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Les premières validations empiriques de l’existence des relations marque consommateur

EXPLORATION THEORIQUE DE LA PREMIERE RENCONTRE MEMORABLE

Section 1 – Origines et fondements du paradigme de la relation marque consommateur

1.4 Les premières validations empiriques de l’existence des relations marque consommateur

Une grande partie des travaux sur la relation marque-consommateur est de nature exploratoire, ce qui semble compréhensible compte tenu de la faible maturité du courant de recherche et de la complexité du phénomène relationnel. Lorsque l’objectif de recherche n’est pas tant de s’intéresser à une forme de relation donnée ou à une propriété de la relation, par exemple la confiance, l’attachement… mais de proposer une vision globale des formes de relation et de leur développement, seules les recherches exploratoires en profondeur semblent fructueuses.

De ce fait, toutes les recherches citées dans cette section ont eu recours à un même type de méthodologie : des méthodologies qualitatives fondées sur des entretiens en profondeur (entretiens de longue durée), de ce fait réalisées sur un nombre restreint d’individus. Fournier (1994, 1998) mène ainsi trois séries d’entretiens d’une durée de 1 à 3h avec des femmes, totalisant ainsi 8 à 10h de narration par personne interrogée. Fournier et Yao (1997) mènent quant à elles 8 entretiens de 2 à 3,5 heures. Utilisant à l’instar de Fournier (1994, 1998) la technique du récit de vie libre, elles ajoutent cependant une technique de recueil en demandant aux personnes interrogées de réunir des images ou photographies décrivant ce qu’elles « ressentent à l’égard du café » en général et à l’égard de la marque à laquelle elles sont le plus fidèles. Kates (2000) mène également 44 entretiens de longue durée, ainsi qu’une observation participante, en s’intéressant spécifiquement à la cible des homosexuels.

Enfin, deux travaux portant sur la relation des enfants aux marques (Ji, 2000 ; Rhodain, 2003) ont également recours à des entretiens (3 pour Ji ; 24 pour Rhodain, interviews portant également sur d’autres thèmes que la relation), même si ceux-ci sont de durée plus limitée (maximum de 60 minutes) compte tenu de la cible. Rhodain (2003), s’inspirant de méthodes ethnographiques, ajoute à cette démarche des techniques d’observation du comportement des enfants dans le contexte scolaire puisque c’est l’objet de sa recherche.

La nature des résultats produits par ces travaux est de nature très descriptive. Ils permettent de valider la pertinence de la perspective relationnelle pour qualifier et manifester les fortes différences de liens et de régularité dans les rapports des consommateurs aux marques. Fournier (1994, 1998), sur la base de ses trois études idiographiques, valide sur le terrain l’existence des relations marque-consommateur et en propose une définition, adaptée de la définition des relations interpersonnelles (Hinde, 1979) : « la relation marque-consommateur est une interdépendance volontaire ou imposée entre une personne et une marque caractérisée par une séquence unique d’interactions et une anticipation de futures occurrences, destinée à assouvir un objectif instrumental ou socio-émotionnel et qui implique la consolidation d’un lien ».

Les relations aux marques peuvent prendre une réelle importance, non pas nécessairement pour ce qu’elles sont en tant que telles, mais parce qu’elles sont au cœur de la vie des personnes et partagent ainsi des moments déterminants. On ne peut donc comprendre les relations marque-consommateur qu’en considérant le contexte personnel et social des individus. La marque prend alors un pouvoir important car elle cristallise, rappelle ou se substitue à des personnes ou des étapes clés de la vie. On retrouve l’analyse de la relation à l’objet proposée par Baudrillard (1968).

Dans cette même perspective, Fournier (1994, 1998) remarque ainsi combien les marques jouent un rôle dans la formation de l’identité des consommatrices et sont un acteur important ou marginal de leur réalisation personnelle : dans ses exemples, Jean cherche ainsi la performance car elle souhaite elle-même être performante, Vicky recherche essentiellement la valeur sociale car elle est elle-même en quête de positionnement social…

Rhodain (2003) confirme l’importance des relations aux marques dans la construction de l’identité de l’enfant, et montre en quoi la marque est à la fois un repère personnel, mais aussi un repère collectif au sens où elle permet de montrer une appartenance ou un rejet vis-à-vis de sa famille, de ses pairs, ou même de sa culture.

Fournier (1994, 1998) dresse ensuite un parallèle entre certains concepts de la littérature sur les relations interpersonnelles et ses observations sur le terrain. Elle montre en particulier la

pertinence d’étudier la dynamique de la relation marque-consommateur dans le temps en utilisant les modèles de développement des relations.

Plus généralement, ces différents travaux exploratoires s’attachent à montrer la diversité des relations en révélant des typologies de relation.

Fournier (1998, p.362), à l’aide d’une analyse croisée des discours individus-marque sur la base de 112 relations émanant des trois personnes interviewées, révèle ainsi sept dimensions distinctives des relations : caractère volontaire, positif, intense, privé, symétrique et temporalité. Elle distingue ainsi quinze types de relations :

- le mariage arrangé : union imposée par une tierce personne (ex. conjoint ou prescription médicale, pharmaceutique). Elle se caractérise par un engagement exclusif et de long terme, mais à un niveau d’attachement affectif très faible ;

- le copain : relation marquée par des attentes de réciprocité faibles, un engagement, une intimité et un attachement faible ;

- le mariage de commodité : relation engagée mais imposée par un événement extérieur (ex. déménagement qui modifie le portefeuille de marques disponible) ;

- le partenariat engagé : union de longue durée, forte en amour, confiance et intimité qui engage les partenaires à rester ensemble ; contrairement à la relation qui suit, elle implique l’exclusivité

- les meilleurs amis : relation de long terme basée sur la réciprocité, l’honnêteté, l’intimité, l’expression du moi véritable ;

- l’amitié compartimentée : amitié spécialisée qui dépend de la situation et caractérisée par une faible intimité (ex. relation forte avec un seul produit spécifique de la marque) ;

- la parenté : union involontaire, provenant des liens parentaux (relation proche du mariage arrangé mais dont l’antécédent est la famille) ;

- la relation guidée par l’évitement : union précipitée pour remplacer un ancien partenaire (relation née d’un besoin urgent de changer de marque plus que d’une attraction intrinséque) ;

- l’amitié d’enfance : relation peu fréquente mais très chargée en émotion car rappelant l’enfance (moins engagée que la parenté, mais fondée sur des liens socio-émotionnels plus forts)

- la dépendance : obsession dans la marque, croyance dans son caractère irremplaçable ; - l’aventure sans lendemain : engagement de très cour terme sans demande

d’engagement et de réciprocité, mais chargé en émotion ;

- la haine : relation à fort degré négatif, manifesté par un désir d’évitement voir de nuire à la marque (ex. marques de l’ex-mari)

- la relation secrète : très chargée en émotion et intimité, que l’on n’expose pas aux autres (a trait à une consommation que l’on veut cacher à l’entourage : bonbons, etc…) ;

- l’esclavagisme : union non volontaire dépendant des désirs de l’autre. Les sentiments sont négatifs, mais on reste en contact par obligation contextuelle (ex. fournisseur d’accès au cable, ou téléphone).

Kates (2000, p.506) complète cette typologie dans le travail exploratoire qu’il mène auprès des gays afin d’analyser leurs relations aux marques. Il ajoute ainsi une dimension importante de la fonction des relations : la construction de communautés identitaires. Il ajoute ainsi trois nouvelles classes de relations à la typologie de Fournier, très dépendantes du contexte de revendication manifestée par la communauté gay : les « copains de régiment » (union volontaire avec les points de vente du quartier gay en vue d’un soutien), les « alliés politiques » (union volontaire avec de grandes marques manifestant leur reconnaissance en communiquant dans les media gay par exemple) et les « ennemis politiques » (relation de rejet, de dégoût voire de désir de nuire avec des marques antigay).

Enfin les travaux de Ji (2002) proposent une typologie des relations marque-enfant, dont on repère des similitudes avec celle de Fournier. Elle distingue ainsi 10 types de relations :

- Le premier amour : relation fondée sur l’adoration du fait de cette première expérience de l’amour. La marque a du sens pour l’enfant et contribue au développement de son identité.

- L’amour vrai : un amour développé sur une longue période de temps grâce à un usage répété de la marque. C’est une relation presque exclusive, caractérisée par un fort attachement et fort engagement

- Le mariage arrangé, proche de celui décrit par Fournier

- L’admiration secrète, qui décrit une relation faite d’une grande admiration sans possibilité cependant de nouer une réelle relation du fait d’une limite financière par exemple

- Le bon copain, proche de la relation de « copain » décrite par Fournier - Le pote, avec qui la relation est amusante, heureuse, distrayante

- Le vieux pote, une relation d’amitié aujourd’hui interrompue du fait d’un déménagement ou autre cause entraînant l’impossibilité de se procurer la marque - L’acquaintance : une relation de connaissance mutuelle sans aucune autre forme de

lien ou de préférence

- La relation d’un jour : imposée par les parents, elle est avant tout faite d’indifférence - L’inimitié, proche de la haine décrite par Fournier

Fournier et Yao (1997) quant à elles se centrent sur un objectif de recherche plus précis en cherchant à revisiter le concept de fidélité sous un angle plus riche et dans une perspective véritablement relationnelle. Elles montrent ainsi à quel point de nombreux types de relations se cachent en réalité derrière une relation dite de fidélité, et qu’à l’inverse peuvent se cacher derrière des relations apparemment fidèles, des relations très faibles. Ainsi Wendy (femme célibataire de quarante ans) se rend jour après jour dans le même magasin pour acheter le même café à la même heure. Pour elle, changement de marque signifie tromperie conjugale. Elle se sent dépendante, achète les produits dérivés. Sa relation est proche du mariage consommé, où la passion a fait place à l’affection et à l’habitude. Paméla est en revanche attachée de manière plus émotionnelle à son café, elle en est fière et le recommande autour d’elle. Elle se sent valorisée par les actions que la marque entreprend avec elle : envoi de catalogue, livraison de café… pourtant, elle dit pouvoir changer un jour ! Enfin pour Sara, une jeune fille en quête d’identité, le café l’aide à créer sa propre identité par rapport à ses parents. Sa relation est proche d’une forte amitié.

A l’inverse, un certain attachement peut se cacher derrière une infidélité apparente. Tom est ainsi attaché aux marques de son enfance, mais consomme également toutes marques en fonction des promotions en cours. Franck est attaché à une marque dans un contexte particulier : une au réveil, une au travail, une avant de se coucher. Il vit une amitié partagée. Henry quant à lui est fidèle à plusieurs marques car chacune, avec sa propre personnalité, lui permet de révéler ses facettes.

Cette recherche révèle ainsi que derrière le concept fourre-tout qu’est la fidélité, il est nécessaire d’identifier, et éventuellement de mesurer les différentes dimensions sous-jacentes. En cela, la métaphore relationnelle est riche.

Si ces travaux ont permis d’ouvrir la voie d’une nouvelle approche en comportement du consommateur et en gestion des marques, ils souffrent de certaines limites.

Purement qualitatifs et descriptifs, ils ne proposent ni outil de mesure, ni modèle intégrateur générique qui pourraient être exploités dans d’autres recherches ou permettraient d’aider les praticiens à interpréter la situation de leur marque, l’état de leur portefeuille relationnel, etc… Les travaux présentés dans la section suivante comblent cette lacune.

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