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La présente section se consacre à la définition du concept d’identité (personnelle, collective et professionnelle). Avant d’élaborer un modèle théorique relatif à l’identité professionnelle, il est important de définir toutes les composantes et toutes les formes identitaires des travailleurs.

118 3.1.1-Concept d’identité personnelle

Dans le Petit Robert, l’identité personnelle est définie comme un : « caractère de ce qui demeure identique à soi-même ». Les concepts d’unité, d’unicité, de similitude, de permanence ainsi que de reconnaissance de soi-même et d’autrui sont tous pertinents dans la définition de l’identité. Brièvement, l’identité personnelle englobe l’ensemble des caractéristiques personnelles, alors que l’identité sociale consiste à « cette partie du concept de soi qui provient de la conscience qu’a l’individu d’appartenir à un groupe social (ou à des groupes sociaux), ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance » (Tajfel, 1981, p. 255). Il peut s’agir d’une appartenance basée sur le sexe, une ethnicité, une croyance religieuse ou bien des convictions politiques (Aquino & Douglas, 2003). De ce fait, l’identité sociale est ce qui différencie le groupe d’appartenance des individus aux autres groupes (Licata, 2007). L’identité permet à la fois, dans son caractère unique, de se distinguer d’autrui et, d’une autre manière, de ressembler à d’autres dans son caractère de similitude (Marc, 2005). Ainsi, l’ensemble des éléments et des significations associées, individuellement et collectivement, à un individu représente son identité.

Par ailleurs, l’identité personnelle est évolutive, notamment par l’incorporation de nouveaux éléments à la suite du processus de différenciation et de similitude tout au long de la vie des individus. Ces constructions de repères forment une diversité d’identifications configurant l’identité personnelle (Dubar, 2010).

Deux aspects de l’identité doivent être considérés dans sa définition. D’une part, une face objective englobe les caractéristiques permanentes (taille, date de naissance, couleur des yeux et cheveux) et changeantes (statut matrimonial, profession, lieu de résidence) permettant d’identifier clairement les individus. D’autre part, l’identité est complétée par une deuxième face subjective, soit une donnée immédiate de la conscience de l’individu d’être soi (Marc, 2005). Cette conscience de soi s’établit au sein des relations avec autrui dans une perspective relationnelle de l’identité selon le courant interactionniste (Mead, 1934). À cet égard, Goffman ajoute que l’enjeu fondamental dans l’interaction avec autrui consiste à l’aspiration d’une reconnaissance d’une valeur sociale positive au sein des relations sociales, notamment par des stratégies cognitives et comportementales (Goffman, 1974). À titre indicatif, un de ces ouvrages

119 traite des stratégies employées pour lutter contre la stigmatisation pour les personnes souffrant d’un handicap (Goffman, 1975).

Plus loin que cette perspective du rapport soi-autrui, il est important d’aborder l’identité dans une perspective systémique du contexte du groupe, ancrée dans des valeurs, des normes et des règles, produisant une relation triadique du soi, de l’autre et du groupe. Plus précisément, l’approche systémique souligne notamment que la communication avec autrui influence la perception de soi (Marc, 2005).

Afin d’indiquer le caractère dynamique et évolutif du sentiment d’identité, l’auteur Marc Edmond spécifie clairement cinq processus liés qu’il définit dans son ouvrage comme étant le résultat de l’identité (Marc, 2005, p. 3-4) :

« -un processus d’individualisation, ou de différenciation, intervenant surtout dans les premières années, par lequel l’enfant arrive à se percevoir comme un être différencié, séparé des autres; sujet à ses sensations, de ses pensées et de ses actions (pouvant dire « je ») et devenant peu à peu conscient de sa singularité face aux autres et capable de se reconnaître et de reconnaître autrui;

-un processus d’identification par lequel l’individu se rend semblable aux autres, s’assimile à leurs caractéristiques, se trouve des modèles pour construire sa personnalité et se sent solidaire de certaines communautés (la famille, les copains, le village ou le quartier, les individus de son sexe; et, plus tard, la profession, la nationalité, le parti…);

-un processus de valorisation narcissique, qui fait que le soi est investi affectivement, qu’il est l’objet d’amour (l’« amour propre », source de l’estime de soi, de la confiance en soi, de l’affirmation de soi, de la vanité…);

-un processus de conservation qui assure une continuité temporelle dans la conscience du soi et lui confère un sentiment en permanence : ainsi, je me ressens le même malgré la diversité de mes rôles et des situations que je vis et en dépit de l’écoulement du temps;

120 -un processus de réalisation « qui fait que l’identité n’est pas la simple perpétuation

du passé, mais s’ouvre sur l’avenir et le possible à travers la poursuite d’un idéal, les rêves de grandeur et de réussite ou la recherche d’équilibre et de plénitude. »

Dans cette perspective dynamique de la relation entre le soi, l’autre et le groupe, l’utilisation du terme dynamique « stratégie identitaire » est appropriée pour désigner l’ensemble des réactions psychologiques et comportementales enclenchées par les individus dans l’optique d’obtenir une reconnaissance d’autrui, d’acquérir une identité positive ou de préserver son identité (Camilleri et al., 1990; Marc, 2005).

3.1.2-Concept d’identité sociale

L’identité est à la fois individuelle et collective. L’individu se définit socialement par son identité. Ce rattachement oriente la manière dont l’individu perçoit l’environnement et, distinctement, comment les personnes de son entourage le perçoivent (Marc, 2005).

L’identité est l’articulation entre l’identité individuelle et collective et résulte d’un construit social découlant des rapports de force au sein des organisations (Sainsaulieu, 1995). Goffman a démontré le mouvement de va-et-vient incessant entre l’identité personnelle et sociale dans sa construction identitaire. De sorte que les interactions quotidiennes modifient la perception de soi-même en fonction du contact avec les autres. Distinctement, l’identité personnelle d’une personne englobe l’ensemble de ses caractéristiques personnelles (habiletés, compétences, connaissances), alors que l’identité sociale réfère davantage à des groupes ou à des collectivités (Aquino & Douglas, 2003).

Dans cette optique, cette représentation de soi s’actualise et se confirme au sein des relations sociales ancrées dans des modèles culturels et sociaux (Marc, 2005). Diverses identifications conditionnent l’identité sociale, telles que les groupes familiaux, religieux, politiques et professionnels (Dubar, 2010).

La prochaine sous-section se consacre spécifiquement au concept de l’identité professionnelle. Il s’agit de l’une des identités sociales déterminantes par le sentiment de reconnaissance, de valorisation et d’intégration des individus dans le monde professionnel.

121 3.1.3-Concept d’identité professionnelle

La construction de l’identité professionnelle est multidimensionnelle et découle d’une socialisation, soit des processus sociaux qui forment et transforment les individus. « La socialisation, c’est donc en ce sens l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit ˗ on dira aussi « formé », « modelé », « façonné », « fabriqué », « conditionné » ˗ par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert ˗ « apprend », « intériorise » , « incorpore », « intègre » ˗ des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon, 2010, p. 6).

La socialisation primaire, issue de la famille et de l’éducation scolaire durant l’enfance, contribue à fournir des références culturelles, à s’identifier aux groupes d’appartenance ainsi qu’à anticiper les socialisations suivantes (Dubar, 2010). « La construction de l’identité dépend du mouvement incessant entre l’héritage provenant d’une appartenance et l’appropriation provenant de la médiation subjective de l’héritage dans la construction du « soi » (Legault, 2003, p. 22).

Les filières d’emploi-formation des métiers sont essentielles dans la construction de l’identité professionnelle. À cet égard, « La construction des identités professionnelles est inséparable de l’existence des filières d’emploi-formation et des types de relations professionnelles qui structurent les diverses formes spécifiques de marchés du travail, marchés internes des firmes, marchés professionnels ou de métiers, marchés externes…» (Dubar, 2010, p. 233). Selon le modèle de Dubar, les configurations identitaires se construisent dans la formation professionnelle, se consolident lors de l’insertion dans les filières de métiers, sont reconnues à la suite de l’acquisition de la qualification, notamment la compétence en entreprise, et se terminent dans le moment du vieillissement de l’identité par le passage progressif à la retraite (Dubar, 2010).

Trois domaines essentiels les décrivent : « le « monde vécu du travail », la trajectoire socio-professionnelle (depuis la famille d’origine jusqu’à l’enquête) et notamment les mouvements d’emploi, le rapport des salariés à la formation et spécialement leur vision d’avenir. C’est à l’intersection de ces trois champs (travail, trajectoire, formation) qu’est définie l’identité professionnelle de ces personnes, identité conçue à la fois comme une configuration

122 présentant une certaine cohérence typique et comme une dynamique impliquant des évolutions significatives, en réponse aux mutations de leur entreprise ou du marché du travail » (Dubar, 2010, p. 181).

En somme, en regard des résultats des enquêtes du sociologue Claude Dubar, la socialisation secondaire des processus identitaires, par l’apprentissage culturel en organisation, complète la socialisation primaire et s’ajoute à la culture acquise antérieurement dans la famille et à l’école (Dubar, 2010). Suite au bagage familial et scolaire, les entreprises, par les expressions verbales et les styles de communication, sont une autre avenue d’accès au langage. Ainsi, les travailleurs acquièrent et adoptent des normes et des valeurs au sein de leur organisation, piliers de leurs comportements. De ce système de référence se développent des identités professionnelles. Ces identités se définissent comme étant un ensemble de pratiques et de coutumes octroyant, d’une part, une reconnaissance des travailleurs dans l’exécution de leur profession et, d’autre part, permettant une affirmation d’eux-mêmes dans l’espace professionnel (Ashforth & Mael, 1989). De même, la communication au travail est déterminante dans les affiliations et l’influence des travailleurs. De ce fait, les relations au travail doivent se réinterpréter dans la culture au travail par des mécanismes d’apprentissage inconscients au sein d’un conditionnement culturel. Le sociologue Renaud Sainsaulieu s’est particulièrement intéressé, plus spécifiquement, à l’identité professionnelle des travailleurs (Sainsaulieu, 2014).