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Cette section se consacre à la définition ainsi qu’aux conditions d’emploi associées à la profession des métiers spécialisés, principalement par une précision du type d’emploi, de la relation d’emploi, des programmes de mieux-être, des relations de travail et du contexte démographique relatif à la pénurie de main-d’œuvre.

1.1.1-Définition de la profession et du métier spécialisé

Afin de bien définir la profession associée aux métiers spécialisés, cette sous-section définit d’abord, de manière concise, le concept de profession ainsi que, subséquemment, la définition d’un métier spécialisé.

Profession

La définition du terme profession est controversée au sein de la sociologie des professions en fonction des distinctions nationales et diverge selon l’utilisation en anglais ou en

16 français. Dans le monde anglo-saxon, la sociologie des professions est une sous-discipline de la sociologie, alors qu’en France, ce thème est faiblement étudié. D’où l’utilisation de l’expression « sociologie anglo-saxonne des professions » (Dubar, Tripier, & Broussard, 2011).

Les origines anglo-saxonnes du terme profession, suivant le courant essentialiste de la sociologie fonctionnaliste des années 1930-1950, réfère à une formation longue et théorique dans l’optique que les professionnels acquièrent et maîtrisent des connaissances et des responsabilités hautement spécialisées, telle que le droit, la médecine et la théologie. La liberté (versus l’oppression) et la dignité (versus la dépendance) sont les valeurs de référence qui distinguent les professionnels des autres métiers, soit les occupations (mécanicien, soudeur, électricien, coiffeur, agent de bureau, etc.) selon la terminologie américaine. « Les professions constituent, dans ce cadre, des éléments essentiels de la structure sociale et de la régulation morale » (Dubar et al., 2011, p. 332).

Dans les années 1950, le courant interactionniste, au contraire, considère les professions comme une reconnaissance et un accomplissement personnel. Enfin, dès 1960, la prise en compte des dimensions économiques et historiques élargit à de nouvelles perspectives théoriques néo-marxistes et néo-wébériennes dans une approche monopolistique de professionnels trop privilégiés. « Ces approches font des professions des marchés fermés du travail tentant de monopoliser un segment d’activité et de légitimer ce monopole par des stratégies multiples » (Dubar et al., 2011, p. 332). Les notions de ressources de pouvoir, ainsi que les intérêts, les prises de position et les actions des groupes professionnels caractérisent l’évolution du courant de la sociologie des professions (Dubar et al., 2011).

Les professions sont conceptualisées selon trois enjeux : politiques (formes historiques d’organisation sociale, de catégorisation des activités de travail), éthiques-culturels (formes historiques d’accomplissement de soi, des cadres d’identification subjectives et d’expression de valeurs d’ordre éthique) et économiques (formes historiques de coalitions d’acteurs qui défendent leurs intérêts en essayant d’assurer et de maintenir une fermeture de leur marché du travail) (Dubar et al., 2011, p. 14).

À l’opposé des pays anglo-saxons, la profession n’est pas seulement définie dans un sens intellectuel de professions libérales et savantes. La terminologie du terme « profession » peut

17 s’inscrire, plus largement, dans tout ce qui est d’occuper un emploi (en anglais occupation) (Dubar, 2010). Selon Claude Dubar et collègues, quatre sens distincts en France englobent la terminologie du terme « profession » : la profession (sens 1) est une déclaration qui s’énonce publiquement et qui comme la vocation, est liée à des croyances idéologico-religieuses, la profession (sens 2) est le travail que l’on fait, l’emploi que l’on occupe, dès lors qu’il permet d’en vivre grâce à un revenu, la profession (sens 3) est donc l’ensemble des personnes désignées (et se désignant) par le même nom de métier au sens large d’activité semblable ainsi que la profession (sens 4) est une fonction, une compétence reconnue au sein d’une organisation : le terme « reconnaissance » est au cœur de ce dernier univers de signification récemment remis à l’ordre du jour par le discours politique (Dubar et al., 2011, p. 11-12).

En définitive, la définition des professions « engage un travail à la fois cognitif (des savoirs sur les appellations, les spécialités, les filières), affectif (des valeurs et des préférences) et conatif (des actions pour défendre ses intérêts, des références à des mouvements collectifs) » (Dubar et al., 2011, p. 14).

Dans la présente recherche, à l’instar de l’utilisation courante en France, le terme français « profession » réfère à la branche professionnelle, composée des travailleurs et des supérieurs d’un même secteur professionnel, soit au sens 3. La profession représente une spécialité considérée comme un métier caractérisé par un sentiment d’appartenance au groupe de travailleurs exécutant les mêmes tâches (Dubar et al., 2011). Le sentiment d’appartenance est important dans le concept d’identité professionnelle.

Métiers spécialisés

Un métier spécialisé se caractérise par un emploi au sein duquel un programme d’apprentissage, officiellement reconnu par une législation provinciale ou territoriale, est offert. L’Annexe I énumère une liste des métiers de la Classification nationale des professions de Statistique Canada. Ce type d’emploi consiste à un travail manuel et concret exécuté pour le compte d’un employeur. L’apprentissage du métier s’effectue sur le terrain dans un milieu de travail. Nonobstant le caractère répétitif des tâches, les métiers spécialisés exigent des

18 connaissances approfondies, de la dextérité et de la précision afin de bien exercer des activités et des tâches complexes (Lefebvre et al., 2012; Pyper, 2008).

1.1.2-Description du type d’emploi

Les emplois à temps plein représentent la norme pour la majorité des travailleurs de métiers, en partie attribuable à l’absence de femmes dans ces secteurs. Des pratiques de conciliation travail-famille et des horaires à temps partiel ne sont pas revendiqués par la forte proportion d’hommes. À l’inverse de l’abaissement de la proportion de personnes travaillant plus de 50 heures par semaine au Canada, la proportion augmente chez les travailleurs de métiers en 2007, notamment au sein du groupe des maçons et chez les autres travailleurs des métiers (couvreurs, vitriers, calorifugeurs, peintres et poseurs de revêtements) selon les données de Statistique Canada (Pyper, 2008).

À titre d’exemple, dans le secteur de la construction, au Canada, le manque de flexibilité, les heures supplémentaires et le changement de lieux de travail sont courants. À l’instar du Québec, l’acceptation des heures prolongées témoigne d’un engagement des travailleurs selon la culture du milieu de la construction (CSC, 2010b). Plus précisément, en Angleterre, dans le génie civil, une étude a exploré l’influence de la culture professionnelle dominée par les longues heures de travail (Watts, 2009). À cet égard, les valeurs du présentéisme et de la disponibilité infinie sont la norme et les ingénieurs travaillant moins d’heures sont déviants des règles. Ainsi, tous les travailleurs, incluant les femmes, doivent adopter ce style d’horaires exigeant et inflexible afin de préserver cette identité professionnelle (Watts, 2009).

1.1.3-Relation d’emploi transactionnelle

La relation d’emploi est un lien entre un travailleur et son employeur. Ce concept se définit par un échange de relations où l’employé fournit des contributions en échange d’incitations et de bénéfices des employeurs (Coyle-Shapiro, Shore, Taylor, & Tetrick, 2004). Alors que, distinctement, le contrat de travail renvoie aux ententes explicites établies formellement lors d’une négociation des conditions de travail (Rousseau, 1995).

19 Les relations d’emploi dans les métiers spécialisés s’incorporent dans le modèle industriel au sein d’une relation incertaine, transactionnelle, hiérarchisée et bipartite « employeur- employés » s’appliquant à tous les travailleurs. Plus particulièrement, le contrat transactionnel résulte d’un contrat à courte durée, caractérisé par des exigences spécifiées (Rousseau, 1995). À cette relation bipartite, s’ajoutent les associations syndicales, fortement présentes dans la profession des métiers spécialisés. À ces acteurs, s’ajoutent les donneurs d’ouvrage qui sont habituellement les propriétaires des sites et ceux qui embauchent les entrepreneurs dans l’industrie spécifique de la construction.

Néanmoins, bien que la relation d’emploi dans les métiers spécialisés soit traditionnelle en regard du temps plein, elle se caractérise par des contrats incertains et des relations temporaires à court terme entre l’employeur et les travailleurs spécialement dans l’industrie de la construction, en fonction de l’octroi de contrats avec les investisseurs. Distinctement, dans le secteur manufacturier, la relation d’emploi peut consister à des contrats permanents sur du long terme. Précisément, le contexte instable du secteur de la construction, relatif aux dépenses en investissement et aux conditions climatiques (CCQ, 2015b), se caractérise par une forte mobilité de main-d’œuvre, soit entre deux à trois contrats non sécurisés par année (Dumont, 2013).

Claude Dubar aborde le terme de blocage d’identité professionnelle, soit une discontinuité dans les attentes des travailleurs en regard de leur relation d’emploi à la suite de leur formation au sein de la filière professionnelle (Dubar, 2010). Il peut être suggéré que les formations et l’avancement professionnel des travailleurs de métiers spécialisés considèrent faiblement les besoins et les aspirations des travailleurs. Ce phénomène s’associe fortement au concept de stress professionnel, défini par : « un déséquilibre entre les aspirations et espoirs de l’individu et la réalité de ses conditions de travail » (Dolan & Arsenault, 2009, p. 64). La définition du stress au travail englobe tous les facteurs irritants pour les travailleurs présents dans l’environnement de travail et contributifs aux problèmes de santé mentale (Dussault, Jauvin, Vézina, & Bourbonnais, 2010). Les risques psychosociaux se forgent à la frontière de la vie personnelle et professionnelle. Il s’agit principalement du stress prenant naissance dans le psychisme des individus et dans les collectifs des individus au travail.Ilsrésultent de l’exposition chronique à des conditions de travail stressantes taxant les capacités psychologiques des

20 travailleurs à interagir adéquatement avec leur environnement de travail (Nasse, Légeron, & Bertrand, 2008). Principalement, les risques psychosociaux sont composés des risques relatifs au stress, aux agressions et aux violences.

1.1.4-Programmes de mieux-être

Le rôle de l’organisation est déterminant pour le mieux-être des travailleurs des métiers. Les travailleurs des métiers spécialisés sont de plus en plus susceptibles de vivre les conséquences d’un stress négatif au travail, en regard de la faible latitude décisionnelle et de la faible utilisation des compétences, des tâches routinières et monotones, des fortes contraintes physiques ainsi que de la précarité et de l’insécurité d’emploi. Tous ces facteurs relatifs aux conditions de travail sont associés aux risques psychosociaux du travail (Barling, 1996; Einarsen et al., 1994; Leymann, 1996; Neuman & Baron, 1998; Notelaers et al., 2013; Vartia, 1996; Zapf et al., 1996).

Les programmes d’aide aux employés et les programmes de promotion de saines habitudes de vie sont de bons exemples de pratiques de mieux-être au travail. En fait, tout au long du parcours professionnel, la promotion de saines habitudes de vie est un moyen d’atteindre le mieux-être des travailleurs par l’adoption de comportements sains et de réduction de comportements nuisibles au travail. L’objectif est le changement de certaines habitudes de vie malsaines des travailleurs. La mise en place d’un environnement favorisant de bonnes habitudes pour la santé à l’aide de politiques et des mesures incitatives, surtout de l’information et du soutien, ainsi que des cours pour cesser de fumer, de saines habitudes alimentaires ou des programmes d’activités physiques sont tous des exemples de pratiques de promotion de saines habitudes (St-Onge et al., 2013b).

À titre d’exemple, dans le secteur de la construction, le programme CONSTRUIRE en santé a été instauré afin de promouvoir et de gérer la santé des travailleurs. Son objectif principal consiste à un changement des habitudes de vie des travailleurs en regard de la consommation d’alcool ou de médicaments, ainsi que de leur santé physique (services d’abandon du tabagisme, de perte de poids et de mieux faire face aux maladies) ou leur santé mentale (traitement de l’alcoolisme, de la toxicomanie, des jeux compulsifs, de la dépression ou de comportements

21 agressifs). Pour ce faire, des services professionnels de prévention et d’intervention en alcoolisme, autres toxicomanies et jeux compulsifs, de même que des services d’aide pour les relations de couple (i.e. divorce, séparation, sexualité), les problèmes familiaux (i.e. violence conjugale ou familiale, délinquance), les problèmes psychologiques (i.e. dépression, épuisement professionnel, deuil) et l’intervention post-traumatique à la suite d’un choc émotif sont tous des prestations offertes aux travailleurs dans les métiers de la construction (CCQ, 2015c).

Plus spécialement, les programmes d’aide aux employés (PAE) sont des ressources subventionnées par l’employeur, notamment des services d’accompagnement ou des interventions en cas de crise, offerts aux employés pris avec des problèmes de santé physique ou psychologique ou bien des soucis personnels, tels l’alcoolisme, la toxicomanie, les problèmes de jeu, les tensions matrimoniales, la détresse psychologique et l’épuisement, l’orientation professionnelle ainsi que l’aide à la mutation. Ces pratiques de prise en charge de la santé prédisposent à un meilleur mieux-être des individus (St-Onge et al., 2013b). À cet égard, un travailleur souffrant est plus prédisposé à agresser dans une optique de démontrer sa souffrance à autrui (Berkowitz, 1983). Il peut s’agir d’un mécanisme relatif à l’expression de sentiments de colère ou de frustrations au travail, notamment à la suite de situations stressantes (Chen & Spector, 1992; Fox et al., 2001; Vigoda, 2002). Par contre, les travailleurs réagissent différemment à ces situations, autant par des réponses agressives et violentes que par des sentiments dépressifs et de la peine (Neuman & Baron, 1998).

1.1.5-Relations de travail

Historiquement, les associations syndicales ont réussi à obtenir davantage de pouvoir pour défendre les travailleurs dans les métiers spécialisés par leurs grandes luttes et grèves. Nonobstant ces victoires, les rivalités intersyndicales, la dégradation du climat de travail et le contexte instable ont occasionné une diminution de pouvoir des organisations syndicales. À titre d’exemple, dans l’industrie de la construction, le saccage de la Baie-James en 1973 illustre bien l’historique des conflits de travail sur les chantiers. Les coûts directs et indirects de la destruction du chantier LG-2 s’élevaient à une trentaine de millions de dollars. Subséquemment, les actes de violence et d’intimidation se sont multipliés dès le début des années 1970, notamment pour la

22 lutte à la syndicalisation (Rouillard, 1989). Dans l’industrie spécifique de la construction, cette situation conflictuelle est toujours en vigueur actuellement. La Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (Commission Charbonneau) a abordé le thème de la violence et de l’intimidation présentes sur les chantiers lors des comparutions.

1.1.6-Contexte démographique relatif à la pénurie de main-d’œuvre

Les prévisions statistiques prévoient une forte pénurie de main-d’œuvre chez les travailleurs qualifiés des métiers spécialisés et surtout une pénurie de compétences (CSC, 2004; Lefebvre et al., 2012).

D’une part, ce constat s’établit à l’échelle mondiale sur le plan des pays industrialisés et s’explique par la valorisation des études universitaires dans une économie de savoir au détriment de la formation d’apprentissage pour les métiers, ainsi qu’une baisse des étudiants dans les programmes d’apprentissage. Dans une étude internationale comparative, un déclin de la réputation de la formation professionnelle a été dénoté, à l’opposé d’un progrès et d’un intérêt pour les formations générales plus théoriques et concentrées au niveau tertiaire (Bosch & Charest, 2009).

D’autre part, cette pénurie de travailleurs s’associe aux baby-boomers qui s’apprêtent à quitter le marché du travail en grand nombre. Le vieillissement de la main-d’œuvre est particulièrement critique dans les métiers spécialisés considérant le besoin d’effort physique dans les tâches quotidiennes, limitant davantage le travail des personnes du troisième âge. Enfin, les améliorations technologiques et l’automatisation du travail ne contribuent pas autant à un gain de productivité dans le domaine spécialisé des métiers spécialisés où la rentabilité dépend des compétences des travailleurs. Il s’agit de compétences spécialisées de savoir-faire des travailleurs de métiers qui ne sont pas substituables par des machines (CSC, 2004; Lefebvre, Simonova, & Wang, 2012).

Au Canada, les estimations s’élèvent à une pénurie d’un million de travailleurs d’ici 2020 seulement pour l'industrie de la construction (CSC, 2004). La stratégie politique du gouvernement québécois a été principalement de mettre en place un programme d’accès à

23 l’égalité des femmes (PAEF) depuis 1997 afin d’attirer les femmes dans ce secteur (CCQ, 2014a). La faible intégration des femmes dans les métiers est paradoxale dans la mesure de l’annonce prochaine de la pénurie de main-d’œuvre.

La prochaine section se concentre spécifiquement à l’égalité en emploi dans les métiers et particulièrement à la situation des femmes dans les métiers spécialisés du Québec.

1.2-Égalité en emploi dans les métiers spécialisés au Québec : la mise en