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Le biais de prophétie auto-réalisatrice

EXPLORATION THEORIQUE DE LA PREMIERE RENCONTRE MEMORABLE

Section 3 – Les biais liés à la première impression

3.3 Le biais de prophétie auto-réalisatrice

Le biais de prophétie auto-réalisatrice, tout d’abord suggéré par Merton en 1957, a ensuite fait l’objet de développements et d’études nombreuses (Darley et Fazio, 1980). S’appuyant sur les mécanismes du biais précédemment décrit montrant en quoi une première impression, une attente, une croyance peut influencer l’interprétation ultérieure du comportement d’une partie adverse, Darley et Fazio (1980) poussent le raisonnement un cran plus loin, en montrant que cette première impression ou attente peut orienter directement le comportement de l’autre partie, ceci contribuant à confirmer l’attente initiale. Un exemple permettra d’illustrer plus clairement le propos. Un professeur présupposant que tel élève est bon élève mettra en œuvre un comportement en concordance avec son attente : il sera sans doute plus encourageant, donnera des retours plus favorables, sourira, ce qui en retour créera un climat de confiance pour l’élève qui atteindra ainsi un meilleur niveau de performance, confirmant ainsi les attentes du professeur. On parle de prophétie auto-réalisatrice car le simple fait d’attendre tel

ou tel comportement a la vertu de le faire apparaître chez la partie adverse, confirmant ainsi l’attente initiale.

Le contexte de l’exemple n’est pas donné de manière arbitraire, car il est vrai que la plupart des travaux en la matière ont porté sur deux contextes particuliers : celui du comportement professeur-élève en sciences de l’Education où plus de 400 études sur l’influence des attentes des professeurs sur le fonctionnement intellectuel des élèves sont répertoriées par Harris et Rosenthal (1985) au sein de leur méta-analyse, et celui de la compréhension des effets de demande en matière d’expérimentation, le fameux effet « Rosenthal ».

La pertinence de la théorie ne se limite bien entendu pas à ces deux contextes : elle a également été appliquée au champ du recrutement, sur l’effet de la pré-visualisation d’une candidature sur le déroulement d’un entretien de recrutement et le jugement émis sur le candidat (Dipboye, Fontenelle et Garner, 1984).

Darley et Fazio (1980) détaillent le mécanisme en le découpant en ses différentes phases (fig. 1.2) : a) la formation d’une attente chez l’observateur (nommée A), au sujet de la partie adverse (nommée B), b) la mise en œuvre chez l’observateur d’un comportement concordant avec son attente, c) l’interprétation par la partie adverse de ce comportement, d) la réponse de la partie adverse, e) l’interprétation de cette réponse par l’observateur et f) l’interprétation par la partie adverse de son propre comportement. Ces différentes étapes sont représentées dans la figure 1.2 suivante.

Formation d’une attente vs interlocuteur Mise en œuvre d’un comportement congruent avec les attentes Interprétation du comportement par le répondant Action de l’observateur Action du répondant Réponse du répondant Interprétation de la réponse par l’observateur Interprétation par le répondant de son propre comportement

a/ La formation d’une attente chez l’observateur (A) au sujet de la partie adverse (B) En fonction de l’information qui lui est donnée (information véhiculée par un tiers, par un support quelconque, candidature, bulletin de note, etc… ou à la suite d’une première entrevue avec B, l’observateur A va former une première impression sur B et lui attribuer des qualités, des traits ou intentions spécifiques. Ensuite, sur la base de sa propre « théorie implicite de la personnalité » ou sur la base du recours à des stéréotypes (sexuel, racial…), A va connecter ces traits à d’autres traits qu’il pense liés et anticipera des comportements possibles de B, ces anticipations pouvant être exactes ou inexactes.

b/ L’observateur (A) agit en concordance avec l’attente formée

Sans qu’il en soit conscient, A va mettre en œuvre un comportement en ligne avec les attentes formées à l’égard de B. Ainsi, dans l’expérience de Snyder et Swann (1974), le groupe de sujets auquel on précise que leur adversaire (dans un jeu) présente un caractère hostile manifeste immédiatement un comportement plus agressif que le groupe ne subissant pas le même traitement. Dans les études sur le comportement enseignant – élève, dès lors que le professeur forme une attente positive à l’égard de l’élève (sur la base de son bulletin, des notes de sa fratrie, etc…), les recherches ont pu relever la survenue de comportements favorables chez l’enseignant : climat positif, encouragement, contact visuel, gestes, sourires,

distance moins importante, plus grande durée d’interaction, etc… (voir Harris et Rosenthal, 1985, pour une revue).

Cette mise en œuvre d’un comportement favorable ou défavorable a des conséquences importantes puisqu’elle oriente la suite des interactions, et au premier chef, peut entraîner leur fin. Ainsi par exemple, dans le cas d’une relation recruteur-candidat, client-fournisseur, la fin des interactions peut avoir des conséquences importantes pour les parties concernées. Dans le cas plus général où la relation ne s’arrête pas, l’on commence à comprendre le chaînage des interactions. Si l’on reprend le point de vue de B, il devient en quelque sorte à son tour observateur, peut inférer des attentes du comportement de A et l’interpréter selon les mêmes mécanismes que ceux par lesquels les attentes initiales de A ont été formées.

c/ La partie adverse (B) interprète les actions de l’observateur (A)

A nouveau, selon le processus cognitif de genèse des attributions, B va interpréter les actions de A. Ce processus est rapide, automatique, le plus souvent incomplet et peut tout autant générer des attributions exactes ou inexactes. Ces interprétations sont cependant parfois suffisamment détaillées pour générer des conséquences sur de futures interactions, même lointaines dans le temps, y compris dans des situations très différentes de la situation originelle. Quatre catégories d’attributions peuvent être générées par la partie adverse : des attributions sur les dispositions (qualités, traits…) du partenaire (un recruteur distant sera jugé moins sympathique qu’un recruteur proche, Word et al., 1974) ; des attributions sur la situation, les inférences sur le comportement adverse ne concernant ainsi que la situation donnée ; des attributions sur lui-même (la personne croit ou sait qu’elle induit tel ou tel comportement chez l’autre) et enfin des attributions plus complexes croisant personnes et situation.

Sur cette base d’inférence, B réagit. d/ La partie adverse (B) réagit

Dans la formulation initiale de la Prophétie auto-réalisatrice, seul le cas d’une confirmation du comportement émis par A est envisagé, amenant ainsi à une symétrie de comportement et à la réalisation de la prophétie. C’est le cas considéré par de nombreuses études : un comportement proche induit le comportement proche de l’adversaire, les sourires amenant les sourires, l’hostilité induisant l’hostilité (Snyder et Swann, 1978). D’après Darley et Fazio

(1980), ce sont surtout les comportements résultant d’attributions sur les dispositions ou la situation qui génèrent une symétrie de comportement. S’il est évident que le comportement de réponse est influencé par le comportement initial émis, cela peut parfois être dans le sens d’une confirmation, parfois selon un mécanisme plus complexe. La réaction de B dépend notamment de l’importance qu’elle accorde à A et de l’attention qu’elle porte à son comportement (les contextes de l’enseignement, du recrutement, de l’expérimentation sont à ce niveau là particuliers car supposant un rapport de dépendance important entre les deux parties). De même le comportement de confirmation aura plus de chances d’émerger si l’impression formée par A est en phase avec le concept de soi de B.

Une fois ce comportement de réponse émis, A va à nouveau interpréter ce comportement de réponse émis par B.

e/ L’observateur (A) interprète le comportement de réponse de B

Lorsque le comportement de réponse confirme « objectivement » l’attente de A (dans le cas d’expérimentations, la confirmation objective est évaluée par des juges non informés de la manipulation), l’interprétation de A est simple et vient tout naturellement renforcer la croyance initiale.

Lorsque le comportement de réponse n’est pas totalement congruent ou, a minima, est ambigu, on repère malgré tout la présence d’un biais de confirmation décrit dans la section précédente et le renforcement de l’impression ou du moins du comportement initial (par engagement à ce comportement). Le phénomène d’attribution « biaisée » décrit comme générant la persévérance des impressions se produira : par exemple, si un élève supposé faible répond de manière tout à fait pertinente à la question du professeur, ce dernier aura tendance à mettre ce fait au crédit de la chance ou de la situation, et non au crédit des dispositions naturelles de l’enfant qu’il laissera inchangées.

De ce fait, le renforcement de l’impression et du comportement initial de l’observateur a une forte probabilité d’occurrence.

f/ La partie adverse (B) perçoit son propre comportement

Enfin, dernier épisode du phénomène : B analyse son propre comportement. Même si ce comportement a vu le jour du fait de la situation plutôt que du fait des dispositions permanentes des individus, B aura tendance à juger son comportement comme révélateur de ce qu’il est. Sur cette base, il a de fortes chances d’intégrer ce comportement et donc de le

renouveler voir de l’accentuer se trouvant, soit dans la même situation, soit en présence de la même personne.

Ainsi la répétition de cette séquence en six phases au fil des interactions permet de comprendre le renforcement de biais, à la fois cognitifs et comportementaux, intervenant dans les relations sociales et aboutissant au phénomène de prophétie auto-réalisatrice.

Dans le cadre de la relation marque-consommateur, nous avons conclu à l’issue de la section précédente que le phénomène de biais au niveau purement cognitif (persévérance des impressions) était fortement probable. Qu’en est-il des biais comportementaux et de l’application de la prophétie auto-réalisatrice ? Ce phénomène a de fortes chances de se produire dans le cas de relations marque-consommateurs où les interactions avec la marque sont incarnées, c’est-à-dire que la marque est représentée par une personne physique. Dans le cas des interactions dans le secteur des Services (« service encounters » au sens de Bitner), dans le cas d’interactions avec un centre d’appel ou avec un vendeur ou responsable client en boutique, on peut facilement comprendre en quoi la séquence d’interactions constituant la trame de la relation sera sujette à cette forme de biais, entraînant un développement plus ou moins favorable de la relation.

Conclusion du Chapitre 1

En synthèse, le Chapitre 1 nous a permis faire un tour d’horizon de l’ensemble des recherches sur la première rencontre dans des champs disciplinaires variés, permettant d’affiner la définition de la rencontre, d’envisager les différentes conceptualisations du phénomène ainsi que les méthodologies utilisées pour tester les propositions conceptuelles.

Nous remarquons que la notion de « rencontre » n’est pas nouvelle en marketing, même si elle a essentiellement été mobilisée dans le cadre des services, désignant les interactions entre consommateur et prestataire de service.

Nous dégageons également de cette exploration théorique une première fondation pour notre thèse : la définition de la première rencontre, et plus spécifiquement la définition de la première rencontre mémorable, à l’appui des travaux en marketing expérientiel et en psychologie des relations interpersonnelles. Nous postulons ainsi :

La première rencontre entre le consommateur et la marque correspond à la première interaction consciente du consommateur avec la marque.

Cette première rencontre est mémorable dès lors qu’elle est inoubliable, marquante, et laisse une trace nette et précise dans la mémoire du consommateur.

Sur le plan conceptuel, une première rencontre se résume à une question d’attention

sélective. Il est donc indispensable de comprendre les mécanismes qui aboutissent à cette

attention sélective, et c’est aussi ce qui guidera notre recherche. La littérature suggère d’ores et déjà deux routes explicatives : une route purement perceptuelle dictée par la nouveauté de l’objet rencontré et une route motivationnelle commandée par l’importance que revêt l’objet rencontré. C’est cette route motivationnelle qui va donner lieu à un processus d’attributions quant à l’objet rencontré, ce dernier résultant ensuite en une attraction, positive ou négative. Le processus d’attributions et l’attraction qui en découle est influencé par l’objet même rencontré (en particulier son attractivité physique et la similarité perçue avec le sujet), mais aussi par le contexte de la rencontre (Lott, Lott, 1970) qui, bien que purement situationnel peut donner lieu à des inférences de nature dispositionnelles.

Ce mécanisme général identifié dans la littérature est important car il exerce une influence sur tout le développement de la relation du fait des biais de persévérance de la première impression et prophétie auto-réalisatrice.

A ce stade, nous ne pouvons affirmer la transposition à notre problématique de ce schéma conceptuel décrit par Berscheid et Graziano (1979) s’appuyant sur les théories de la perception et de la perception sociale en particulier (Heider, 1958). Ceci étant, nous le confronterons aux enseignements que nous tirerons de notre exploration empirique.

L’analyse des travaux empiriques dans d’autres disciplines (sciences de la communication, de l’information, sociologie) est plus difficilement transposable sur le plan conceptuel car moins générale que les modèles postulés en psychologie, plus spécifique à un objet de recherche particulier. En revanche, nous retiendrons différentes pistes méthodologiques qui nous aideront à construire les études 2 et 3 de ce travail doctoral. Ces différents travaux examinent en effet la première rencontre par le truchement de récits a posteriori, ou par la manipulation de rencontres via scénarii ou « in vivo » en déclenchant artificiellement ces rencontres. Nous aurons l’occasion de recourir à deux de ces protocoles de recueil de données lors de la troisième partie de cette thèse.

PREMIERE PARTIE : EXPLORATION THEORIQUE DE LA PREMIERE RENCONTRE MEMORABLE ENTRE MARQUE ET

CONSOMMATEUR

Chapitre 3 – Méthodologie de l’étude qualitative phénoménologique DEUXIEME PARTIE : EXPLORATION EMPIRIQUE DE LA PREMIERE RENCONTRE MEMORABLE PAR UNE ETUDE

QUALITATIVE PHENOMENOLOGIQUE (étude 1)

Chapitre 4 – Une analyse intra-individuelle des entretiens phénoménologiques : les logiques de rencontre

Chapitre 1 – Les fondements théoriques de l’étude de la première rencontre

Chapitre 2 – Les fondements théoriques de la marque relationnelle

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