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(rapports hiérarchiques, entre collègues, collectifs et au travail) Stratégie identitaire fusionnelle (culture de fusion) Ouvriers spécialisés Identité de métiers (blocage à l’interne) Rapport hiérarchique

o Relation de dépendance avec les supérieurs dans une structure hiérarchique o Fortes contraintes pour la discipline (type autocratique et fort contrôle) o Forte stratification professionnelle

Rapport entre collègues

o Proximité et solidarité entre pairs (à cause des relations d’interdépendance) Rapports collectifs

o Moyens d’action des travailleurs (pouvoir de négociation) au plan collectif Rapports au travail

o Poids de l’effort répétitif, rythme exigeant, tâches monotones et sans valeur o Fort attachement à la sécurité d’emploi et à l’expérience des postes

o Peu ou pas de perspective professionnelle et apprentissage sur le terrain Stratégie identitaire de solidarité démocratique (culture de négociation) Ouvriers qualifiés Identité d’entreprise (promotion à l’interne) Rapport hiérarchique

o Indépendance vis-à-vis du supérieur (à cause des ressources en négociation) o Hiérarchie intra et inter métiers (répartition inégale des ressources)

Rapport entre collègues

o Relations individuelles entre collègues

o Solidarité démocratique plus ou moins fusionnelle sur le point des idées Rapports collectifs

o Pouvoir individuel de négociation Stratégie identitaire

d’affiliation ou séparatisme

(culture d’affiliation)

Ouvriers avec technologie

Identité de réseau

(conversion à l’externe)

Rapport entre collègues

o Nouveaux salariés entament des relations sélectives avec les pairs Rapports collectifs

o Pouvoir individuel de négociation en fonction des projets individuels o Occupation d’une place stratégique dans le processus de l’invention Rapports au travail

o Formations spécifiques pour les meilleurs (surtout travailleurs avec TIC) o Formations qui s’accompagnent de perspectives promotionnelles

Stratégie identitaire de retrait ou de soumission

(culture de retrait)

Ouvriers moins qualifiés

(femmes et immigrants) Identité hors travail

(exclusion à l’externe)

Rapport hiérarchique

o Forte acceptation de l’autorité du supérieur à la suite d’un refus d’établir des relations interpersonnelles avec les pairs

Rapport entre collègues

o Prédisposition à s’exclure de la collectivité Rapports collectifs

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3.6-Stratégies identitaires des travailleurs

Les quatre modèles d’identité professionnelle de Sainsaulieu, repris dans des formes d’identité au travail par Claude Dubar, influencés par les objectifs des travailleurs, déterminent les stratégies identitaires des travailleurs. Cette section se consacre aux différentes stratégies identitaires ou finalités poursuivies des travailleurs.

L’ensemble des actions coordonnées des travailleurs en vue de l’atteinte d’objectifs guident les « comportements individuels ou collectifs conscients ou inconscients, adaptés ou inadaptés » et « sont mis en place pour atteindre ces victoires contre un adversaire qui peut être soi-même, les autres en interaction concrète (famille, amis, collègues…), ou le système social » (Camilleri et al., 1990, p. 31). Cela implique que les acteurs ont une liberté d’action en regard de leurs réponses (Camilleri et al., 1990).

Plus précisément, les stratégies identitaires sont composées de trois éléments nécessaires dans leur processus de mise en place :

˗les acteurs, individuels ou collectifs;

˗la situation dans laquelle sont impliqués les acteurs et les enjeux produits par cette situation;

˗les finalités poursuivies par les acteurs (Camilleri et al., 1990, p. 51).

Les stratégies identitaires sont déterminantes dans l’étude des conduites individuelles et collectives des travailleurs. « Tactiquement, les acteurs vont réagir en fonction de la représentation qu’ils se font de ce qui est mis en cause dans la situation, des enjeux et des finalités perçues, mais également en fonction de l’état du système dans lequel ils sont impliqués et qui fait peser sur eux une pression constante à agir dans tel ou tel sens » (Camilleri et al., 1990, p. 31).

La finalité principale des travailleurs consiste à une « reconnaissance de son existence dans un système social » conjecturant que « le système lui reconnaisse son appartenance et une place spécifique et qu’il ressente subjectivement cette reconnaissance » (Camilleri et al., 1990, p. 32). En complémentarité à cette reconnaissance, un désir d’appartenance à une culture, à une nation ou à un groupe constitue un autre objectif secondaire. Dans ces visées, les acteurs peuvent sélectionner des réponses, telles que se conformer, se différencier, rechercher l’anonymat ou la

156 visibilité ainsi que l’intégration ou la marginalisation. Certaines stratégies peuvent aboutir à une hyperconformisation ou une singularisation extrême des individus (Camilleri et al., 1990).

De ces modèles culturels d’identité à la profession, il est possible de concrétiser les composantes de l’identité professionnelle a) par la dimension de l’estime collective du groupe (relative au sentiment d’appartenance, à l’identification au groupe, à l’estime personnelle et publique du groupe) ainsi que b) par les dimensions culturelles composées de la culture de métiers (relative au degré de collectivisme, d’intégration des différences et de distance hiérarchique) ainsi que c) par le métier genré, défini en fonction des traits masculins (défense de ses idées, la force, la domination, l’agressivité du groupe, etc.) et des traits féminins (la sympathie, la tendresse, la douceur, la sensibilité au besoin d’autrui dans le groupe, etc.).

3.6.1-Lien entre les stratégies identitaires des travailleurs et les agressions fondées sur le sexe et sur le genre dans les métiers spécialisés

Bien que la présente thèse de doctorat ne se consacre pas à mesurer empiriquement les stratégies identitaires de la typologie de Renaud Sainsaulieu (culture de négociation, de fusion, d’affiliation et de retrait), il est particulièrement intéressant d’étudier les dimensions culturelles et identitaires des groupes professionnels des métiers qui découlent de ces stratégies. Ces dimensions se résument notamment par l’estime collective du groupe professionnel, la culture de métiers composée du collectivisme/individualisme, de la distance hiérarchique et de l’intégration des différences, ainsi que l’aspect de la masculinité/féminité selon le type de métier genré. Ces dimensions identitaires et culturelles s’inscrivent dans la stratégie fusionnelle des modèles identitaires associés aux professions.

Plus précisément, dans le modèle de stratégie fusionnelle, prédominant chez les ouvriers spécialisés, l’adoption de réponses agressives peut résulter de stratégies identitaires collectives (Sainsaulieu, 2014). Les agressions sont orientées particulièrement contre les travailleurs moins qualifiés et les femmes en retrait ou en soumission, qui n’entrent pas dans l’identité professionnelle des métiers. Tous les moyens sont bons pour préserver le conformisme. À cet égard, le faible pouvoir individuel des travailleurs dans ce modèle culturel identitaire oblige cette solidarité et camaraderie entre pairs pour augmenter le pouvoir de négociation. D’où

157 l’intériorisation d’une norme de soumission, de conformisme et d’une forte cohésion en regard du groupe professionnel (Sainsaulieu, 2014).

De même, une stratégie d’identification professionnelle dans cette dynamique identitaire pourrait consister à favoriser une culture professionnelle forte afin d’acculturer plus rapidement les nouveaux travailleurs, de même que de permettre un renforcement des normes privilégiées et de favoriser une reconnaissance professionnelle des instances décisionnelles en place.

De surcroît, l’importance de l’intégration dans le groupe explique l’absence de réaction et la tolérance des réponses agressives. Une étude a démontré que dans les cultures collectivistes, les réponses agressives envers les femmes sont plus élevées s’il y a une tolérance envers le sexisme et envers les agressions à l’encontre des femmes (Cantisano, Domínguez, & Depolo, 2008; Pryor & Whalen, 1997). En fait, le milieu des métiers spécialisés est caractérisé par une culture de conformisme privilégiant les masculinités au détriment des féminités.

Par ailleurs, les collègues ne vont pas aider et soutenir les travailleurs victimes de réponses agressives par crainte de devenir la prochaine cible, un bouc émissaire autrement dit (Courcy et al., 2004; Marcus-Newhall, Pedersen, Carlson, & Miller, 2000; Mitchell & Ambrose, 2012). De sorte que si un travailleur défend la victime, il s’associerait d’une certaine manière à cette dernière. Par conséquent, il ne serait plus solidaire au groupe et en serait donc exclu. Alors que le pouvoir collectif est déterminant dans la négociation des conditions de travail des travailleurs dans le modèle fusionnel.

Ainsi, le facteur de l’orientation vers une forte cohésion du groupe est un élément décisif dans la prédisposition aux agressions. Notamment, la sanction du groupe explique la prolifération des agressions au sein des équipes de travail. Dans l’optique de favoriser le bon fonctionnement du groupe, les travailleurs établissent des normes rendant acceptables des réponses agressives à titre de sanction. Autrement dit, la déviance des normes légitime les agressions dans un objectif de contrôle (Salin, 2003).

De plus, le conditionnement social dans ce type de stratégie détermine des conditions de l’organisation du travail associées à une faible latitude décisionnelle des travailleurs, des tâches routinières et monotones, des contraintes physiques élevées, d’importantes interdépendances dans les tâches ainsi que de fortes contraintes à l’égard de la discipline. Ces conditions de

158 l’organisation du travail sont associées à un niveau plus élevé d’agressions dans les milieux de travail (Barling, 1996; Einarsen et al., 1994; Leymann, 1996; Neuman & Baron, 1998; Notelaers et al., 2013; Vartia, 1996; Zapf et al., 1996).

Somme toute, Claude Dubar a démontré une crise identitaire dans ce modèle culturel d’identité fusionnelle en raison de la non-reconnaissance, de la faiblesse de possibilités de promotion ainsi que de la qualification désuète résultant d’un déclassement des travailleurs de métiers dans l’organisation (Dubar, 2010). En fait, selon le modèle des dynamiques identitaires de Dubar, les ouvriers spécialisés se retrouvent enfermés dans leur métier. Particulièrement, ce blocage résulte d’un inconfort relatif à l’aboutissement de leur parcours professionnel ou bien à une perception de déclassement, notamment par le fait que leur emploi ne correspond plus à l’apprentissage acquis dans leur filière professionnelle (Dubar, 2010). L’identité des travailleurs au travail est, de ce fait, encore plus menacée par l’arrivée des femmes dans les métiers ou par les changements de valeurs plus féminines, surtout dans un contexte de blocage et de précarité d’emploi.

D’ailleurs, en réaction à la souffrance au travail, les travailleurs de métiers ont développé, auparavant, des stratégies défensives d’identités construites sur la base d’une virilité sociale (Dejours, 1988). Selon Christophe Dejours, cette « normopathie virile » correspond à une identité virtuelle qu’il qualifie même de fausse identité des travailleurs ouvriers (Dejours, 1988). D’origine historique des rapports d’oppression des hommes sur les femmes, cette « identité virile normopathe » consiste à un « clivage valorisant le travail masculin (virilité, danger, force, courage…) et dévalorisant le travail féminin (répétition, détail, finition…) » (Dubar, 2010, p. 202). Nonobstant la difficulté à reproduire ces formes d’identités défensives de nos jours, le blocage professionnel actuel de l’identité de métiers dans un contexte de crise identitaire occasionne des problématiques relativement à l’entrée des femmes dans les métiers et aux problèmes de santé mentale des travailleurs (Dubar, 2010).

Enfin, les travailleurs veulent être reconnus socialement dans l’espace professionnel. La peur de perdre un pouvoir, surtout de négociation, ou bien la peur de déqualification de leur métier justifie les agressions à l’égard des femmes et des travailleurs s’inscrivant dans le genre féminin. À cet effet, une diversité d’intérêts entre les groupes d’individus survient sur le marché

159 du travail. La société capitaliste est caractérisée par plusieurs formes de domination. Plus précisément, les individus utilisent leur pouvoir pour limiter l’accès aux ressources afin de préserver leurs acquis. Selon la théorie du capitalisme de Murphy, la domination des femmes, notamment par leur exclusion, se produit lorsque les deux groupes sont en compétition pour maximiser leurs ressources. La préservation ou la peur de perdre le pouvoir de négociation supérieur du groupe de travailleurs des métiers spécialisés justifie certaines réponses agressives à l’égard des femmes (Witz, 1990).

Ces théories permettent d’établir l’hypothèse d’une association positive entre la stratégie identitaire fusionnelle des ouvriers de métiers et un niveau plus élevé d’agressions chez ce groupe de travailleurs de métiers.

Somme toute, les stratégies identitaires des travailleurs s’établissent dans les valeurs ancrées dans des dimensions culturelles. Spécialement, la culture nationale oriente le développement des institutions et détermine les valeurs à privilégier dans les sous-cultures professionnelles des métiers. Ainsi, les dimensions de la culture nationale peuvent se traduire dans des dimensions au niveau de la sous-culture professionnelle. De sorte qu’il est intéressant d’utiliser le modèle de la culture nationale de Geert Hofstede (Hofstede, 1980, 1984) et d’appliquer les dimensions culturelles aux travailleurs de métiers au niveau de la profession.

3.7-Application de la dimension culturelle du modèle de Hofstede dans