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UN PRINCIPE CONTESTE

DEUXIEME PARTIE : LA TAXATION DES ETRANGERS NON- NON-RESIDENTS : UNE FISCALITE REFORMABLE

PARAGRAPHE 1 UN PRINCIPE CONTESTE

Le principe communautaire de non-discrimination en fonction de la nationalité posé à l'article 18 du TFUE précité n’a vocation à s’appliquer que dans les situations régies par le droit de l’Union européenne et seulement si le traité ne prévoit pas de règle spécifique de non-discrimination. Il dispose en effet qu'est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité << dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des

dispositions particulières qu'ils prévoient >>. Par exemple, lorsque les dispositions

relatives à la libre circulation des capitaux sont applicables, l’article 18 ne trouve pas à s’appliquer (CJUE 10 février 2011 aff. 25/10, 2e ch., Missionswerk Werner Heukelbach 508 R. HERNU, Principe d'égalité et de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des

Communautés européennes, LGDJ, bibliothèque de droit public, t. 232, 2003.

509 CJCE, 17 avr. 1997, aff. C-15/95, EARL : Rec. CJCE 1997, I, p. 1961. – CJCE, 13 avr. 2000, aff. C-292/97, Karlsson : Rec. CJCE 2000, I, p. 2737.

eV : RJF 5/11 n° 665)510. Autrement dit, en tant que principe général du droit sa protection n'est pas généralisée, mais limitée aux seules situations relevant du champ d'application du droit communautaire511. Toutes les situations discriminatoires régies par le droitcommunautaire ne donnent pas lieu à une application de l'article 18 du TFUE. Un lien de rattachement à la sphère d'influence du droit communautaire est donc préalablement nécessaire avant d'en revendiquer le respect ce qui couvre à la fois les situations de mise en oeuvre du droit communautaire, mais aussi de celles de dérogations aux règles du traité ou du droit dérivé512. Ce domaine n'est cependant pas aisé à déterminer dans la mesure où il a fait l'objet d'une interprétation extensive de la Cour de justice et qu'il évolue avec chaque élargissement des compétences communautaires. Néanmoins, le champ d'application matériel du principe de non-discrimination ne se confond pas avec l'étendue des compétences communautaires. La Cour de justice estime en effet que, s'agissant d'une matière qui << ne relève pas en tant

que telle du domaine de la compétence de la Communauté, il n'en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire >> (CJCE, 14 févr. 1995, Schumacker, aff. C-279/93, Rec. I. 225, point 21). Il est également de jurisprudence constante qu'une règle nationale relevant de la compétence des États membres ne peut << opérer une discrimination à l'égard de

personnes auxquelles le droit communautaire confère le droit à l'égalité de traitement, ni restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit communautaire >> (CJCE, 2 févr. 1989, Cowan c/Trésor public, aff. 186/87, Rec. 195, point 19). Il suffit qu'une règle nationale affecte une des libertés garanties par le Traité pour qu'elle relève du champ d'application du Traité513, car le principe général énoncé par celui-ci ne s'applique que lorsque aucune disposition particulière n'est applicable (speciala generalibus derogant). En tant que règle de caractère général, l'article 18 n'aurait donc qu'une portée résiduelle

510 V. encore CJCE 4 octobre 1991, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, aff. C-246/89, Rec., 1991, p. I-4585.

511 A-L. DURVIAU. Logique de marché et marché public en droit communautaire : Analyse critique. Editions Larcier. 2006, p. 382.

512 E. GINTER, E. CHARTIER, B. MICHAUD, Droit communautaire et impôts directs, Collection pratiques

d'experts, Groupe Revue Fiduciaire. 1ere édition. 2011, p. 83-85

513v. CJCE, 29 juin 1999, Commission c/Belgique, aff. C-172/98, Rec. I. 3999, point 12, à propos du droit de créer une association.

ou subsidiaire514. Cette appréciation est corroborée par la jurisprudence de la Cour dont il ressort clairement que l'article 18 << n'a vocation à s'appliquer de façon autonome que

dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination >>515.

De plus, des restrictions discriminatoires aux libertés fondamentales de l'UE peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général. Par exemple, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, l'article 36 du TFUE dispose que << Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce

entre les États membres >>516. Néanmoins, la mesure nationale discriminante doit être

propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne doit pas aller au-delà de qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (CJCE, 14 octobre 2004, Omega, Affaire C-36/02 Rec. 2004, P.I-9609.)517. Ainsi, la violation des libertés fondamentales garanties par le Traité n'est pas établie par la seule identification d'une restriction, atteinte ou entrave à ces libertés et la reconnaissance de son caractère discriminatoire car il existe des exceptions liées à la notion de réserve d'ordre public. Cette dernière revêt une force particulière et contraignante qui se traduit par les mesures d'ordre public. Le droit européen et la Cour de justice ont une influence limitée sur la définition et la notion même d'ordre public car il n'y a pas vraiment de définition au niveau européen : en

514 M. FALLON, Droit matériel général des Communautés européennes, Bruylant, 1997, p. 58

515 v. par ex. CJCE, 3 oct. 2000, Ferlini, aff. C-411/98, Rec. I. 8081, point 39.

516 Dans le même sens, v. b) de l'article 65 du TFUE qui concerne la libre circulation des marchandises : 1. << L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres : b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. >>.

principe les autorités européennes ne participent pas, par le biais de mesures, au maintien de l'ordre public. Cela s'explique par le fait que l'ordre public relève de la seule compétence des Etats membres518. La réserve d’ordre public concerne chacune des libertés économiques européennes. C’est cependant essentiellement dans le domaine de la libre circulation des travailleurs que son invocation peut entrer en conflit avec le principe de l’égalité de traitement519. Dans l'arrêt Rutili520, la Cour de justice effectue une interprétation stricte de la réserve d'ordre public qui peut éventuellement limiter la libre circulation des travailleurs dans les États membres. En tant qu'exception à un principe fondamental du droit communautaire, son application doit être conforme à l'ensemble des règles communautaires. Ainsi, les mesures susceptibles d'être prises par un État membre doivent se fonder exclusivement sur le comportement individuel de la personne, constituant une menace réelle et suffisamment grave, et doivent s'appliquer indistinctement aux nationaux et aux autres ressortissants communautaires. Il s'agit là d'une application stricte du principe de proportionnalité qui signifie qu’une mesure prise par un Etat membre restreignant la libre circulation d’un individu ressortissant d’un autre Etat membre doit être proportionnée à la menace que cet individu représente pour l’ordre public. Les justifications pour motif impérieux d'intérêt général, lorsqu'elles sont retenues comme pertinentes doivent par ailleurs s'avérer strictement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi. A ce titre, la Cour s'assure que le même but ne

518 En ce sens, Arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 9 décembre 1997. Commission des Communautés européennes contre République française. Affaire C-265/95, dîte << guerre des fraises >>.

519 L’article 48 du Traité de Rome dans son paragraphe 3 prévoyait déjà la possibilité par les Etats membres de restreindre la liberté de circulation des travailleurs. Cet article précisait en effet que la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté est assurée << sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique >>. En conséquence, le Traité a laissé une marge d’appréciation aux Etats membres ce qui leur permet d’apporter des restrictions au droit de libre circulation des personnes, nationaux d’autres Etats membres, qui travaillent sur leur sol. Ces trois motifs de réserve d’ordre public, à savoir l’ordre public, la santé publique et la sécurité publique ont également été admis par la directive du Conseil no. 64/221 daté du 25 février 1964 qui a par ailleurs précisé leurs limites. Après cette directive, c’est le juge de l’Union qui a apporté des clarifications sur les limites des réserves en raison d’ordre public au domaine de la libre circulation des travailleurs dans son célèbre arrêt Van Duyn CJCE, (<<Yvonne Van Duyn c/ Home Office », 4 décembre 1974). La Cour y précise notamment que la réserve d’ordre public doit être interprétée stricto sensu, en indiquant que « la notion d’ordre public dans le contexte communautaire (…) doit être entendue strictement. >>. Elle indique ensuite que << les circonstances spécifiques justifiant avoir recours à la notion d’ordre public peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre >> et partant elle admet la marge d’appréciation laissée aux Etats membres pour décider sur chaque espèce spécifique toute en prenant soin de préciser que << cette marge d’appréciation [doit rester] dans les limites imposées par le Traité >>.

saurait être atteint par d'autres moyens moins contraignants et que les moyens mis en œuvre sont proportionnés par rapport au but recherché (CJCE, 13 décembre 2005, Affaire C-446/03, << Marks and Spencer >>)521. Après l'arrêt Rutili la Cour de Justice a poursuivi son application du principe de proportionnalité en la matière, continuant à définir strictement les contours de la réserve d’ordre public, tout en admettant une certaine marge d’appréciation laissée aux Etats membres. Par exemple, dans l'arrêt <<

Bouchereau >> du 27 octobre 1977522, la Cour précise que le recours à la notion de réserve d’ordre public doit s'effectuer << en cas de menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société >>523. Ensuite, dans l'arrêt << Roux >> du 5 février 1991524, la Cour énonce l'interdiction des prohibitions générales et absolues pour les Etats membres, mais toujours leur accordant une marge d’appréciation pour motif d'ordre public dans des cas individuels. Enfin, dans l'arrêt << Calfa >> du 19 janvier 1999525, la Cour affirme encore une fois que la réserve d'ordre public est d'interprétation stricte, mais que les Etats membres gardent une certaine marge d'appréciation des faits. Plus récemment, la CJCE a considéré compatible avec la libre circulation des capitaux, qu'une personne morale établie au Liechtenstein ne soit pas admise à échapper à la taxe de 3 % sur les immeubles détenus en France par des personnes morales étrangères, prévue par les dispositions de l'article 990 D du Code général des impôts. L'article 990 E du même code prévoit notamment que les personnes morales ayant leur siège dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales, déclarent certaines informations, parmi lesquelles l'identité et l'adresse de leurs associés, afin d'échapper à ladite taxe. Or, à la date des faits au principal, le Liechtenstein n'avait pas conclu avec la France une telle convention. La Cour a jugé que l'exigence d'une telle convention afin de postuler l'exonération de taxe était constitutive d'une restriction à la libre circulation des capitaux, justifiée par la nécessité d'assurer l'efficacité du contrôle fiscal. Or, l'efficacité

521 BOI-INT-DG-10-30-20120912.

522 CJCE, 27 octobre 1977, Affaire 30-77, Régina contre Pierre Bouchereau.

523 Formulation qui a ensuite été reprise par la directive n° 2004/38 qui intègre l’acquis jurisprudentiel et renforce encore la protection de la libre circulation et du libre séjour.

524 CJCE, 5 février 1991, affaire C-363/89, Danielle Roux contre État belge.

du contrôle fiscal ne saurait être préservée par une autre mesure moins restrictive (CJCE, 28 octobre 2010, Affaire C-72/09, << Rimbaud >>)526. Certaines justifications aux restrictions discriminatoires tirées de motifs intéressant l'ordre public, la sécurité ou la santé publiques sont directement prévues par le Traité lui-même (article 36527, 45528, 52529, 65530 du traité FUE par exemple) mais ne sont pas opérantes dans le domaine de la fiscalité directe531. En revanche, différents motifs ont été dégagés par la jurisprudence de la CJUE, admettant que des réglementations fiscales nationales restrictives puissent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, autres que celles figurant au Traité532. Certains de ces motifs ont été jugés non pertinents comme celui de la nécessité d'éviter la perte de recettes fiscales (CJCE, 16 juillet 1998, Affaire C-264/96, << ICI >>, CJCE, 12 septembre 2006, Affaire C-196/04, << Cadbury Schweppes >>, celui de la prise en compte d'avantages fiscaux dont bénéficie par ailleurs le contribuable dans son Etat de résidence (CJCE, 28 janvier 1986, Affaire 270/83 << Commission c/France >>) ou encore celui tiré d'arguments purement économiques telle la volonté de promouvoir l'économie du pays (CJCE, 6 juin 2000, Affaire C-35/98, << Verkooijen >>). D'autres justifications ont été en revanche considérées comme pertinentes. L'efficacité des contrôles fiscaux a été érigée en raison impérieuse d'intérêt général susceptible de

526 BOI-INT-DG-10-30-20120912.

527 Article 36 TFUE : << Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres >>.

528 Article 45 du TFUE : << 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union (ex-article 39 TCE) 4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique >>.

529 Article 52 du TFUE : << 1. Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique >>.

530 L'article 63 du TFUE : << ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres: a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique >>.

531 BOI-INT-DG-10-30-20120912.

justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales (CJCE 15 mai 1997, Affaire 250/95, << Futura Participations et Singer >>). La prévention du risque de fraude et d'évasion fiscales figure également au nombre des justifications reconnues légitimement invocables, mais dont l'application est néanmoins limitée par la Cour aux hypothèses où la législation en cause << a pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les

montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale >> (CJCE, 16

juillet 1998, Affaire C-264/96, << ICI >>). La Cour a également admis que la préservation de la cohérence du système fiscal peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général, lorsqu'il existe un lien direct entre, d'une part, un désavantage fiscal et sa contrepartie, d'autre part, dans le chef du même contribuable (CJCE, 23 octobre 2008, Affaire C-157/07, << Krankenheim Ruhesitz >>. Enfin, la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposer entre Etats membres (CJUE, 25 février 2010, Affaire C-337/08, << X Holding BV >>), ou la lutte contre les risques de double emploi des pertes (CJCE 15 mai 2008, Affaire C-414/06, << Lidl Belgium >>) sont d'autres exemples de justifications ayant permis de valider des restrictions aux libertés garanties par le TFUE533.