millions et les remises de fond qu’ils envoient au pays jouent un rôle important dans le développement économique de l’Espagne.

Parallèlement à cette période, l’Espagne sort progressivement de son autarcie

économique, notamment par la signature d’accords avec les États-Unis, l’augmentation du tourisme et le développement urbain et industriel. Cette nouvelle situation favorise également les migrations espagnoles internes, comme celles vers la Catalogne32. Enfin, avec la mort de Franco en 1975 et la fin du régime totalitaire, démarre un nouveau cycle politique en Espagne. Ce dernier s’accompagne d’une profonde reconversion de l’infrastructure de production, permettant l’obtention d’indices de développement supérieurs à la moyenne des pays de l’Union européenne (Martin-Muñoz, 2002). Le nouveau cycle compte également de nombreux émigrés retournés au pays. Dans les années 1970, la fin de la croissance économique post-guerre et la crise du pétrole entraînent une baisse de l’emploi dans l’Europe occidentale de l’époque. En 1974, certains pays européens, dont la France, ferment même

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leurs frontières à l’immigration. Entre 1975 et 1980, 650 000 émigrés espagnols retournent au pays (Collectif IOE, 2002). Il semble donc y avoir un lien entre la fermeture des frontières et le retour des émigrés au pays. Nonobstant, l’Espagne compte toujours un grand nombre d’expatriés. En 2001, pour chaque immigré se trouvant en Espagne, il y avait toujours deux Espagnols résidant à l’étranger (Collectif IOE, 2001 : 11).

1.1.2 L’immigration et son évolution

Jusqu’en 1960, la présence étrangère en Espagne est peu importante. Environ 55 000

étrangers résident en Espagne au milieu du XXe siècle. La proportion entre émigrés et

immigrés est alors de 100 pour 1 (Collectif IOE, 2002). À partir des années 1960, on note un timide accroissement des arrivées. Il s’agit majoritairement de retraités Européens en quête d’un climat doux et d’un coût de vie inférieur à ce qu’ils trouvent dans leur pays d’origine. Durant cette période viennent également quelques migrants politiques originaires de la Guinée ou de l’Amérique latine (López Sala, 2002). En 1960, les étrangers représentent 0.2% de la population, en 1970 le pourcentage s’élève à 0.4%. Il s’agit d’une augmentation très discrète, mais réelle (Collectif IOE, 2002).

Entre 1975 et 1980, le pays se trouve dans une phase pré-initiale de l’immigration ; le solde migratoire est toujours négatif et les chiffres des étrangers résidents oscillent entre 165 286 et 183 264. Ces étrangers sont majoritairement des Européens ou des Sud-Américains. Seulement 3 000 sont des Nord-Africains (Izquierdo, 1996, cité par Moya Malapeira, 2006). Une économie peu attractive (crise du pétrole au niveau international, inflation élevée, taux de chômage considérable) et un climat politique instable (terrorisme persistant, climat d’incertitude politique générale, crise du parti politique Unión de Centro

Democrático, UCD, à la tête du gouvernement entre 1977 et 1982) font que l’Espagne ne se

présente pas comme un pays d’immigration attrayant (Moya Malapeira, 2006).

Les années 1980-1985 marquent un changement de scénario avec une stabilisation politique (après le coup d’État du 23 février en 1981) et économique (avec les négociations liées à l’adhésion du pays dans l’Union européenne notamment). Les arrivées commencent alors à augmenter de façon plus significative, marquant la phase initiale de l’immigration. À la fin de cette période, en 1985, le pays compte environ 250 000 étrangers en situation régulière et entre 100 000 et 250 000 personnes en situation irrégulière, soit une augmentation de 36% par rapport à l’année 1980 (ibid.). Durant la période 1985-1990, la situation politique se stabilise davantage et, conséquence de l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne

(1985), la situation économique s’améliore. Le besoin d’une main-d’œuvre non qualifiée peut expliquer l’augmentation des étrangers de cette période. On remarque des arrivées de certains pays de l’Amérique latine, du Maroc, de Chine et des Philippines. Ces migrations sont d’ordre économique et témoignent d’une Espagne comme pays d’installation (Izquierdo, 1992, 1996

in López Sala, 2002). Aussi, suite à un durcissement des politiques migratoires dans des pays

comme, par exemple, la France au milieu des années 1980, on note également des arrivées de migrants auparavant installés dans d’autres pays européens (Ma Mung, 2005).

Le rythme s’accélère davantage à partir des années 1990. En 1991, suite à des procédures de régularisation, le nombre d’étrangers en situation régulière est de 360 655. On note également une augmentation des arrivées de Marocains. En 1991, près de 50 000 Marocains résident en Espagne. (Moya Malapeira, 2006). En 1995, le nombre d’étrangers du pays est de 449 733 personnes. En 1999, le nombre est de 801 329 personnes. Carvajal Gómez (2006) explique l’augmentation de l’immigration en Espagne durant les années 1990 par la situation socioéconomique du pays, certes, mais également par les dispositifs mis en place par l’État espagnol permettant aux étrangers l’obtention d’un permis de séjour (période de régularisation, mis en place du contingent et ré-documentation, nous y reviendrons plus longuement dans la partie politique).

Enfin, malgré les arrivées dans les années 1990, l’évolution la plus significative de l’immigration en Espagne n’a lieu que dans les années 2000. Entre 2000 et 2008, le pays compte une augmentation annuelle d’étrangers résidents allant de 213 340 à 957 206 personnes, soit une augmentation moyenne annuelle de 409 170 personnes. C’est en 2000 que 1’on passe la barre symbolique d’un million. En 2002, on arrive à 1 300 000 pour arriver à 1. 650 000 en 2003. En 2004, on est tout près des deux millions pour arriver à 2 700 000 en 2005. La grande différence entre 2004 et 2005 s’explique par la régularisation de près de 600 000 étrangers en situation irrégulière en mai 2005 (nous y reviendrons). En 2006, le chiffre dépasse les trois millions et en 2007 on frôle les quatre millions. La très forte augmentation entre 2006 et 2007 s’explique par l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union européenne ; une partie importante de ces migrants résidaient auparavant de façon irrégulière sur le territoire espagnol. En juin 2008, l’Espagne compte 4 169 000 étrangers en situation régulière, soit 9% de la population totale.

Tableau 4: L’évolution du nombre d’étrangers en situation réguliers (1995-200833)

Année Nombre Augmentation par rapport à l'année précédente

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Source : ministère du Travail et des Affaires Sociales espagnol (MTAS).

En comparant ce chiffre à celui du Padrón (chiffre du 1er janvier 2008) qui, nous

l’avons déjà vu, inclut les étrangers en situation irrégulière, nous pouvons avancer qu’un million de personnes serait aujourd’hui en situation irrégulière en Espagne34. Ce chiffre est néanmoins, comme nous l’avons souligné, à prendre avec précaution.

1.2 Le début d’une politique migratoire : l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne et l’élaboration de la loi organique 7/1985

Jusqu’au milieu des années 1980, les étrangers pouvaient entrer et se régulariser sur le territoire espagnol sans trop de difficultés et la question migratoire était quasiment un thème inexistant (Gil Araújo, 2002). C’est l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne qui va pousser le pays et le gouvernement du Parti Socialiste (PS) à élaborer une première loi sur les étrangers. Le contrôle des frontières espagnoles étant désormais un enjeu européen, la promulgation d’une loi est une condition sine qua non pour entrer dans l’Union. La Commission européenne joue ainsi un rôle important dans l’élaboration de cette première loi, déterminant non seulement le moment de son apparition, mais également le type de politique

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à adopter. Une loi sur l’asile est alors approuvée en 1984, et la loi des Droits et Libertés des Étrangers, aussi appelée la loi Organique 7/85 (Ley Orgánica 7/1985 de Extranjería), est votée en 1985, six mois avant l’entrée de l’Espagne dans l’Union (1986). Cette année est également celle d’une première régularisation d’immigrés. 43 800 personnes obtiennent alors leurs papiers. L’opinion publique reste indifférente face à cet événement, de même que le débat politique à ce sujet reste rare (Collectif IOE, 2001, López Sala, 2002).

La loi organique 7/85 met en place une politique d’immigration centrée sur le contrôle des flux et l’ordre public : l’entrée, les papiers d’identité obligatoires pour travailler et résider et les procédures d’expulsion. Dans le texte, le migrant est défini plus comme de la main-d’œuvre économique que comme un sujet de droits ; l’accès aux droits économiques et

sociaux est limité35, aucun permis de travail ou de résidence de durée permanente n’est

envisagé et le droit au regroupement familial n’est pas garanti. En outre, le texte définit l’immigration comme temporaire et la question de l’intégration sociale des immigrés n’est pas abordée (Collectif IOE, 2001 ; López Sala, 2002). La promulgation de cette loi est en effet plus le résultat de pressions externes qu’une réponse directe à la situation du pays : la présence étrangère y est toujours faible et la société espagnole a à peine conscience que ce domaine requiert une intervention gouvernementale (López Sala, 2002). Enfin, malgré l’accent mis sur le contrôle des frontières, la politique migratoire espagnole reste largement plus souple que celle d’autres pays européens. Le peu de contrôles et la possibilité d’intégrer l’économie informelle sans trop de difficultés vont progressivement attirer de plus en plus de migrants vers l’Espagne.