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3 LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS

2.1 Le Centre d’accueil du Père Antonio

Le Centre d’accueil du Père Antonio se situe dans le Nord-Est de la ville, plus précisément dans le quartier Puente Ladrillo, l’un des quartiers les plus excentrés. La route pour s’y rendre paraît longue : on se rend à Garrido Norte, on traverse les voies ferrées, on se retrouve dans une zone résidentielle, on marche longtemps, puis on aperçoit l’église, puis une grande porte et le joli jardin qui se cache derrière. Je m’y rends en février 2008. Il fait beau, mais froid. Quelques habitants fument leurs cigarettes dehors. Je vais « dans la maison ». Dans la cuisine, ils ont allumé un feu. Certains discutent autour d’une table. Le Père Paco m’accueille et me fait visiter les lieux. La chambre où logent les habitants est le contraste même du joli jardin : une dizaine de lits superposés dans une petite pièce sombre. Certains sont dans leur lit et « font la sieste », d’autres lisent, jouent avec leurs portables… C’est dimanche et ils ne travaillent pas.

C’est depuis le début de son affectation à la paroisse du quartier, au début des années 1980, que le Père accueille dans sa maison des jeunes personnes se trouvant dans des situations difficiles. À cette époque, il n’existe pas de structures adaptées à ceux qui rencontrent des problèmes familiaux ou des problèmes liés à l’alcool ou à la drogue. Ainsi, c’est vers le Père que certains de ces jeunes se dirigent. Ils sont pour la plupart originaires du quartier et le connaissant déjà, ou bien ils ont été envoyés chez lui par la Croix Rouge ou par Caritas. À cette époque, l’ensemble des habitants du centre sont Espagnols.

À sa création, la fonction première du centre est celle d’offrir à ces jeunes un alternatif au foyer familial. Puis, dans un deuxième temps, le Père crée deux entreprises afin de donner la possibilité aux habitants de travailler et, ainsi, se responsabiliser et gagner de l’argent. Une entreprise est dans le secteur agricole, plus précisément dans l’élevage de moutons, et une deuxième dans le secteur de l’entretien.

Le premier étranger à venir habiter chez le Père serait un migrant Nigérien. Nous sommes alors en 1993. Puis d’autres Subsahariens sont venus. À la fin des années 1990, ce sont surtout des Latino-Américains qui fréquentent le centre. Au moment de l’entretien avec le Père Paco, en février 2008, 18 personnes habitent le centre : cinq Marocains, deux

Sénégalais, quatre Honduriens, trois Boliviens et quatre Espagnols. Les personnes ayant des problèmes de dépendance à l’alcool ou à la drogue, ce qui est le cas de l’ensemble des occupants espagnols, sont suivies par les programmes spécifiques de la Croix Rouge ou de Caritas. Pour les étrangers, il semble que c’est surtout leur statut de sans-papiers qui est à l’origine de leur présence dans le centre. La possibilité d’offrir des contrats permettant une régularisation existe grâce aux deux entreprises que possède le Père. En février 2008, plusieurs habitants du centre avaient ainsi pu obtenir des papiers118. Trois autres étaient rentrés dans leur pays d’origine avec un contrat de travail afin de revenir en Espagne de façon régulière. Rentrer au pays d’origine dans le but de revenir avec un visa représente un certain risque : l’obtention d’un visa de cette façon n’est pas systématique. Ainsi, certains préfèrent attendre les trois ans requis avant d’aspirer à une régularisation.

Cire, un migrant sénégalais, fait partie des habitants n’ayant pas voulu tenter un retour au pays : l’idée de ne pas pouvoir revenir représente une crainte trop importante. Originaire de Saint-Louis, où il travaille comme couturier, Cire est venu en Espagne par voie maritime. Avec les tenues qu’il coud pour la fête du Tabaski, il arrive à économiser assez d’argent, 800.000 FCFA, pour partir en pirogue aux Canaries : il a déjà essayé d’acheter un visa, mais l’intermédiaire est parti avec tout on argent. Il paye son voyage en pirogue 500.000 FCFA et laisse 300.000 FCFA à sa mère. Il quitte Saint-Louis en janvier 2007 et arrive à Las Palmas à Gran Canaria une semaine plus tard. Il reste là 40 jours avant d’être transféré à Madrid, puis dans un centre d’accueil de la Croix Rouge en Andalousie. Son projet est alors d’aller en Italie où il a de la famille. Néanmoins, il apprend que « c’est trop dangereux pour les sans-papiers là-bas ». Son frère, au Sénégal, a des contacts à Salamanque et lui dit d’aller là-bas. Ciré arrive alors à Salamanque en mars 2007 où il est logé dans un appartement dans le quartier Garrido. Sept hommes sénégalais habitent l’appartement. Cire ne les a jamais vus auparavant. Là il se lance dans la vente de disques dans les bars (jamais au marché, il n’est allé au marché qu’une fois, « pour acheter un sac »), mais ses colocataires lui conseillent cependant d’arrêter, jugeant cette activité trop dangereuse pour lui qui n’a pas de papiers (un de ses colocataires a déjà été jugé pour production de disques piratés), puis il accompagne un compatriote qui est chauffeur/livreur, mais là aussi ses colocataires lui ont dit de quitter cette activité (son compatriote était alcoolique). Il travaille ensuite un peu dans la construction,

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mais son patron ne souhaite pas le garder étant donné sa situation irrégulière. C’est alors à ce moment-là qu’il entre en contact avec le Père Antonio. Cire part par la suite vivre dans ce foyer et commence à travailler dans l’agriculture et à prendre des cours d’espagnol dans une paroisse voisine. Son projet est de rester dans le centre le temps d’obtenir les papiers, puis d’aller en Italie où il a de la famille. Son parcours témoigne d’un projet qui se redéfinit en fonction de l’information recueillie (« L’Italie, c’est dangereux pour les sans-papiers ») et les opportunités qui se présentent (vivre et travailler dans un foyer). Pour Cire, il ne s’agit cependant pas d’une redéfinition totale : son projet reste celui d’aller en Italie. Néanmoins, à cause d’un contexte politique plus difficile que prévu, ce projet est « mis en attente ». Salamanque se présente ainsi comme un lieu de passage, un lieu où l’on s’arrête le temps d’obtenir les papiers pour ensuite poursuivre la route. Pour Cire, ce n’est pas l’existence de ce centre qui explique son arrivée dans la ville. En revanche, il se présente comme la raison pour laquelle il y est resté. Ne bénéficiant que d’un réseau très étroit – ses anciens colocataires ne sont que des connaissances de son frère et ne peuvent pas l’héberger dans la durée –, il ne serait certainement pas resté dans la ville si la possibilité de vivre chez le Père ne s’était pas présentée.

Enfin, le Père Antonio propose aussi un autre type d’appui à la population migrante salmantine : un appui associatif. Il est en effet le président de l’association des migrants latino-américains. Dans cette dernière partie du chapitre V, nous verrons alors de plus près les dynamiques d’association de migrants dans la ville.

3 LES ASSOCIATIONS DE MIGRANTS

S’il existe de nombreuses structures sur lesquelles les migrants peuvent s’appuyer, plusieurs groupes de migrants disposent également de leur propres associations. En 2006, et d’après les données de Caritas et de la Croix Rouge, on comptait sept associations de migrants dans la ville. Les groupes ayant un telle organisation formelle étaient les Nigériens, les Marocains, les Argentins, les Boliviens, les Péruviens, les Latino-Américains et les Sénégalais. L’ensemble de ces associations ont été approchées. Plus récemment, d’autres associations ont émergé. À titre d’exemple, les Sénégalais et les Péruviens comptent désormais deux associations chacun.

Les Brésiliens en auraient également une119. Enfin, un migrant chinois interviewé en 2009 me confie que les Chinois sont eux aussi sur le point de créer une telle structure.

Il ne s’agit pas ici de donner un tableau complet des associations de migrants à Salamanque120, l’objet étant plutôt de démontrer l’existence d’une dynamique d’organisation

collective. À partir de l’exemple de quelques associations, il s’agit d’interroger les conditions

d’émergence de ces associations (Hily, 1993), leur rôle collectif au sein du groupe, au sein de la société d’accueil, mais aussi au sein de la société de départ. Enfin, il s’agit d’interroger le rôle de telles organisations au niveau individuel : s’inscrivant a priori dans des stratégies migratoires collectives, ces associations peuvent également s’inscrire dans des stratégies migratoires individuelles.