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L'ARRET EVOLUTIONNAIRE DU CONSEIL D'ETAT EN DATE DU 26 DECEMBRE 2013 ET SES CONSEQUENCES

DEUXIEME PARTIE : LA TAXATION DES ETRANGERS NON- NON-RESIDENTS : UNE FISCALITE REFORMABLE

PARAGRAPHE 2 L'ARRET EVOLUTIONNAIRE DU CONSEIL D'ETAT EN DATE DU 26 DECEMBRE 2013 ET SES CONSEQUENCES

Une décision du CE du 26 décembre 2013574, par application d'une décision de la Cour de justice de l'UE du 17 octobre 2013575, a considéré que l'article 164 C du CGI violait le droit communautaire au regard notamment du principe fondamental de la liberté de circulation des capitaux et du principe de non-discrimination selon la nationalité576.

574 CE du 26 décembre 2013, n° 360488.

575 CJUE, 17 octobre 2013, n° C-181/12, Yvon Welte contre Finanzamt Velbert.

Dans l'affaire soumise au Conseil d'État, un couple, M. et Mme BA, de nationalité allemande et domiciliés à Monaco, ont été imposé à l'impôt sur le revenu en France au titre des années 1998 et 1999, en application du premier alinéa de l'article 164 C du CGI, sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle du bien immobilier dont ils sont propriétaires à Odratzheim (Bas-Rhin). M. et Mme A ont contesté les impositions mises à leur charge et les pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande par un jugement du 15 avril 2008577. Le 24 avril 2012, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et accordé aux requérants la décharge des impositions et pénalités en litige578 . À la suite de cet arrêt, l'administration fiscale s'est pourvue en cassation afin d'en obtenir l'annulation. Cet arrêt fait suite à une précédente jurisprudence du Conseil d'État qui avait déjà mis à mal l'application de l'article 164 du CGI579 . Dans cette affaire, la haute juridiction s'est fondée sur la différence de situation créée par l'article 164 C du CGI qui impose un ressortissant anglais ou un ressortissant italien résidant à Monaco sur un revenu forfaitaire égal à trois fois la valeur locative réelle de ses habitations en France alors qu'un ressortissant français résidant à Monaco n'est pas soumis à la même imposition compte tenu des stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la convention franco-monégasque du 18 mai 1963. Cette différence d'imposition qui résulte d'une différence de nationalité, viole les clause de non-discrimination figurant à l'article 25 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 et à l'article 25 de la convention franco-italienne du 5 octobre 1989. Pour accorder aux contribuables la décharge de l'imposition forfaitaire à laquelle ils ont été assujettis, en application de l'article 164 C du CGI, à raison de leur habitation en France, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que, du fait de la combinaison de ces dispositions avec les stipulations du paragraphe de l'article 7 de la convention fiscale entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963, des ressortissants français placés dans la même situation n'étaient pas assujettis à cette imposition et sur ce que cette différence de traitement constituait une atteinte à la liberté de circulation des capitaux incompatible avec les stipulations de l'article 56 du traité 577 TA Nice, 15 avr. 2008, no 0404908.

578 CAA Marseille, 24 avr. 2012, no 08MA04100.

instituant la Communauté européenne dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam applicable à l'année d'imposition en litige, devenu article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) selon lequel << dans le cadre des

dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites >>. Le Conseil

d'État confirme cette solution, une telle différence de situation constituant une atteinte à la liberté de circulation de capitaux. Or la libre circulation des capitaux a la particularité de concerner non seulement les états membres mais également les pays tiers. Cette analyse devrait donc valoir pour tous les résidents étrangers de Monaco possédant des biens immobiliers patrimoniaux dès lors que leur traitement fiscal diffère de celui d'un Français de Monaco placé dans la même situation. L'acquisition de la résidence secondaire par les époux, n'a pas été effectuée en vue de l'exercice d'une activité économique. Elle ne constitue pas un investissement direct au sens de l'article 57, paragraphe 1 du TCE (devenu l'article 64 du TFUE). Par suite, précise le Conseil d'État, le ministre ne peut se prévaloir de la possibilité, prévue par ces stipulations, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993. Ladite clause de gel prévoit en effet que <<

l'article 63 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers (...) >>. Avec ce nouvel arrêt, le juge national tire les conséquences de la jurisprudence

communautaire580 . En effet, en 2013, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé que le champ d'application de la clause de gel prévue à l'article 64 du TFUE ne s'étend pas << aux investissements immobiliers de type patrimonial, effectués à des fins

privées sans lien avec l'exercice d'une activité économique >>. Dans cet arrêt la CJUE a

précisé que si les notions d'investissements directs et d'investissements immobiliers n'étaient pas définies par le traité, il ressortait de l'énumération figurant dans la rubrique I de l'annexe I de la directive n° 88/361/CEE du 24 juin 1988 et des notes explicatives s'y

rapportant que la notion d'investissement direct concernait les investissements auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l'entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique et qu'il ressortait de l'intitulé même de la rubrique II de cette annexe que les investissements immobiliers visés à cette rubrique ne comprenaient pas les investissements directs visés à la rubrique I de cette annexe. La Cour en a déduit que, lorsqu'il se réfère aux investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'article 57, paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) vise les seuls investissements immobiliers qui constituent des investissements directs relevant de la rubrique I de l'annexe I de la directive no 88/361 et qu'en revanche, des investissements immobiliers de type patrimonial, effectués à des fins privées sans lien avec l'exercice d'une activité économique, ne relèvent pas du champ d'application de cet article. Dès lors l'acquisition d'une résidence secondaire en France, qui n'a pas été effectuée en vue de l'exercice d'une activité économique, ne constitue pas un investissement direct au sens de l'article 57, paragraphe 1 du TCE. Le ministre ne peut donc pas se prévaloir de la possibilité, prévue par ces stipulations, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993. Jusqu'ici, le Conseil d'État estimait au contraire que la clause de gel était applicable dans de tels cas, dans la mesure où l'article 64 du TFUE vise les investissements directs, y compris les investissements immobiliers581 . Il s'agit donc d'un revirement de jurisprudence pour cette juridiction, puisque le Conseil d'État précise désormais ici sans ambiguïté que le ministre ne peut se prévaloir de la possibilité, prévue par le traité, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993, dès lors que l'investissement en litige n'entre pas dans le champ de cette stipulation.

Le 11 avril 2014, le Conseil d'Etat582 se prononce à nouveau sur la non-conformité de l'article 164 C avec le droit communautaire583. En l'espèce, une ressortissante allemande résidente de Monaco a été assujettie en France à l'impôt sur le revenu, sur le fondement de l'article 164 C du CGI, à raison d'un bien immobilier qu'elle possède dans les Alpes-Maritimes. Selon la contribuable, ces dispositions sont contraires au principe de libre circulation des capitaux. Le juge rappelle, tout d'abord, que la libre circulation des capitaux comprend notamment l'acquisition, la détention et l'aliénation de biens immobiliers sur le territoire d'un autre Etat membre ne se rattachant pas, à titre principal, à l'exercice d'une activité économique ou à la gestion active d'un patrimoine immobilier. Or, l'article 164 C du CGI a pour objet et pour effet de soumettre la détention en France d'immeubles d'habitation à une imposition qui n'est due que par les personnes n'ayant pas leur domicile fiscal en France, lorsque leurs revenus de source française sont inférieurs à un certain seuil. Une telle mesure est de nature à dissuader les non-résidents d'acquérir ou de détenir en France de tels immeubles, en déduit le Conseil d'Etat. De plus, l'objet de la mesure constitue une discrimination. En effet, pour apprécier si une distinction de traitement entre eux constitue une telle discrimination, il y a lieu de comparer les situations respectives des personnes résidentes et non-résidentes au regard de la seule disposition entravant la libre circulation des capitaux, quelles que soient par ailleurs leurs situations d'ensemble au regard des impositions dues en France, y compris les impositions dont les personnes résidentes sont seules redevables. Sont comparables, pour établir une imposition à raison de la détention d'un bien immobilier, les situations des personnes physiques résidentes et non-résidentes. En outre, la restriction imposée par l'article 164 C n'est pas motivée par une raison impérieuse d'intérêt général. Notamment, l'objectif qui s'attacherait à ce que les personnes non-résidentes soient soumises, comme les non-résidentes, à une imposition progressive de leurs revenus, n'est pas pertinent, dès lors que la mesure fiscale litigieuse vise des biens qui sont en principe insusceptibles de produire des revenus et qu'elle les soumet à une imposition calculée sur la base d'un revenu forfaitaire. En conséquence, la Haute 582 CE, 3°, 8°, 9° et 10° s-s., 11 avril 2014, n° 332 885, publié au recueil Lebon.

583 Lexbase Le Quotidien du 15 avril 2014, Fiscalité immobilière, Brèves, Clap de fin : l'imposition à l'IR des immeubles détenus en France par des non-résidents ressortissants de l'UE sur une base forfaitaire est contraire à la libre circulation des capitaux.

juridiction prononce la non-conformité de l'article 164 C à la libre circulation des capitaux. Le Conseil d’Etat précise : << qu’il n’est pas établi, (…) que la restriction ainsi

imposée par cette dernière à la libre circulation des capitaux réponde à une raison impérieuse d’intérêt général; qu’en particulier, le ministre ne saurait utilement faire valoir, pour établir l’existence d’une telle raison, l’objectif qui s’attacherait à ce que les personnes non résidentes soient soumises, comme les résidentes, à une imposition progressive de leurs revenus, dès lors que la mesure fiscale litigieuse vise des biens qui sont en principe insusceptibles de produire des revenus et qu’elle les soumet à une imposition calculée sur la base d’un revenu forfaitaire >> . Dés lors, il est possible d’écarter en l’espèce l’application

de cet article à cette personne de nationalité allemande et résidente de la Principauté de Monaco qui a été assujettie en France à l’impôt sur le revenu au titre des années 2000 à 2002, sur le fondement de ces dispositions, à raison d’un bien immobilier qu’elle possède dans les Alpes-Maritimes584.

Une question écrite au gouvernement s'interrogait sur la suite que devait donner le gouvernement à l'arrêt du CE du 11 avril 2014585. Finalement, la loi de finances rectificative pour 2015 abroga l'article 164 C du CGI et finit per mettre le droit français en conformité avec la législation européenne. En effet, l'article 21 de la LOI n° 2015-1789 du 29 décembre 2015586 dispose que : << I.-L'article 164 C et le b de l'article 197 A du code général des impôts sont abrogés. II.-Le I s'applique à compter de l'imposition des revenus de l'année 2015. III. – La perte de recettes pour l’État résultant des dispositions du I est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits 584 F. PERROTIN. << Imposition forfaitaire des résidents monégasques. >>, Petites affiches, 15 avril 2014, n° 75, p. 3.

585 Question écrite n° 15165 de Mme Jacky Deromedi (Français établis hors de France – UMP) publiée dans le JO Sénat du 12/03/2015 - page 538 : Mme Jacky Deromedi attire l'attention de M. le ministre des finances et des comptes publics sur les dispositions de l'article 164 C du code général des impôts aux termes duquel la base de calcul de l'impôt sur les revenus de source française des Français ayant leur domicile fiscal hors de France est égale à trois fois la valeur locative de leurs habitations en France, sauf certaines exceptions prévues par le deuxième alinéa de cet article ou s'ils sont domiciliés dans des pays ou territoires ayant conclu avec la France une convention destinée à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu. Elle lui expose que par un arrêt du 11 avril 2014 (n° 332885), le Conseil d'État a jugé cet article contraire au droit de l'Union européenne (en vertu de l'art. 58 du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), comme constituant une entrave à la libre circulation des capitaux prohibée par ces dispositions. Elle lui demande de bien vouloir lui faire connaître quelles conséquences il entend tirer de cet arrêt et notamment si le Gouvernement entend proposer au Parlement l'abrogation de cet article.

mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. >>. Cette réforme a été adoptée à la suite d'un amendement (n° 535) déposé par M. Cordery, M. Arnaud Leroy et M. Dominique Lefebvre sur le projet de loi de fnances rectificative pour 2015 n° 3217, ce qui veut dire que la refonte de cet article n'était pas initialement prévue dans le PLFR pour 2015587. Le droit européen marque de son empreinte égalitariste l'évolution du droit fiscal français et démontre son efficacité du fait de l'aménagement opéré par le législateur français.

SECTION 2 : L'INCOMPATIBILITE DES ARTICLES 244 BIS A ET 990 D-E DU CGI