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La construction des modèles d’identité professionnelle s’établit principalement par le conditionnement des rapports humains au travail et par des processus identitaires. De ces processus, trois dimensions de l’identité professionnelle en résultent : l’estime collective du groupe professionnel, la culture de métiers ainsi que le type de genre du métier.

a) Estime collective du groupe professionnel

Les processus identitaires s’établissent principalement par l’identification et l’identisation associées à la profession, desquelles résulte l’estime collective du groupe professionnel. À cet égard, l’estime du groupe s’établit par la manière dont les travailleurs s’identifient à leur métier selon le sentiment d’appartenance, la reconnaissance de leur métier tant de leur point de vue que ceux d’autrui, par une comparaison, une différenciation et classification entre les groupes (Sales- Wuillemin, 2006; Tajfel et al., 1971).

En regard de l’estime de soi, au niveau individuel, ce concept s’inscrit dans la représentation que l’individu se fait de lui-même, soit la perception favorable ou défavorable de lui-même, notamment la confiance et le respect qu’il porte à sa personne. Les réponses agressives dans les milieux de travail sont associées aux deux, tant à une forte estime (Anderson & Bushman, 2002) qu’à une faible estime (Baumeister et al., 1996) des agresseurs.

Au niveau des groupes professionnels, il s’avère important de s’intéresser au concept de l’estime collective du groupe, et particulièrement, à une estime élevée du groupe suivant la théorie de l’identité sociale visant l’acquisition d’une identité favorable (Tajfel, 1981). Ce concept constitue la représentation du groupe en regard de son image, soit à quel point le groupe s’inscrit dans une identité sociale positive. Le sentiment d’appartenance, l’adhésion, la valeur et

162 la signification émotionnelle de l’identification des individus au groupe permettent d’établir cette estime collective du groupe (Crocker & Luhtanen, 1990).

Dans les métiers spécialisés, l’appartenance du groupe social associée au métier, soit l’identification professionnelle, s’avère fortement déterminante dans l’engagement de réponses agressives des travailleurs. Dans ces enquêtes sur le conditionnement des rapports sociaux au travail, Sainsaulieu a démontré la référence à la profession et à la valeur primordiale du prestige du métier manuel (Sainsaulieu, 2014). Les travailleurs qui sont fortement identifiés à leur groupe ressentiront plus fortement une perception de menaces relativement à ce dernier (Branscombe et al., 1999; Ellemers et al., 2002).

b) Culture de métiers

La culture construit l’identité professionnelle des travailleurs par la reconnaissance et l’identification aux identités collectives relatives au métier selon les valeurs implicites et explicites privilégiées. À cet effet, la culture constitue la base du conditionnement social des relations collectives entre les travailleurs et leur rapport au groupe dans le cadre du travail. De ce fait, la dimension culturelle associée à la profession s’avère déterminante dans les rapports collectifs. En fait, la culture établit les rapports au groupe et, plus spécialement, le degré de collectivisme du groupe et de distance hiérarchique. Les stratégies identitaires des travailleurs des métiers spécialisés s’établissent dans ces formes de conditionnement social, tant au niveau horizontal que vertical.

Selon les dimensions culturelles du modèle de Geert Hofstede, le collectivisme renvoie à une préférence pour les intérêts collectifs du groupe, privilégiant l’identité collective. Il peut s’agir de l’importance de l’harmonie et de l’homogénéité du groupe, de l’acceptation des idées convergentes au sein du groupe, à l’unanimité des décisions ainsi qu’à la tolérance au clivage envers certains individus s’opposant au conformisme (Hofstede, 1980, 1984). Cette dimension influence et détermine le sentiment d’appartenance des travailleurs (Hofstede, 1980, 1984), notamment la préférence pour l’identité professionnelle.

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Deux orientations du continuum individualisme/collectivisme : horizontal et vertical

En regard des composantes de la culture de métiers, les dimensions du modèle de Hofstede se sont limitées à un seul continuum pour l’orientation de l’individualiste s’opposant au collectivisme. En réponse à la dichotomie simpliste, des chercheurs ont suggéré une typologie incluant deux niveaux d’analyse, soit le continuum individualisme/collectivisme ainsi que le continuum vertical/horizontal. Cette seconde dimension est présente tant dans les cultures individualistes que collectivistes (Triandis, 1995; Triandis & Gelfand, 1998). Les quatre types de culture sont : l’individualisme horizontal; l’individualisme vertical; le collectivisme horizontal ainsi que le collectivisme horizontal (Sivadas, Bruvold, & Nelson, 2008; Triandis, 1995; Triandis & Gelfand, 1998).

Plus concrètement, le pôle vertical renvoie à la structure hiérarchique entre les membres de la culture et à l’acceptation des inégalités, de même qu’à l’importance du statut social (Triandis & Gelfand, 1998), alors que le pôle horizontal représente la structure égalitaire ainsi que l’acceptation de statuts égaux entre les membres (Triandis, 1995). Ainsi, il est possible de comparer la typologie de Triandis, composée des pôles vertical/horizontal et individualisme/collectivisme, aux deux dimensions de la distance hiérarchique et de l’individualisme/collectivisme de Geert Hofstede.

Par conséquent, il est pertinent de s’intéresser aux deux dimensions de Triandis pour définir la culture de métiers selon le degré d’individualisme/collectivisme. D’une part, les rapports collectifs au plan horizontal sont la première mesure, soit le degré de collectivisme du groupe. D’autre part, au plan vertical, la distance hiérarchique est la deuxième mesure de l’individualisme/collectivisme, soit la distance sociale de pouvoir. De ces deux dimensions, s’ajoute, en complémentarité, la dimension d’intégration des différences.

Ajout du degré d’intégration des différences

Dans cette étude sur les métiers spécialisés, il s’avérait important d’ajouter la dimension de l’inclusion et, plus précisément, le degré d’intégration des différences parmi les travailleurs. Au- delà d’un climat de diversité, se limitant aux caractéristiques démographiques et aux processus relatifs à la cohésion et coopération des groupes, le climat d’inclusion permet de mieux

164 considérer les conflits dans les groupes hétérogènes. Les agressions fondées sur le sexe et sur le genre découlent notamment des différences entre le sexe et les traits masculins et féminins des individus. De là l’importance de compléter les deux dimensions de l’individualisme/collectivisme et de la distance hiérarchique de la culture professionnelle des métiers par une troisième dimension de l’intégration des différences dans les relations sociales au travail, surtout celles de genre dans les métiers à forte prédominance masculine.

De surcroît, l’importance de l’inclusion et du conformisme dans le groupe professionnel des métiers justifie la banalisation, la tolérance et l’acceptation de certaines réponses agressives, surtout à l’égard des travailleurs qui se distinguent du groupe. Particulièrement, dans les cultures collectivistes, les agressions fondées sur le sexe et sur le genre sont plus élevées en fonction d’une tolérance au sexisme (Cantisano, Domínguez, & Depolo, 2008; Pryor & Whalen, 1997). Dans la culture des métiers spécialisés, caractérisée par la valorisation des masculinités au détriment des féminités, il s’avère plus important de privilégier un fort degré d’inclusion dans les relations sociales, peu importe les distinctions fondées sur le sexe et sur le genre des travailleurs.

En fait, nonobstant l’homogénéité du groupe de travailleurs des métiers sur le plan de qualification et des conditions de travail, les résultats des enquêtes de Renaud Sainsaulieu dans les années 1960 ont fait le constat des divergences dans les sous-groupes d’ouvriers (Sainsaulieu, 2014). Ces différences n’étaient pas uniquement fondées sur le sexe et sur le genre. De ces constatations, ce sociologue s’est intéressé aux stratégies d’intégration des travailleurs, soit la stratégie identitaire de solidarité démocratique, de fusion, d’affiliation ainsi que celle de retrait ou de soumission (Sainsaulieu, 2014). Suivant les résultats de ce sociologue, en complémentarité de l’étude des relations sociales au travail, du style de gestion des dirigeants ainsi que de l’engagement syndical des travailleurs, les recherches doivent élargir leurs analyses à l’intégration individuelle des travailleurs au groupe professionnel et à l’organisation. À titre indicatif, les résultats des études de Sainsaulieu ont dénoté que les femmes ouvrières caractérisaient de plus importantes les relations affectives à l’extérieur du travail, justifiant une stratégie identitaire de retrait chez ces dernières ainsi qu’une prédisposition à s’exclure de la collectivité (Sainsaulieu, 2014).

165 En somme, il est possible de suggérer qu’une culture s’inscrivant dans des relations sociales intégrant les différences, notamment celles relatives au sexe et au genre, dans un climat d’inclusion, engendre moins d’agressions fondées sur le sexe et sur le genre. D’où l’importance de s’intéresser au type de genre du métier comme troisième composante de l’identité professionnelle.

c) Type de genre du métier (métier genré)

En complémentarité de l’estime collective du groupe et de la culture de métiers, il est important de s’intéresser à l’influence du type de métier genré, caractérisé de type masculin ou de féminin, dans l’influence de l’adoption de réponses agressives. À cet égard, sur le plan national, l’orientation masculinité/féminité, basée sur les rôles distincts entre les hommes et les femmes, est l’une des dimensions nationales du modèle de Geert Hofstede (Hofstede, 1980, 1984). Une socialisation basée sur le rôle de genre peut se transcrire chez les hommes dans une masculinité hostile, soit une forme très extrême du rôle de genre défini par un ensemble d’attentes sur les comportements appropriés et non appropriés des hommes (Good et al., 1995).

Plus particulièrement, dans les agressions fondées sur le sexe et sur le genre, il est important d’interpréter la différence entre les genres dans leur contexte social. Les milieux de métiers et de production ont leurs propres normes et valeurs qui déterminent les rôles sociaux des hommes et des femmes au travail (Richardson & Hammock, 2007). De ce fait, les valeurs privilégiées au sein de cette culture de métiers sont celles de la réussite, du contrôle, de l’ambition, du pouvoir et de la compétition. Ces valeurs instrumentales sont similaires à celles utilisées dans l’outil conceptuel du genre BSRI (Bem Sex-role Inventory) (Bem, 1974). Ainsi, il est possible de déterminer le type du métier par les valeurs culturelles liées au genre. La source féminine ou masculine du métier s’inscrit dans un conditionnement culturel. Cet aspect du métier n’est pas relié au sexe des travailleurs de métiers, mais à la culture acquise et transmise par les normes et les valeurs privilégiées dans le métier. Il s’agit de l’adhésion du groupe professionnel aux normes de la masculinité ou de la féminité, déterminées par les traits masculins et féminins du BSRI (Bem, 1974).

166 D’un point de vue culturel, les réponses agressives des hommes symbolisent une puissance et une virilité désirées dans leur identité masculine, particulièrement dans la sphère professionnelle. À cet effet, dans certaines professions, les travailleurs sont encouragés à être agressifs, tant d’un point de vue légitime (policiers, militaires) que du point de vue symbolique relatif aux valeurs agressives (métiers spécialisés). Plus précisément, dans les professions associées aux métiers spécialisés, les réponses agressives s’inscrivent dans l’identité professionnelle des travailleurs. Ces métiers s’orientent fortement dans une désirabilité sociale dans laquelle la masculinité constitue la norme privilégiée. De sorte que la masculinité s’oppose à la féminité et à tout ce qui touche les traits de la tendresse, de l’affection, de la sensibilité envers les besoins d’autrui, etc. Les agressions résulteraient notamment dans une perspective des travailleurs d’assurer l’identité masculine de leur métier, une identité positive selon la théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981).

Cette identité masculine des métiers favorisant la virilité et la domination résulte d’une peur des travailleurs d’être castré, licencié ou soumis (Grenier-Pezé, 2000). À cet égard, les réponses agressives peuvent résulter de stratégies défensives des travailleurs de métiers en regard d’identités construites sur la base d’une virilité sociale (Dejours, 1988). De sorte que selon le type de genre du métier, surtout un métier genré masculin, les travailleurs seront plus prédisposés à adopter des réponses agressives comme stratégie identitaire, au contraire des travailleurs dans les métiers genrés féminins ou dans les métiers genrés androgynes (résultats élevés autant dans les traits masculins que féminins). Spécifiquement, dans les métiers de type androgyne, malgré l’importance des normes instrumentales masculines, les valeurs affectives reliées aux féminités, notamment la considération envers autrui, limiteraient l’adoption de réponses agressives. Distinctement, pour les travailleurs s’inscrivant dans les métiers genrés indifférenciés (résultats faibles autant dans les traits masculins que féminins), le manque de repères identitaires aux caractéristiques féminines ou masculines ainsi que l’absence d’adhésion aux valeurs féminines de la sensibilité envers autrui, de la tendresse et de la douceur, justifieraient l’adoption de réponses agressives.

Ces traits masculins de l’agressivité et de la virilité ou féminins de la tendresse et de la sensibilité envers les besoins d’autrui s’inscrivent tant dans les valeurs et normes privilégiées sur

167 le plan de la nation que sur le plan de la profession et, plus précisément, de l’identité professionnelle des travailleurs associée aux métiers spécialisés.

Lien avec l’identité masculine

Selon certaines études, l’idéologie masculine est le facteur le plus prédictif des agressions envers les femmes. Il s’agit de l’ensemble de croyances et d’attentes sur les comportements adéquats et non adéquats des hommes (Good et al., 1995).

Les différences de pouvoir entre les hommes et les femmes ainsi que les éléments associés aux rôles de genre, notamment les stéréotypes ancrés dans une culture professionnelle privilégiant des valeurs sexistes, sont déterminants dans l’explication des agressions fondées sur le sexe et sur le genre dans les métiers spécialisés. L’agression envers les femmes devient un moyen d’assurer cette identité masculine, basée restrictivement sur des stéréotypes de rôles sexistes (Backhouse & Cohen, 1981). La tolérance et le manque de sanctions des hommes pour leurs réponses agressives découlent de la résistance aux femmes en raison de leur opposition aux valeurs de la domination, atteignant la masculinité des travailleurs (Backhouse & Cohen, 1981).

Les hommes ont appris des schémas de rôles stéréotypés sur la masculinité et la féminité durant leur socialisation. Une peur de perdre leur masculinité ainsi que des conflits sur le rôle de genre justifient des émotions négatives envers les femmes. En réponse à cette socialisation et aux sentiments négatifs, des agressions envers les femmes peuvent s’inscrire dans des stratégies de défense autoprotectrices en vue de protéger une identité professionnelle valorisant les masculinités (Harway & O'Neil, 1999).

Lien avec les rôles distincts de genre

Plusieurs recherches se sont intéressées à la contribution des rôles de genre traditionnels dans les agressions envers les femmes (Betz & Fitzgerald, 1993; Crossman et al., 1990; Finn, 1986; Keyton et al., 2001; Richardson & Hammock, 2007; Sugarman & Hotaling, 1991).

D’une part, ces stéréotypes de rôles sexistes inscrivent le comportement des hommes dans des valeurs sexistes et des attitudes machistes et même misogynes. D’autre part, les agressions envers les femmes peuvent se produire à la suite d’émotions négatives relatives à la

168 peur des hommes de perdre leur masculinité. Enfin, les réactions et les mécanismes de défense appris dans la socialisation peuvent tout autant expliquer les agressions des hommes envers les femmes (O'Neil & Harway, 1999b). Des chercheurs argumentent que les rôles sociaux sont déterminants dans les actions et les interactions des acteurs du marché du travail, notamment dans la sélection de réponses agressives fondées sur le sexe et sur le genre (Richardson & Hammock, 2007; Wood & Eagly, 2002).

Ce facteur est similaire à la théorie du harcèlement sexuel du renversement des rôles basés sur le genre (the sex-role theory). Dans cette perspective, les agressions fondées sur le sexe et sur le genre s’expliquent par des comportements inadéquats en fonction des rôles basés sur le sexe et le genre. Autrement dit, ciblées et orientées, les agressions se justifient en réaction des actes inappropriés en fonction des attentes comportementales fondées sur le sexe et sur le genre (Gutek & Morasch, 1982; Hemming, 1985; Lengnick-Hall, 1995; Popovich & Licata, 1987).

Dans le cadre de cette recherche, afin de bien discerner les différences entre chaque métier, l’orientation basée sur les distinctions de genre s’inscrit dans le type de métier genré et non pas dans une dimension culturelle de l’identité professionnelle. Toutefois, l’orientation masculinité/féminité du métier s’inscrit dans un conditionnement culturel par la transmission de valeurs et de normes à privilégier dans la sphère professionnelle. Chaque métier se caractérise par des valeurs et des normes distinctes reflétant des degrés de masculinités différents.

Afin de compléter la structure de l’identité professionnelle, composée de l’estime collective du groupe professionnel, de la culture de métiers et du type de genre du métier, il est important de s’intéresser à une autre dimension, complémentaire de la structure de l’identité professionnelle, soit la fragilisation de l’identité de métiers.

3.9-Les composantes de la fragilisation de l’identité professionnelle des