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Dans un premier temps, afin de bien comprendre la problématique des agressions fondées sur le sexe et sur le genre, les théories féministes sont abordées. Notamment, l’origine et les différentes approches sont définies. Dans un deuxième temps, les théories féministes sont complétées par toutes les théories interpersonnelles de base des agressions relatives à l’instinct, à la frustration-agression, à l’excitation et au transfert ainsi qu’aux théories cognito- néoassociationnistes.

2.3.1-Le courant féministe : un incontournable au plan sociétal pour comprendre la problématique des agressions envers les femmes

La problématique des agressions envers les femmes au travail a émergé au sein du mouvement féministe dès les années 1970 en Amérique du Nord. Cette reconnaissance est subséquente à l’avènement du mouvement féministe en réponse à la domination masculine dans les différentes sphères privées, publiques et professionnelles (Gaussot, 2014). Globalement, ces années se caractérisent par des questionnements relatifs à la notion de pouvoir entre les hommes et les femmes, notamment les facteurs de hiérarchisation et de ségrégation dans la société, de même qu’à la mise en place d’un cadre d’analyse des rapports entre les sexes (Gaussot, 2014; Gravel et al., 2007). Au sein des organisations, le terme utilisé pour le symboliser est harcèlement sexuel au travail. Aux États-Unis, ce phénomène fut reconnu par les tribunaux en 1976 et au Canada, plus tardivement, dans les années 1980 (Drapeau, 1991).

Les féministes ont permis le développement de programmes d’éducation publique, ainsi que des changements législatifs et politiques au plan pénal et des systèmes de santé, ancrés dans des institutions aux valeurs patriarcales, afin de considérer les réalités des femmes (Koss, Heise, & Russo, 1994; Marin & Russo, 1999). Dans les années 1970, le viol était la problématique

66 centrale des chercheuses féministes par l’étude des traits individuels des victimes et des agresseurs, ainsi que des relations avec la famille. Subséquemment, les chercheuses féministes ont élargi leurs recherches aux dimensions structurelles et aux relations de pouvoir et de genre dans les violences faites aux femmes (Marin & Russo, 1999). Aujourd'hui, l’approche féministe s’intéresse particulièrement à l’effet du genre et aux rapports sociaux d’oppression s’établissant dans les relations entre les hommes et les femmes (Daune-Richard & Devreux, 1992; Parini, 2006).

Les théories féministes de domination des hommes sur les femmes n’ont pas toutes le même point de départ et les propositions politiques divergent en fonction du courant. Trois courants de pensée sont présents dans la littérature anglo-saxonne. Le courant du féminisme libéral précède les autres théories. Son postulat principal consiste à une mauvaise adaptation du marché du travail pour les femmes, notamment par les dysfonctionnements historiques et sociaux engendrant des inégalités. De même, les revendications des femmes ne sont qu’en termes d’égalité de droit astreignant les pratiques sociales dans le parcours des individus. Ensuite, le courant du féminisme marxiste émerge d’une analyse matérialiste de l’oppression économique des femmes dans la société capitaliste. Cette seconde approche s’établit dans les relations de classe et dans l’analyse du mode de production du travail rémunéré et non rémunéré. Selon cette vision, les structures sociales exploitent les femmes dans le travail domestique. Enfin, dans le courant du féminisme radical, le système et les structures sociales fondés sur le patriarcat expliquent la subordination des femmes. Par ailleurs, la domination masculine repose sur des bases matérielles et symboliques, surtout le rôle de la sphère domestique dans la domination du mari comme chef de famille (Daune-Richard & Devreux, 1992; Gaussot, 2014; Gravel et al., 2007; Parini, 2006; Pollert, 1996).

Plus précisément, la dernière approche du féminisme radical est pertinente pour problématiser la relation du sexe et du pouvoir au travail. Le système capitaliste (approche féministe marxiste) ne peut expliquer complètement les agressions dirigées envers les femmes au travail, à la différence de l’approche féministe radicale qui considère le système social du patriarcat dans l’explication du contexte de hiérarchie de sexe et de genre par une supériorité des hommes au travail (Gravel et al., 2007). Cette approche intègre les aspects socioculturels de la

67 domination des hommes sur les femmes. La considération des rapports d’oppression de genre permet de rééquilibrer les forces de genre dans la domination des hommes dans le système capitaliste patriarcal. L’approche féministe radicale permet de considérer les intersections entre les sphères de la famille et de la communauté dans les problématiques du travail (Pocock, Williams, & Skinner, 2012). D’une part, les agressions envers les femmes dans les milieux de travail prennent leur origine de la domination des hommes dans la sphère familiale par le rôle du mari, chef de famille. D’autre part, la sphère de la communauté contribue également aux agressions faites aux femmes au travail en raison de la prédominance des hommes dans les instances de pouvoir politiques et juridiques. Ce contexte de hiérarchie de sexe et de genre favorise la tolérance sociale et juridique des agressions envers les femmes (Parini, 2006).

2.3.2-Les théories psychosociales et sociologiques pour expliquer les agressions au plan organisationnel

Au plan organisationnel, plusieurs théories permettent d’expliquer les agressions que subissent les femmes sur le marché du travail. La présente sous-section se consacre aux limites des théories sur le harcèlement sexuel afin d’expliquer l’importance de s’intéresser aux théories sur l’agression interpersonnelle.

2.3.2.1-Les théories initiales du harcèlement sexuel : limites théoriques et méthodologiques Initialement, des chercheurs postulaient que les réponses agressives et violentes envers les femmes reposaient sur l’interaction entre les hommes et les femmes dans les milieux de travail (the contact hypothesis) (Gutek et al., 1990). Selon cette hypothèse, l’augmentation des agressions envers les femmes est relative à la mixité au travail qui sexualise les milieux organisationnels (Gutek et al., 1990; Lengnick-Hall, 1995).

Distinctement, le harcèlement sexuel est amplifié par la théorie du renversement des rôles basés sur le sexe (the sex-role theory). Selon cette seconde hypothèse, les agressions envers les femmes au travail découlent d’actes inappropriés en fonction des attentes comportementales basées sur le sexe. Les comportements attendus diffèrent en fonction de la culture et de la socialisation distincte entre les hommes et les femmes (Gutek & Morasch, 1982; Hemming,

68 1985; Lengnick-Hall, 1995; Popovich & Licata, 1987). Cette extension des rôles basés sur le sexe doit considérer la proportion d’hommes et de femmes (Gutek, 1985), de même que le renforcement d’une culture de travail favorisant les rôles masculins (Ragins & Scandura, 1995).

En complémentarité de ces deux approches, l’approche basée sur le pouvoir (the power approach) considère les mécanismes de maintien de la supériorité économique et politique des hommes sur les femmes pour expliquer le harcèlement sexuel (Farley, 1978; Lengnick-Hall, 1995; Tangri, Burt, & Johnson, 1982). Similairement, les théories culturelles sur le racisme justifient les actes discriminants, jusqu’aux guerres entre pays, dans l’optique de garantir la supériorité d’un groupe sur un autre (Hofstede, 1980).

En définitive, à l’instar de l’approche féministe, le harcèlement sexuel peut être le résultat du déséquilibre dans les rapports de force au travail engendrant une stratification au sein des organisations à prédominance masculine (Fain & Anderton, 1987; Lengnick-Hall, 1995). Ces théories initiales visaient avant tout une reconnaissance du harcèlement sexuel en tant que problème social (Aggarwal, 1992; Farley, 1978). Les réponses agressives peuvent s’inscrire dans un mécanisme de déplacement des émotions négatives envers des cibles plus commodes, disponibles et possédant moins de pouvoir, soit les femmes (Bies, Tripp, & Kramer, 1997; Lind & Tyler, 1988).

Modèles théoriques relatifs aux théories du harcèlement sexuel

De ces approches théoriques peuvent découler trois modèles explicatifs du harcèlement sexuel : le modèle naturel/biologique, le modèle organisationnel et le modèle socioculturel.

Le premier, le modèle naturel/biologique, consiste à une simple expression naturelle d’attirance sexuelle au travail par un déni de toute forme de discrimination et d’intention de nuire aux victimes (Tangri et al., 1982).Le second, le modèle organisationnel, se concentre sur les structures organisationnelles hiérarchiques au plan des relations supérieur/subordonné, de même qu’à la ségrégation verticale au sein des emplois. Selon ce modèle, le harcèlement sexuel découle des structures hiérarchiques et des relations d’autorité. Plus particulièrement, par la possibilité des travailleurs qui occupent un statut hiérarchique supérieur d’utiliser leur pouvoir et leur position afin d’obtenir des avantages à caractère sexuel de leurs subordonnés (Tangri et al.,

69 1982). Le troisième, le modèle socioculturel, similaire à l’approche sur le pouvoir, justifie l’intimidation et le découragement au travail des femmes par un objectif de maintenir la domination professionnelle et subséquemment économique des hommes sur les femmes. Le harcèlement sexuel est le résultat des inégalités de pouvoir et de statut entre les hommes et les femmes au niveau sociétal et, plus spécifiquement, au plan économique par une dominance des hommes dans les milieux organisationnels (Tangri et al., 1982).

Limites des théories initiales du harcèlement sexuel

Les trois approches théoriques précédentes sont toutefois imprégnées de plusieurs lacunes relatives à la défaillance de validité des modèles et des mesures sur le plan de la méthodologie, à un faible développement théorique de construits trop subjectifs, au manque d’études empiriques au sein des organisations, de même qu’aux intersections trop nombreuses entre une variété d’approches. De plus, l’analyse de la problématique du harcèlement sexuel se concentre en totalité sur les réactions et sur la perception de la victime (Lengnick-Hall, 1995).

Aucune des théories précédentes ne peut être considérée comme une théorie complètement développée (Lengnick-Hall, 1995). En réponse au peu de recherches étudiant la motivation des comportements des agresseurs et la manière dont se produisent les agressions, O’Leary-Kelly, Paetzold et Griffin (2000) se sont intéressés aux théories sur les agressions interpersonnelles et, plus spécifiquement, à celles se concentrant sur les buts émotionnels et instrumentaux des agresseurs (O'Leary-Kelly et al., 2000). Subséquemment, l’étude des comportements des agresseurs a élargi les explications théoriques du harcèlement sexuel à des modèles soutenant l’influence organisationnelle, à la visée des décisions des agresseurs ainsi qu’à l’impact des réponses des victimes et des témoins sur les agressions (O'Leary-Kelly et al., 2009).

La prochaine sous-section se consacre à la définition des principales théories des agressions interpersonnelles dans une optique d’élargir les théories initiales pour expliquer les agressions fondées sur le sexe et sur le genre dans les métiers spécialisés.

70 2.3.2.2-Les théories sur l’agression interpersonnelle

L’agression consiste en un comportement social et intentionnel d’une personne vis-à-vis d’une autre personne souhaitant éviter cet acte dommageable pour elle (Anderson & Bushman, 2002). Néanmoins, ce ne sont pas toutes les agressions qui visent l’obtention de bénéfices en retour. Dans une optique de faciliter le développement de théories et d’interventions relatives aux agressions au travail, une distinction entre deux types d’agression, émotionnelle (hot aggression) et instrumentale (cold aggression), s’organise au travail (Bushman & Anderson, 2001).

Agression hostile VS Agression instrumentale

L’agression hostile est caractérisée par un faible calcul des conséquences de la réponse agressive, par son caractère imprévu et impulsif, par l’expression d’un comportement négatif en réponse à une colère ainsi qu’un seul motif de blesser la personne cible en réponse à une provocation. En revanche, l’agression instrumentale est perçue comme étant proactive, acquise et non réactionnelle. Les objectifs visés sont prémédités et ne consistent pas uniquement à blesser la personne cible. Ces derniers consistent en un désir d’obtenir une récompense monétaire ou sociale par une maîtrise de l’environnement ou par un maintien de gains ainsi qu’une restauration d’un sentiment d’injustice ou d’une identité menacée. Le tout dans une perspective d’évaluation des coûts et de détection d’opportunités profitables (Baron & Richardson, 2004; Berkowitz, 1993; Geen, 2001; Jauvin et al., 1999; Roland & Idsøe, 2001; Tedeschi & Felson, 1994; Zillmann, 1979).

Bushman et Anderson (2001) distinguent cette dichotomie (hostile/instrumentale) en fonction des buts rapprochés et éloignés, notamment par un classement des agressions selon l’objectif ultime. De même, à l’instar de l’agression émotionnelle, toutes les agressions sont imprégnées d’une intention de nuire, mais jusqu’au rapprochement de l’objectif visé. Enfin, les buts convoités peuvent s’avérer variés et simultanés, tout en déterminant ceux relevant de la colère et ceux qui sont planifiés (Bushman & Anderson, 2001).

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Principales théories des agressions interpersonnelles

La présente sous-section fait l’étoffe des différentes théories explicatives des agressions interpersonnelles, soit les théories instinctives et les théories de la frustration-agression, d’excitation et de transfert et celles cognitivo-néoassociationnistes. Ces théories ne sont pas opposées et sont complémentaires, bien que la théorie cognitivo-néoassociationniste, ainsi que celle d’excitation et de transfert, sont davantage associées aux agressions réactives (hostiles) par l’activation d’émotions chez l’individu (Jauvin et al., 1999). De plus, les mêmes processus cognitifs présents dans ces théories peuvent se déclencher dans d’autres types d’agressions plus instrumentales (Anderson & Bushman, 2002).

a) Théorie instinctive

L’éthologie postule que les réponses agressives de l’humain sont déterminées par un instinct normal de combat, d’adaptation et de survie à son milieu (Lorenz, 1966). Similairement, selon la théorie psychanalytique, en référence principale à Freud, les actes agressifs résultent de frustrations enfouies au niveau de l’inconscient et des pulsions fondamentales des êtres humains (Jauvin, 2003).

b) Théorie de la frustration-agression

Distinctement aux théories instinctives, l’hypothèse de frustration-agression explique l’agression comme la conséquence d’une frustration relative aux situations psychologiques individuelles des personnes et mobilisant des agressions. Dans un ouvrage intitulé Frustration and Aggression, des chercheurs ont formulé une explication psychosociale des agressions (Dollard, Miller, Doob, Mowrer, & Sears, 1939). Selon leur conception, la frustration prédispose aux agressions conformément à l’effet d’interférence ou d’obstacle sur l’atteinte de l’objectif. De manière privilégiée, la réponse agressive est dirigée vers la source de la frustration. Dans l’impossibilité d’accéder à la cible, notamment dans les cas où la cible est absente ou occupe un statut hiérarchique supérieur, d’autres cibles, plus vulnérables et moins enclines à exercer des représailles, peuvent être atteintes. Ce phénomène a été intitulé par Dollard et collègues par la théorie du bouc émissaire (Sherif & Sherif, 1969).

72 Dans cette perspective, l’agression est toujours une conséquence d’une frustration. D’une part, l’existence d’une frustration s’avère nécessaire à toute réponse agressive et, d’autre part, cette frustration conduit toujours à une agression. Finalement, l’agression est proportionnelle à l’intensité de la frustration, de même que les agressions précédentes influencent le déclenchement d’agressions futures en raison de l’effet cumulatif (Berkowitz, 1989; Dollard et al., 1939).

c) Théories d’excitation et de transfert

Dans une révision de l’hypothèse de frustration-agression, Zillmann a formulé la théorie du transfert et de l’excitation (Zillmann, 1983). Dans cette vision, l’agression découle d’un état d’excitation relatif à des stimuli environnementaux. La frustration n’est pas un antécédent nécessaire pour produire une agression. À l’inverse de la théorie précédente, l’agression ne se déclenche pas uniquement à la suite d’une attaque personnelle ou dans une optique d’atteindre un objectif. La théorie de Zillmann ajoute tous les éléments entravant l’atteinte des objectifs comme des facteurs explicatifs des agressions en l’absence des éléments mentionnés précédemment (Anderson & Bushman, 2002; Berkowitz, 1989; Zillmann, 1983).

d) Théories cognitivo-néoassociationnistes

Subséquemment aux théories cognitives du transfert et de l’excitation, les théories cognitivo-néoassociationnistes proposent qu’un stimulus aversif, tel que les frustrations, les provocations, les vigoureux bruits, les températures inconfortables ainsi que les odeurs désagréables, produise des affects négatifs. Ces états affectifs résultent d’une activation d’un réseau associatif composé de sentiments, de souvenirs, de pensées ainsi que de réactions physiologiques et biologiques, disposant à l’agression. Autrement dit, les émotions et les cognitions sont reliées en un réseau (Anderson & Bushman, 2002; Anderson, Anderson, Dill, & Deuser, 1998; Berkowitz, 1983; Collins & Loftus, 1975).

Plus précisément, les affects négatifs sont associés à des tendances pour les agressions ou la fuite en réponse aux sentiments de colère ou de peur. L’attention est mise sur l’élément déclencheur, le désagréable, qui empêche l’atteinte de l’objectif. De ce fait, l’affect négatif

73 représente le centre de frustration et de la cognition en raison de son effet médiateur. Les réponses agressives permettent de réduire cet affect négatif. Les processus cognitifs, notamment les interprétations et les attributions occupent une place importante dans les théories cognitivo- néoassociationnistes (Anderson & Bushman, 2002; Berkowitz, 1983).

Plus loin que l’hypothèse de la frustration-agression, ces théories élargissent l’explication des agressions par un mécanisme causal dans lequel l’affect négatif, par son un rôle médiateur, influence les expériences négatives et augmentent les réponses agressives (Anderson & Bushman, 2002; Berkowitz, 1989).

Suite à l’énumération des différentes théories relatives aux agressions, la prochaine section se consacre aux facteurs prédictifs de l’ensemble des agressions dans les milieux de travail. Il est important de recenser tous les éléments occasionnant des agressions fondées sur le sexe et sur le genre au travail dans une optique de compréhension profonde de l’influence du rôle de chacun d’eux dans les réponses agressives des travailleurs.

2.4-Recension de la littérature sur le rôle des facteurs individuels, relationnels