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Dans les milieux de travail, la culture est la base du conditionnement des relations entre collègues, entre supérieur et subordonnés ainsi que dans les relations collectives de rapport du groupe. De ce fait, les conditions de l’organisation du travail, le rassemblement des travailleurs, et plus précisément, leurs stratégies identitaires s’établissent principalement dans ces formes de conditionnement social des travailleurs dans le cadre de leur travail.

Dans la présente section, d’une part, le concept spécifique d’identité aux professions assimilées aux métiers spécialisés ainsi que le concept d’identification professionnelle sont explicités et définis. D’autre part, il est question d’expliquer les déterminants, de même que les

136 principales composantes des modèles culturels d’identité à la profession. Les déterminants des modèles culturels s’inspirent du modèle de Geert Hofstede (institutions, valeurs et identité), alors que les composantes découlent des formes dynamiques identitaires des sociologues Renaud Sainsaulieu et Claude Dubar dans chacune des cultures de négociation (stratégie identitaire de solidarité démographique), de fusion (stratégie identitaire fusionnelle), d’affiliation (stratégie identitaire d’affinités) et de retrait ou soumission (stratégie identitaire de retrait).

3.3.1-Concept d’identité de métiers spécialisés

Une dimension culturelle multidimensionnelle des rapports en organisation se dénote comme le résultat d’une sous-culture ouvrière. De ce fait, des relations interpersonnelles, des structures organisationnelles et des conditions de travail des ouvriers découlent des normes, des valeurs et des connaissances s’établissant dans les relations de travail (Dubar, 2010). D’une part, la face subjective consiste à la conscience de l’individu de faire partie du métier. L’individu réalise cette identité en adoptant des valeurs et les points de vue du métier auquel il appartient. D’autre part, la face objective de l’identité de métiers provient des institutions qui réglementent l’obtention du diplôme d’études professionnelles.

Il importe d’interpréter la différence entre les sexes et les genres dans leur contexte social. Les milieux de métiers et de production ont leurs propres normes et valeurs. La culture détermine les rôles sociaux des hommes et des femmes au travail (Richardson & Hammock, 2007). L’identité professionnelle de métiers est partagée par une dynamique en interaction entre la culture nationale caractérisée par des stéréotypes basés sur le genre qui organisent la société patriarcale et la culture professionnelle incorporée par des valeurs sexistes. Notamment, une socialisation des hommes s’inscrit dans un système de valeurs privilégiant un contexte de hiérarchie de sexe et de genre et des schémas de rôles distincts entre les hommes et les femmes. Ces schémas de rôles ont engendré la peur de la féminité et de perdre de la masculinité dans les métiers. De ce fait, les valeurs privilégiées dans la culture professionnelle de métiers considèrent l’expression de sentiments, les émotions et la vulnérabilité comme des faiblesses (Harway & O'Neil, 1999). Les valeurs privilégiées dans la socialisation primaire (famille et école) et

137 secondaire (organisation) sont celles du pouvoir, du contrôle, de la compétition, de l’affirmation de soi et de la dominance.

Enfin, les savoirs techniques dans les usines, notamment les exigences de qualité, une dextérité (précision des gestes) et le respect des outils, sont favorisés. Une étude comparative québécoise sur le développement de l’identification professionnelle entre un groupe féminin de secrétaires et un autre groupe masculin de machinistes a suggéré une plus forte cristallisation dans les valeurs et les compétences valorisées, surtout le savoir-faire et la technicité, chez les machinistes (Hardy, Grossmann, & Mingant, 1997). D’où la tension dans la hiérarchie avec certains contremaîtres, ingénieurs et directeurs du fait que leurs réussites personnelles et leurs promotions provenaient de jeux de négociation plutôt que des résultats du savoir-faire selon les résultats des enquêtes effectuées dans les années 1960 (Sainsaulieu, 2014). Néanmoins, à l’instar du groupe des secrétaires, une hausse de l’importance des savoirs théoriques et de savoir-faire se dénote également chez les machinistes (Hardy et al., 1997). Plus récemment, dans une étude internationale comparative, le besoin d’avoir une main-d’œuvre détenant une formation théorique a remis en question le modèle d’apprentissage antérieur d’apprentissage, basé sur l’imitation et l’expérience professionnelle (Bosch & Charest, 2009).

La prochaine sous-section se consacre aux processus de construction ainsi qu’à la description des composantes de l’identité professionnelle associée aux métiers spécialisés.

3.3.2-Construction et composantes du concept d’identité professionnelle associée aux métiers spécialisés

La présente sous-section aborde les mécanismes (de transmission et de socialisation) du concept d’identité professionnelle des métiers spécialisés permettant sa construction ainsi que les différentes composantes spécifiques de l’identité professionnelle associée aux métiers.

3.3.3.1-Processus de l’identification professionnelle par l’estime collective du groupe comme première composante de l’identité professionnelle

D’un point de vue sociologique, Sainsaulieu et Dubar se sont intéressés au concept d’espace de travail comme lieu de socialisation et d’apprentissage des individus (Dubar, 2010;

138 Sainsaulieu, 2014). Les rapports hiérarchiques et les collectifs de travail ainsi que la structure organisationnelle déterminent les conditions de travail des travailleurs. L’identité professionnelle englobe trois champs essentiels. La trajectoire socio-professionnelle (famille jusqu’au mouvement d’emploi), l’expérience vécue du travail ainsi que la perspective d’avenir des travailleurs et leur rapport à la formation (Dubar, 2010).

Au niveau individuel de la personne, l’identité professionnelle réfère à la perception ou bien l’image « qu’une personne se fait de son travail, de ses responsabilités, de ses rapports aux autres ainsi que de son appartenance au groupe et à l’organisation comme institution sociale » (Corriveau, 2004, p. 100). Deux processus forment le développement de l’identité professionnelle du point de vue de l’individu. D’une part, les processus d’identification constituent les « similitudes avec les autres qui exercent la même profession ou identification à la profession en soi » et, d’autre part, des processus d’identisation « où la personne se reconnaît comme étant « elle-même » dans l’exercice de sa profession, avec sa personnalité et ses valeurs » (Corriveau, 2004, p. 100).

Renaud Sainsaulieu a démontré avec beaucoup de subtilité que la valeur prédominante chez les ouvriers spécialisés est celle du groupe. L’appartenance au groupe permet le développement de l’identité des travailleurs et leur reconnaissance (Sainsaulieu, 2014). L’enjeu principal dans la construction de l’identité est la reconnaissance de soi par autrui (Sainsaulieu, 1995). De ce fait, il importe d’être intégré au sein du groupe dans ce contexte spécifique des travailleurs des métiers spécialisés. La référence est celle du métier, qui selon Sainsaulieu, est l’élément primordial dans l’analyse du conditionnement des rapports à l’organisation. D’où la plus grande importance de l’identification à la profession que de l’identification organisationnelle.

La prochaine sous-section se consacre au concept d’estime collective du groupe.

a) Estime collective du groupe

L’estime collective du groupe professionnel découle de la manière dont les travailleurs s’identifient à leur métier par une reconnaissance et une identification aux identités collectives associées à chaque métier.

139 Plus précisément, l’estime collective du groupe résulte de cette identification et comparaison entre les groupes professionnels. Cette comparaison et différenciation positive, par un renforcement des similarités et des différences en fonction de l’appartenance à un même groupe, établissent un système hiérarchique de classification des groupes, suivant les principes de la théorie de la catégorisation sociale (Sales-Wuillemin, 2006; Tajfel et al., 1971).

En regard de l’estime de soi, au niveau individuel, ce concept s’inscrit dans la représentation que l’individu se fait de lui-même, soit la perception favorable ou défavorable de lui-même, notamment la confiance et le respect qu’il porte à sa personne. Bien que les réponses agressives peuvent résulter d’une faible estime des agresseurs (Baumeister et al., 1996), en référence à la théorie de l’identité sociale, il est plus approprié de s’intéresser à une forte estime personnelle pour expliquer les agressions fondées sur le sexe et sur le genre dans les milieux de travail (Anderson & Bushman, 2002) par un objectif des travailleurs de préserver une identité positive de leur profession.

Au niveau des groupes professionnels, il s’avère important de s’intéresser au concept de l’estime collective du groupe. Ce concept constitue la représentation du groupe en regard de son image, soit à quel point le groupe s’inscrit dans une identité sociale positive. Le sentiment d’appartenance, l’adhésion, la valeur et la signification émotionnelle de l’identification des individus au groupe permettent d’établir cette estime collective du groupe (Crocker & Luhtanen, 1990). À cet effet, l’estime collective du groupe contient les composantes de l’estime publique relative à la valeur associée à son groupe par les autres groupes et l’estime privée relative à la vision de l’individu de son propre groupe, ainsi que l’identification à cette identité et le sentiment d’appartenance, soit le membership de l’individu. Il s’agit de la fierté de l’individu d’appartenir à un groupe ainsi que la manière dont l’individu perçoit cette identité sociale (Luhtanen & Crocker, 1992).

Dans les métiers spécialisés, l’appartenance du groupe social associée au métier, soit l’identification professionnelle, s’avère fortement déterminante dans l’engagement de réponses agressives des travailleurs. Dans ces enquêtes sur le conditionnement des rapports sociaux au travail, Sainsaulieu a démontré la référence à la profession et à la valeur primordiale du prestige du métier manuel (Sainsaulieu, 2014). Les travailleurs qui sont fortement identifiés à leur groupe

140 ressentiront plus fortement une perception de menaces relativement à ce dernier (Branscombe et al., 1999; Ellemers et al., 2002). Notamment, en regard d’une menace à la masculinité, des études ont suggéré une association entre une forte identification au genre masculin et le harcèlement sexuel (Maass et al., 2003; Schmitt & Branscombe, 2001; Wade & Brittan-Powell, 2001).

La théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981) s’établit parfaitement dans ce concept d’estime collective du groupe. L’intention principale des groupes dans les agressions fondées sur le sexe et sur le genre s’inscrit dans l’acquisition ou le maintien d’une identité positive (Tajfel & Turner, 1986), soit de préserver une estime collective élevée du groupe professionnel. Les groupes professionnels caractérisés par une forte estime collective sont plus prédisposés à exclure les individus pouvant nuire à cette estime collective élevée (Branscombe & Wann, 1992; Crocker & Luhtanen, 1990), particulièrement lorsque l’estime du groupe est menacée. La perception d’une menace à l’identité professionnelle est l’élément déterminant des agressions dans l’optique de préserver une estime collective élevée du groupe professionnel.

Ces sentiments d’appartenance, d’identification, d’estime personnelle et publique se déterminent notamment par les dimensions culturelles associées à la profession, telles que le degré de collectivisme, d’intégration des différences et de distance hiérarchique au sein du groupe professionnel. Une seconde composante complémentaire de l’identité professionnelle englobe les orientations de la culture associée au métier.

Les prochaines sous-sections s’intéressent à cette composante de culture de métiers.

b) Culture de métiers comme composante complémentaire de l’identité professionnelle En fonction de l’estime collective du groupe professionnel, tant personnelle que publique, des stratégies d’identification professionnelle dans les métiers peuvent consister à privilégier une culture forte pour acculturer rapidement les nouveaux. Cette acculturation peut se produire par un renforcement des normes en vigueur ainsi que par une plus forte reconnaissance professionnelle de la part des principales institutions professionnelles. Les normes et les valeurs privilégiées découlent de la culture professionnelle, selon le degré de collectivisme, de distance hiérarchique et de l’intégration des différences au sein des groupes. D’où l’influence des

141 dimensions culturelles sur la détermination de la manière dont les travailleurs s’identifient à leur métier et, plus précisément, à l’estime collective du groupe professionnel. Ainsi, comme composante complémentaire de l’identité professionnelle, il s’avère primordial d’inclure la culture de métiers, notamment dans le processus de socialisation organisationnelle et d’influence des stratégies identitaires des travailleurs.

1- Mécanisme de transmission de la culture en tant que socialisation organisationnelle La transmission de la culture s’élabore au moyen de trois modes de production sociale : la transmission par les anciens, l’apprentissage et la prescription idéologique. Plus précisément, la culture se transmet par des pratiques de socialisation. Des pratiques formelles, telles que l’accueil, les formations formelles et informelles, le compagnonnage, le mentorat ainsi que les réunions d’équipe, de même que des pratiques informelles, telles que les échanges entre les pairs et l’expérience de travail, composent le processus de socialisation. Cette dernière permet aux nouveaux travailleurs d’adhérer aux coutumes et comportements souhaités au sein de l’organisation. Cependant, dans le cadre de cette étude, la socialisation débute, antérieurement, lors de l’acceptation des travailleurs dans l’école professionnelle de métiers.

L’héritage acquis antérieurement ne cesse de stimuler le développement des cohésions sociales futures. D’où l’importance de considérer les organisations comme des institutions sociales et culturelles dans lesquelles une culture se construit et se déconstruit constamment en regard de l’évolution des acteurs économiques et sociaux dans la complexité des rapports humains se développant au sein de celles-ci (Sainsaulieu, 1995).

Les valeurs sont acquises dans un processus d’apprentissage à travers toutes les périodes de la vie et sont complétées par des pratiques, relativement en rapport à l’analyse de l’information qui émerge de l’environnement. Plus précisément, les pratiques peuvent définir l’identité des individus. Elles englobent les symboles (les mots, gestes, images), tels que le langage, les héros (personnes ou personnages idéalisés), tels que les parents, et les rituels (activités collectives), tels que les formations reconnues seulement par les individus qui partagent la culture (Hofstede, 1980 ).

142 2- Culture professionnelle des métiers spécialisés

Les sous-cultures de métiers, et même les sous-cultures de chaque équipe de travail, occupent une place importante dans l’identité professionnelle conformément à la manière dont les travailleurs s’identifient à leurs collègues, à leurs supérieurs et aux autres groupes socioprofessionnels (Sainsaulieu, 2014). Ainsi, la culture professionnelle unit les travailleurs dans une communauté de métiers, reposant sur une socialisation secondaire, une formation et des expériences professionnelles semblables.

3- Variété de cultures au sein de l’entreprise

Plusieurs sous-cultures peuvent être présentes au sein d’une même organisation. Les différentes cultures amènent des mécanismes de contrôle distincts parmi les travailleurs et des standards différents relativement à l’acceptation des réponses agressives (Harvey et al., 2007). Dans cette optique, le management culturel considère que les travailleurs appartiennent à différentes cultures (nationale, régionale, professionnelle, personnelle) qui construisent, en raison de leurs influences spécifiques, la culture d’entreprise (Meier, 2010).

4- Culture organisationnelle

La culture organisationnelle et les sous-cultures sont reliées à la culture nationale. L’identification des trois niveaux d’analyse (artefacts, valeurs et postulats fondamentaux) du modèle d’analyse proposé par Schein permet de lier la culture organisationnelle à la culture nationale (Schein, 2010). Cette culture organisationnelle conduit les comportements des travailleurs selon la vision fonctionnaliste. À cet égard, dans son modèle de référence de la culture organisationnelle, les postulats fondamentaux, composés des suppositions principales, déterminent les valeurs qui guident les objectifs, les stratégies et les comportements des travailleurs (Schein, 2010).

La culture organisationnelle inclut tous les comportements organisationnels, les interactions informelles et interpersonnelles résultant d’une socialisation secondaire ainsi que les pratiques organisationnelles et l’expression de valeurs et de normes dans les attitudes et les réactions des travailleurs. À cet égard, la culture d’entreprise influence le degré d’acceptation des

143 femmes en raison de l’encouragement ou de la sanction relative aux attitudes sexistes (Agócs, 2002). De ce fait, un niveau plus élevé de réponses agressives envers les femmes caractérise les organisations à culture machiste tolérant les propos sexistes (Fitzgerald et al., 1997).

5- L’accentuation de la culture nationale au détriment de la culture organisationnelle À l’opposé des partisans de la culture organisationnelle, pour Sainsaulieu, les sources de la culture d’entreprise proviennent au sein même de l’organisation. La culture organisationnelle, bien qu’elle possède des valeurs spécifiques, reflète la culture de la nation (Sainsaulieu, 1995). Cette dernière s’acquiert dès les premières années de la vie, à l’opposé de la culture de l’entreprise, plus superficielle, qui se forme par l’entrée sur le marché du travail au sein d’une organisation (Hofstede, 1980). Selon Sainsaulieu, la culture nationale est autonome et traverse tous les types de culture présents dans l’organisation (Sainsaulieu, 1995). De même, l’impact direct sur l’identification professionnelle démontre toute l’importance de s’intéresser à la régulation culturelle (Sainsaulieu, 1995).

Par ailleurs, les valeurs explicites et implicites privilégiées dans la culture nationale encouragent certaines règles de conduite et stratégies des travailleurs (Sainsaulieu, 1995). De ce fait, la culture influence les rapports collectifs, les structures organisationnelles et conditionne les conditions de travail des travailleurs. En d’autres termes, la culture nationale est déterminante dans la construction des modèles d’identité au travail, définis dans la section précédente, par son influence sur les cultures professionnelles de chaque métier. Hofstede spécifie que la culture est caractéristique des nations, alors que les sous-cultures sont caractéristiques des organisations et des métiers. Les structures organisationnelles doivent s’ajuster aux spécificités culturelles nationales afin de prospérer (Sainsaulieu, 1995).

Plus particulièrement, dans l’agression fondée sur le sexe et sur le genre, le rôle des stéréotypes doit être considéré dans la prolifération des agressions en raison d’une contamination de l’environnement de travail en milieu hostile pour les femmes (Gutek & Morasch, 1982; Keyton et al., 2001). Distinctement aux cultures machistes, sur le plan national, le type de culture privilégiant les valeurs féminines des pays scandinaves, en raison de l’accent sur l’égalité entre les travailleurs et sur la qualité des relations interpersonnelles ainsi que sur la faible distance

144 hiérarchique entre les différents statuts et fonctions, démontre un niveau plus bas d’agressions (Mikkelsen & Einarsen, 2001).