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LA LENTE RECONNAISSANCE DE L'INCOMPATIBILITE DE L'ARTICLE 164 C DU CGI AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE

DEUXIEME PARTIE : LA TAXATION DES ETRANGERS NON- NON-RESIDENTS : UNE FISCALITE REFORMABLE

SECTION 1 LA LENTE RECONNAISSANCE DE L'INCOMPATIBILITE DE L'ARTICLE 164 C DU CGI AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE

Après avoir jugé, à la lumière de la jurisprudence alors en vigueur de la CJUE, que l'article 164 C du Code général des impôts, qui soumettait à une imposition forfaitaire (sur le revenu) les non-résidents étrangers du seul fait de la détention d'une habitation en France, entrait dans la clause de gel, de sorte que cette restriction avérée à la liberté de circulation des capitaux devait être autorisée562, le Conseil d'État décida de tirer les conséquences de l'arrêt rendu par la CJUE le 17 octobre 2013 dans l'affaire Yvon Welte563; et aussi d'approuver la cour administrative de Marseille qui avait jugé le contraire en 2012564. En effet, dans deux affaires, en date du 26 décembre 2013 no 360488 et du 11 avril 2014, n° 332885565, le CE jugeait que l'imposition forfaitaire prévue à l'article 164 C du Code général des impôts (CGI) constituait une atteinte à la liberté de circulation des

561 G. LADREYT. << Lutte contre les mesures fiscales discriminatoires : Le TFUE plus efficace que les conventions fiscales bilatérales. >>, Revue de Droit fiscal n° 48, 27 novembre 2014, 650.

562 v. CE, 28 juill. 2011, n° 322672, min c/ Holze. La clause de gel exprimée à l'article 64 du TFUE permet aux Etats membres de faire échec à la liberté de circulation des capitaux en continuant à appliquer, à l’encontre des résidents d’Etats tiers, les mesures discriminatoires en vigueur antérieurement au 31 décembre 1993.

563 Arrêt de la CJUE n° C-181/12, Yvon Welte, du 17 octobre 2013.

564 CAA Marseille, 4e ch., 24 avr. 2012, n° 08MA04100.

565 La revue fiscale notariale n° 6, Juin 2014, 95. L'article 164 C du CGI constitue une restriction injustifiée à la liberté de circulation des capitaux. CE, plén. Fisc., 11 avr. 2014, n° 332885, min. c/ A. : JurisData n° 2014-008221. CE, 9 et 10e ss.-sect., 26 d. 2013, n° 360488, min. c/ Kramer : JurisData n° 2013-031340 ; Rec. CE 2013, tables ; BDCF 2014, n° 49.

capitaux garantie par les traités communautaires. Conformément à l'article 164 C du CGI, << les personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal en France mais qui y disposent d'une ou

plusieurs habitations, à quelque titre que ce soit, directement ou sous le couvert d'un tiers, sont assujetties à l'impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle de cette ou de ces habitations à moins que les revenus de source française des intéressés ne soient supérieurs à cette base, auquel cas le montant de ces revenus sert de base à l'impôt. Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux contribuables de nationalité française qui justifient être soumis dans le pays où ils ont leur domicile fiscal à un impôt personnel sur l'ensemble de leurs revenus et si cet impôt est au moins égal aux deux tiers de celui qu'ils auraient à supporter en France sur la même base d'imposition >>.

Selon le CE, cet article, qui établissait une imposition des non résidents à l'impôt sur le revenu sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative des biens immobiliers détenus en France, était de nature à dissuader les non résidents d’acquérir ou de détenir en France de tels immeubles et constituait donc une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux au sein de l'Union européenne. Si ces deux arrêts constituent une victoire pour la liberté de circulation combiné au principe de non-discrimination suivant la nationalité, il faut rappeler que la jurisprudence a été fluctuante en la matière avant de reconnaître le caractère discriminatoire de l'article 164 C du CGI (paragraphe 1). Ainsi, les deux arrêts du Conseil d'Etat précités constituent des revirements de jurisprudence importants dans le contentieux de la taxation des étrangers non-résidents (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : LA JURISPRUDENCE ANTERIEURE AU 26 DECEMBRE 2013. Le Conseil d'Etat dans un arrêt du 4 août 2006566 n'avait pas jugé l'article 164 C du CGI contraire au principe de non-discrimination exercée en raison de la nationalité prévu à l'article 7 du traité instituant la Communauté européenne (devenu, après modification, article 6 puis article 12), au motif que cette prohibition ne vaut que dans le domaine d'application du présent traité et que celui-ci ne régit pas la matière des impôt directs

dont il était question. Dans un arrêt de la CAA de Marseille en date du 21 décembre 2007567, la taxation forfaitaire n'a pas non plus été considérée comme contraire au principe de la liberté d'établissement568. Le principe de la libre circulation des capitaux a été retenu pour faire échec à l'imposition forfaitaire d'un résident monégasque ressortissant communautaire dans un arrêt de la CAA Marseille du 30 septembre 2008569, mais le Ministre du Budget avait saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation et ce dernier, dans une décision du 28 juillet 2011 annula l'arrêt de la CAA Marseille et confirma que les résidents de Monaco restaient soumis à l’article 164 C du CGI qui ne constituait donc pas une entrave à la libre circulation des capitaux puisque cette imposition était antérieure au 31 décembre 1993, date d’application de la liberté totale de circulation des capitaux570. En 2010, la CAA de Paris571 se prononca sur la compatibilité de l'article 164 C du CGI avec la libre circulation des capitaux et des moyens de paiement572. En l'espèce, au cours des années 1996 à 1998, Mme Rossi Di Montelera, ressortissante italienne qui résidait au Liechtenstein, a disposé d'une villa au Cap-d'Ail (Aples-Maritimes), sur le fondement du premier alinéa de l'article 164 C précité du CGI, l'Administration l'a assujettie, au titre de ces années, à des impositions sur le revenu forfaitairement assises sur une base égale à trois fois la valeur locative de cette villa. Saisi par la contribuable d'une demande en décharge de ces impositions, le tribunal administratif de Paris, après avoir pris acte du dégrèvement partiel prononcé devant lui par l'Administration pour une erreur de calcul du quotient familial, a rejeté le surplus de sa demande et a mis à sa charge une amende de 1000 euros pour requête abusive; l'intéressée a relevé appel de ce jugement en soutenant que les impositions contestées méconnaissaient d'une part la clause de non-discrimination selon la nationalité prévue à l'article 25 de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989, d'autre part, les 567 CAA Marseille 21 décembre 2007, n°05MA01745.

568 Cahiers fiscaux européens, 42ème année, Liberté de circulation des capitaux et discriminations fiscales : l'exemple des investissements immobiliers en France par des résidents monégasques. Revue fiscalité et droit itnernational des affaires n° 165.

569 CAA Marseille du 30 septembre 2008 n°06MA00613.

570 CE, 28 juill. 2011, n° 322672, min c/ Holzer : JurisData n° 2011-019924 ; RJF 11/11, n°1249 ; Dr. fisc., 2011, comm. 576, concl C. Legras, Note B. Delaunay.

571 CAA Paris, plén. 24 juin 2010, n° 08PA01624, Mme Rossi Di Monterela.

572 A. MAITROT DE LA MOTE. << L'application de l'article 164 C du CGI aux contribuables résidant hors de l'Union européenne et les engagements internationaux contenant des clauses de non-discrimination. >>, Revue de

principes communautaires de libre circulation des capitaux et de non-discrimination, alors respectivement énoncés aux articles 73 B et 6 du traité instituant la Communauté économique européenne devenue Union européenne. Ce qui nous intéresse ici sont les moyens tirés de la méconnaissance des principes du droit communautaire. Les impôts directs ne relèvent pas, en tant que tels, du domaine de compétence de la communauté européenne. Néanmoins, les Etats membres doivent exercer leur compétence fiscale dans le respect du droit communautaire, et notamment des libertés protégées par le traité CE, au nombre desquelles la libre circulation des capitaux alors énoncée aux articles 73 B à 73 H du traité CE, ultérieurement devenus 56 à 60 de ce traité, puis 63 à 66 du traité UE. Aux termes de l'article 73 B : << 1. Dans le cadre des dispositions du

présent chapitre , toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. 2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites >>; selon la clause de sauvegarde prévue à

l'article 73 D : << 1 – L'article 73 B ne porte pas atteinte aux droits qu'ont les Etats

membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale (…), de prévoir des procédures de déclaration de mouvements de capitaux à des fins d'information administrative et statistique, ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. 2 – Le présent chapitre ne préjuge pas de la possibilité d'appliquer des restrictions en matière de droit d'établissement qui sont compatibles avec le présent traité. 3 – Les mesures ou procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer, ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 73 B >>. Enfin, en vertu du point II A de la

nomenclature annexée à la directive 88/361 du 24 juin 1988, les investissements immobiliers effectués sur le territoire d'un Etat membre par un non-résident, même à des fins personnelles, constituent des mouvements de capitaux au sens des dispositions

précitées573. Dès lors que l'article 73 B précité du traité CE a étendu aux Etats tiers à la Communauté européenne l'interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux précédemment limitée par l'ancien article 67 aux seuls mouvements de capitaux effectués à l'intérieur de la Communauté, les résidents des Etats tiers sont, au même titre et dans les mêmes conditions que les résidents des Etats membres, recevables à invoquer le bénéfice de cette liberté à l'encontre d'une mesure qui serait susceptible de restreindre son exercice. Dès lors, la requérante, bien que résidente d'un Etat non-membre de la Communauté, était recevable à invoquer la méconnaissance par l'article 164 C du CGI du principe de libre circulation des capitaux. Un investissement immobilier en France, tel que celui effectué par Mme Rossi Di Montelera, résidente d'un Etat non-membre de la Communauté européenne, par l'intermédiaire d'une société dont elle était actionnaire et qui a mis à sa disposition la villa du Cap-d'Ail, constitue un mouvement de capital au sens des stipulations précitées; par ailleurs, la taxation forfaitaire des non-résidents prévue à l'article 164 C du CGI est de nature à dissuader ces derniers d'effectuer ou de conserver un tel investissement en France et restreint donc la libre circulation des capitaux. Considérant cependant, que les résidents d'un Etat membre et les non-résidents de cet Etat ne sont en général pas dans une situation comparable au regard de l'impôt sur le revenu, dans la mesure où les revenus perçus sur le territoire d'un Etat par un non-résident ne constituent le plus souvent qu'une petite partie de son revenu global, lequel est centralisé dans l'Etat de sa résidence où il souscrit ses déclarations et que cet Etat est le seul à disposer des moyens de contrôle permettant de vérifier la sincérité de ces déclarations et d'apprécier ainsi l'exacte capacité contributive du non-résident, qu'eu égard à cette différence présumée de situation, l'application d'un traitement fiscal différencier à ces deux catégories de contribuables n'est en principe pas discriminatoire, à moins que des éléments plus précis propres à l'impôt concerné et à la situation des intéressés ne fassent apparaître que résidents et non résidents ne se trouvent en fait pas dans une situation objectivement différente au regard de cet impôt. A cet égard, la contribuable résidait, non dans un Etat membre de la Communauté Européenne, mais au Liechtenstein, qui appartient à l'Association Européenne de Libre Echange ; si cette

association avait conclu le 2 mai 1992 avec la Communauté un accord intitulé Espace Economique Européen (auquel le Liechtenstein avait adhéré à compter du 1er mai 1995, accord dont l'article 40 étendait aux relations entre les Etats parties à l'accord et ceux de la Communauté les interdictions des restrictions aux mouvements de capitaux existant dans les rapports entre les Etats membres de la Communauté) cet accord ne contient, contrairement au traité ayant institué la Communauté européenne, aucune stipulation relative à la coopération fiscale entre Etats ; que, par ailleurs, le Liechtenstein n'est pas lié à la France par une convention fiscale bilatérale et n'avait alors pas davantage souscrit avec la France d'engagement d'assistance mutuelle incluant des échanges de renseignements, de sorte que la France n'était pas en mesure d'apprécier, comme elle peut le faire pour ses résidents, la capacité contributive réelle de l'intéressée. Dans ces conditions, et alors que le législateur a entendu par l'article 164 C incriminé, éclairé par ses travaux préparatoires, faire échec à certaines formes d'évasion fiscale telles que la détention indirecte d'immeubles en France par les résidents d'Etats à fiscalité privilégiée, un résident du Liechtenstein n'était pas placé dans une situation objectivement comparable à celle d'un résident de France au regard de l'impôt concerné; dès lors, la mise en oeuvre de l'article 164 C du code général des impôts à l'égard de Mme A qui, ainsi qu'il a été dit, n'a pas souhaité justifier que l'imposition dont elle était redevable au Liechtenstein atteignait le seuil prévu au second alinéa de cet article, doit être regardée comme entrant dans le champ de la clause de sauvegarde de l'article 73 D du traité.

PARAGRAPHE 2 : L'ARRET EVOLUTIONNAIRE DU CONSEIL D'ETAT EN DATE DU