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Les variétés de cultures (sectorielles, professionnelles et organisationnelles) sont interdépendantes entre elles (Bollinger & Hofstede, 1987). Cette recherche se concentre sur l’identification professionnelle associée au métier. Il est préférable d’étudier, notamment, l’influence de la culture professionnelle, soit les dimensions culturelles du regroupement des professions associées aux métiers spécialisés dans l’identification professionnelle des travailleurs à leur métier.

Les dimensions culturelles déterminent l’identité à la profession, principalement par une identification de ce qui unit et de ce qui distingue les travailleurs des autres groupes professionnels. Ce processus de distinction se construit dans l’influence de la culture sur le développement des institutions (Meier, 2010) et, de ce fait, oriente les relations sociales au travail. L’histoire des groupes culturels se compose des trois composantes de l’identité, des valeurs et des institutions (Hofstede, 1980). La culture nationale, basée sur les valeurs de la nation, est particulièrement importante dans la distinction des différentes identités professionnelles.

Un pays se définit comme une communauté d’individus occupant un même territoire et établit dans un espace géographique, soit un ensemble d’humains organisés. En revanche, une construction historique et sociale, composée de règles, pratiques, coutumes, langues et valeurs communes, différencie le terme « nation » à la notion de pays (Meier, 2010). Alors que la culture constitue : « la programmation collective de l’esprit humain qui permet de distinguer les membres d’une catégorie d’hommes par rapport à une autre » (Bollinger & Hofstede, 1987, p. 27).

L’approche de la dimension sociétale complète la dimension individuelle des travailleurs de métiers. Les travailleurs des différentes cultures n’ont pas la même probabilité et prévalence d’être agressés dans les milieux de travail, à cause d’une perception différente de ce que constitue une agression et de la tolérance vis-à-vis certains actes. Même dans le même pays, les

145 chercheurs ne sont pas unanimes à l’égard de la frontière des comportements acceptables et non acceptables au travail. Le modèle de Geert Hofstede, l’un des plus cités en sciences sociales (Fang, 2003), est fondé sur les différences culturelles entre les nations, permettant ainsi de distinguer un groupe d’individus sur un autre groupe d’individus. De là l’intérêt des différentes dimensions du modèle de Geert Hofstede pour distinguer les différentes identités professionnelles entre elles, soit une catégorie de travailleurs sur une autre catégorie de travailleurs.

La prochaine sous-section se consacre à la description du modèle de dimensions culturelles de Geert Hofstede.

3.4.1-Dimensions culturelles du modèle de Geert Hofstede (1980)

Les rapports humains et le positionnement des travailleurs au sein de l’organisation ont été étudiés en fonction de la provenance du pays distinct dans les recherches du sociologue hollandais Geert Hofstede. Son ouvrage intitulé Culture’s consequences [Les Différences culturelles dans le management, 1987] récapitule les résultats des données collectées auprès de 117 000 répondants, originaires de 40 pays en 1980 (53 à partir de 1983). Au total, cinquante- neuf différences culturelles composent la mesure des valeurs de culture nationale (Value Survey Module ou VSM) (Hofstede, 1980, 1984).

Plus précisément, quatre dimensions résultent d’une analyse factorielle de Hofstede en 1980, soit la distance hiérarchique, le contrôle de l’incertitude, l’individualisme/collectivisme ainsi que la masculinité/féminité (Hofstede, 1984). Dès 1987, à la suite d'une collaboration avec Michael Harris Bond de l’Université Chinese University de Hong Kong, une cinquième dimension, soit l’orientation long/court terme, s’ajoute au modèle (Hofstede & Bond, 1988). Toutefois, des biais philosophiques et méthodologiques de cette dernière mesure (Fang, 2003) peuvent limiter les études aux quatre premières dimensions culturelles.

À titre indicatif, selon l’outil comparatif de Geert Hofstede, sur un score total de 100, le Canada obtient 39 pour la distance hiérarchique (95 pour l’Arabie Saoudite et 93 pour la Russie), 80 pour l’individualisme (91 pour les États-Unis), 52 pour la masculinité (95 pour le Japon et 5 pour la Suède), 48 pour le contrôle sur l’incertitude (95 pour la Russie) (Hofstede insights,

146 2018). Ainsi, la culture individualiste est l’aspect le plus prédominant de la culture canadienne selon les dimensions culturelles de Hofstede, suivi du niveau de masculinité, alors que le contrôle de l’incertitude et surtout les différences de pouvoir et de statuts sont moins présents.

Une méta-analyse plus récente a validé l’impact des dimensions du modèle de Hofstede sur l’organisation et les travailleurs, de même que le rôle modérateur de certaines caractéristiques individuelles (sexe, âge, éducation, statut professionnel) dans cette relation (Taras, Kirkman, & Steel, 2010). À cela, l’évaluation de l’influence des valeurs nationales sur les travailleurs sera plus élevée dans les pays culturellement plus forts, tels que l’Inde, le Pakistan et la Malaisie, comparativement aux pays culturellement plus libres du choix de leurs valeurs, tels les États- Unis, où les différences individuelles des travailleurs prédisent davantage leurs comportements (Taras, Kirkman, & Steel, 2010).

3.4.2-Impact des quatre dimensions culturelles de Hofstede sur les agressions fondées sur le sexe et sur le genre en milieu de travail

Des liens peuvent être établis entre les différentes dimensions du modèle des dimensions culturelles de Hofstede et les agressions en milieu de travail, particulièrement envers les femmes et les travailleurs aux traits féminins. Les facteurs culturels peuvent influencer les agressions envers les femmes, selon une étude comparative entre les États-Unis, l’Australie, le Brésil et l’Allemagne (Pryor et al., 1997). Les quatre dimensions du modèle de Hofstede permettent de distinguer les nations relativement au niveau des agressions fondées sur le sexe et sur le genre au travail. Notamment, les différences sur le plan des relations sociales reflètent des facteurs explicatifs des agressions plus dominants dans une nation et moins chez l’autre. À titre indicatif, dans les pays d’Amérique latine, les femmes se retrouvent davantage dans des conditions d’emploi précaires avec des niveaux d’éducation plus bas et sont ainsi plus vulnérables de subir une agression au travail (Luthar & Luthar, 2002; Merkin, 2008).

Les prochaines sous-sections se consacrent à une définition de chacune des composantes de Hofstede. Il est particulièrement intéressant d’étudier les agressions par une intégration de la culture nationale. La prégnance des rapprochements corporels est plus forte dans certains pays, tels que les pays latins (Hardman & Heidelberg, 1996; Luthar & Luthar, 2002). En regard des

147 distinctions entre l’agression psychologique et physique, une étude comparative a suggéré que les travailleurs des pays d’Amérique centrale mettaient davantage leur attention sur l’aspect physique courant dans les agressions, comparativement aux travailleurs de l’Europe du Sud, qualifiant les gestes de nature psychologique (Escartin, Zapf, Arrieta, & Rodriguez-Carballeira, 2011). Néanmoins cette recherche a soutenu de nombreuses ressemblances pour définir les agressions, nonobstant le pays, soit la présence de pouvoirs hiérarchiques et les actes plus directs qu’indirects (isolement, omission d’information, etc.) (Escartin, Zapf, Arrieta, & Rodriguez- Carballeira, 2011). Ainsi, de surcroît, le contexte social et la culture nationale sont déterminants dans l’explication de la problématique des agressions fondées sur le sexe et sur le genre dans les métiers à prédominance masculine. La socialisation, l’éducation des jeunes filles et des garçons dans la famille et à l’école, la division traditionnelle des rôles de l’homme pourvoyeur et de la femme domestique, l’identité sociale des hommes et des femmes ainsi que les stéréotypes de la population relatifs au coût supplémentaire à l’embauche d’une femme et du manque de force physique influencent les réponses agressives fondées sur le sexe et sur le genre au travail.

a) Dimension de la distance hiérarchique

La dimension de la distance hiérarchique (ou stratification sociale et inégalités en sociologie), calculée avec le Power distance Index (PDI), réfère au degré d’inégalité dans la répartition du pouvoir dans les différents niveaux, notamment la relation entre supérieurs et subordonnés dans des structures organisationnelles de type hiérarchique. Cette dimension découle du concept de distance émotionnelle, élaborée par le sociologue hollandais Mauk Mulder (Mulder, 1976).

Une relation de dépendance avec le supérieur caractérise les pays définis dans une haute distance hiérarchique, notamment des superviseurs de type paternaliste ou autocratique. Alors que les pays, caractérisés par une faible distance hiérarchique, privilégient des relations de pouvoir de type démocratique, de même que l’égalité entre les membres. En d’autres termes, il s’agit du degré de tolérance des membres, particulièrement ceux qui ont moins de pouvoir, dans un système social en regard des inégalités sociales. L’héritage de l’Empire romain peut expliquer un haut niveau de distance hiérarchique en France et dans les pays latins (Hofstede, 1980, 1984).

148 Cette dimension culturelle est étroitement associée aux agressions envers les femmes au travail en raison du conditionnement des relations avec les superviseurs et les collègues. D’une part, la littérature a révélé qu’une forte différence de pouvoir entre les gestionnaires et les travailleurs était associée à davantage d’agressions des hommes vis-à-vis des femmes (Pryor & Whalen, 1997). La relation entre le superviseur, surtout des hommes, et les subordonnés est un élément non négligeable (Luthar & Pastille, 2000). D’autre part, le pouvoir du supérieur, selon le statut professionnel, peut légitimer l’utilisation du pouvoir coercitif en vue d’obtenir des avantages à caractère sexuel (Perry et al., 1998). Enfin, il est intéressant de constater que les pays plus individualistes, inversement, ne sont pas caractérisés par une forte distance hiérarchique (Luthar & Luthar, 2002).

b) Dimension de l’évitement de l’incertitude

La dimension de l’évitement de l’incertitude (ou besoin de structure et de formalisation en sociologie) consiste au degré de tolérance à l’ambiguïté d’une société. Autrement dit, il s’agit d’une préférence d’une nation pour une structure, notamment par des rôles et des responsabilités, ainsi que des règles, des directives et des procédures précises (Hofstede, 1980, 1984).

Les cultures tolérantes à l’incertitude, celles qui se rangent au bas de l’uncertainty avoidance index, sont plus ouvertes aux opinions divergentes et à la prise de risques personnels, de même qu’elles sont aménagées par des règles plus souples (Hofstede, 1980, 1984). L’influence de l’Empire romain se dénote aussi dans cette dimension par un fort contrôle de l’incertitude en France et dans les pays latins (Bollinger & Hofstede, 1987).

Dans cette optique, cette dimension est liée à la capacité des individus de soutenir le stress et la manière dont la société gère les situations imprévisibles. Les cultures nationales flexibles et tolérantes, définies par un indice bas, sont plus résistantes à l’ambigüité et aux situations imprévues. Elles sont caractérisées par un niveau moins élevé d’agressions, notamment à cause de la moindre nervosité ainsi que du plus grand contrôle des individus en regard des changements (Hofstede, 1980, 1984).

D’une part, la capacité de s’adapter aux changements et de soutenir le stress dans les cultures individualistes explique un niveau plus bas d’agressions. D’autre part, les émotions sont

149 déterminantes dans le développement et le maintien des relations au sein des cultures collectivistes (Hofstede, 1980). À l’instar de la dimension de la distance hiérarchique, les individus, par l’importance de la gestion des émotions dans les relations avec les autres, ne s’opposeront pas aux agressions (Tsai & Levenson, 1997). Enfin, le niveau d’agressions s’avère moindre dans les cultures tolérantes à l’incertitude, en raison de la tolérance au stress et à la gestion des émotions des individus (Tsai & Levenson, 1997).

À ces explications, une étude comparative récente entre le Canada, l’Australie et la Suède a étudié les codes et les valeurs éthiques à respecter en entreprise selon la dimension nationale de l’évitement de l’incertitude de Hofstede (Singh et al., 2005). Les pays anglo-saxons (Canada et Australie) se situent davantage dans la zone de contrôle de l’incertitude, comparativement aux pays nordiques (Suède). Cette inflexibilité influence l’élaboration et l’intensité des codes éthiques mis en place dans l’entreprise (Singh et al., 2005), pouvant justifier le niveau de rigidité et de malléabilité des comportements plus agressifs proscrits ou jugés acceptables. Ainsi, les principes éthiques établis en entreprise sont le résultat de la culture nationale (Singh et al., 2005).

c) Dimension de l’individualisme/collectivisme

La dimension de l’individualisme/collectivisme (ou relation entre les individus, les institutions et la société en sociologie) oppose les objectifs individuels et la préférence pour l’identité individuelle (individualisme) par rapport à un choix privilégiant l’identité collective associée aux intérêts collectifs du groupe (collectivisme). Il s’agit du degré auquel les individus privilégient leurs intérêts personnels au détriment de ceux du groupe. Ainsi, le sentiment d’appartenance est déterminant dans cette dimension (Hofstede, 1980, 1984).

À titre indicatif, les États-Unis se positionnent au 1er rang pour la culture individualiste et le Canada au 4/5e rang, reflétant de la sorte une forte orientation individualiste (Hofstede, 1980, 1984). Les individus des cultures individualistes s’interrogent sur les valeurs et les standards éthiques établis, à l’opposé de ceux des cultures collectivistes, plus enclines à accepter les normes en place (Singhapakdi, Rawwas, Marta, & Ismail Ahmed, 1999).

Distinctement, les pays de culture collectiviste auront un niveau plus élevé d’agressions envers les femmes au travail si ces comportements sont acceptables dans la société (Pryor &

150 Whalen, 1997). Les individus ne peuvent pas se distancer du groupe dans les cultures collectivistes, notamment par la protection accordée par le groupe (Hofstede, 1980). De sorte que les comportements à caractère sexuel envers les femmes seront plus acceptés dans les cultures collectivistes selon la tolérance collective (Luthar & Luthar, 2002).

d) Dimension de la masculinité/féminité

La dimension masculinité/féminité (ou différenciation sociale des rôles sexuels en sociologie), déterminée par les rôles de genre entre les hommes et les femmes, réfère à une opposition entre réussite professionnelle et qualité de vie. La masculinité caractérise les sociétés dans lesquelles les rôles de genre sont bien différenciés. Dans ces sociétés, la réussite matérielle, la reconnaissance, les défis, de même que les traits de virilité, de force et d’honneur sont favorisés chez les hommes, alors que les femmes privilégient la qualité de vie, une sécurité et la coopération entre les individus. À l’opposé, les différences dans les rôles de genre sont modestes et un niveau d’égalité plus élevé est dénoté dans les sociétés caractérisées comme étant féminines (Hofstede, 1980, 1984).

Les pays orientés vers la masculinité, caractérisés par une division des rôles, justifient davantage des agressions envers les femmes qui violent les attentes de rôles. En complémentarité, une peur d’être blâmées pour les victimes, à la suite d’un dépôt d’une plainte, est plus présente dans les sociétés masculines (Wasti, Bergman, Glomb, & Drasgow, 2000). De plus, des études ont suggéré que les sociétés patriarcales ont développé des cultures fondées sur l’honneur, soit l’honneur des hommes et la chasteté des femmes (Wasti et al., 2000).

3.4.3-Limite de la culture nationale et pertinence de la thèse dans les métiers spécialisés

L’utilisation des quatre dimensions culturelles du modèle de Hofstede dans l’optique d’expliquer les réponses agressives envers les femmes est limitée en fonction de la profession, notamment les sous-cultures professionnelles. Les femmes dans les emplois non traditionnels sont plus vulnérables aux situations d’agressions dans leur milieu de travail. L’étude comparative de Luthar et Luthar (2002) termine en suggérant d’examiner les dimensions culturelles de

151 Hofstede en fonction de l’impact d’occuper un emploi traditionnel ou non traditionnel à travers les cultures sur le niveau d’agressions envers les femmes (Luthar & Luthar, 2002). De ce fait, la présente thèse de doctorat sur les agressions fondées sur le sexe et sur le genre, spécifiquement effectuée dans les métiers des secteurs non traditionnels des secteurs de la construction et manufacturier, est d’autant plus pertinente.

3.4.4-La prédominance de la dimension culturelle dans la variété et complexité des concepts à l’étude

En définitive, en regard de l’identité professionnelle des travailleurs, les modèles culturels d’identité au travail de Sainsaulieu, conditionnés par les cultures nationales et organisationnelles, ainsi que par les structures organisationnelles et les relations interpersonnelles entre pairs et avec les supérieurs au travail, sont influencés, avant tout, par la culture professionnelle. La dimension culturelle est primordiale dans les rapports organisés, les structures sociales au sein des organisations et particulièrement dans la construction de l’identité des travailleurs. Les reconnaissances et, plus spécifiquement, l’identification des identités collectives, notamment celle du métier, découlent des valeurs explicites et implicites privilégiées au sein de la profession.

Selon cette perspective, le terme « agressions culturelles » pour caractériser les agressions fondées sur le sexe et sur le genre est approprié suivant la forte influence des valeurs des travailleurs au sein de leur métier, telles que la virilité, la force et l’endurance.

3.5-Lien entre la culture nationale, les sous-cultures professionnelles et