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Fondements épistémologiques de l’approche qualitative retenue

André Gide

Section 1 Fondements épistémologiques de l’approche qualitative retenue

Dans une volonté de simplification, à l’imitation de Thompson, Locander et Pollio (1989), nous pouvons opposer deux grands paradigmes épistémologiques en matière de recherche qualitative : le courant positiviste et le courant interprétatif (Hudson et Ozanne, 1988). C’est au sein du second que se positionne cette recherche, adoptant le « tournant interprétatif » de la recherche en comportement du consommateur décrit par Sherry (1991), celui-ci faisant suite au tournant adopté par tout le champ des sciences sociales.

La richesse de cette approche réside dans la place qu’elle laisse à l’expérience du consommateur, vécue de manière subjective, contrairement à l’approche positiviste qui vise à établir puis démontrer ou valider empiriquement des lois universelles les plus objectives possible.

Dans un premier temps, nous opposerons pour mieux les comprendre les fondamentaux des deux approches (1.1), avant d’examiner plus avant les approches interprétatives afin de

justifier notre choix et de donner une vision générale des grands principes qui ont servi à mener cette étude (1.2).

1.1 Approches positivistes et interprétatives en comportement du consommateur

Le positivisme, et plus globalement le cartésianisme s’attachent à déterminer la valeur objective de vérité d’un propos. Il repose sur différents postulats, particulièrement bien résumés dans le tableau 3.1 suivant d’après Thompson et al. (1989).

Tableau 3.1 : Comparaison du Cartésianisme et de l’interprétativisme d’après Thompson et al. (1989)

Aspects du paradigme Cartesianisme Interprétativisme

(Phénomenologie) Vision du monde

Nature de l’être

Point focal de la recherche Perspective de la recherche Stratégie de recherche Objectif de la recherche Mécanique Dualiste Structure théorique 3è personne Analytique Réductionnisme causal Contextuelle « dans le monde » Expérience 1ère personne Globale Description thématique

Le cartésianisme est souvent décrit par la métaphore de la machine (vision mécaniste) : il propose un système théorique dans lequel les dynamiques libres du système sont restreintes par des contraintes sous la forme de principes et lois. Ainsi, les propriétés de la machine, même psychologiques peuvent être calibrées et mesurées. La machine est constituée de composants indépendants, on peut étudier la fonction de la machine sous l’angle de chacun de ses composants car ceux-ci fonctionnent de la même façon ensemble ou à l’unisson. En faisant le pont avec la recherche en comportement du consommateur, on retrouve ici les grands principes gouvernant la plupart des approches behavioristes, dans lesquelles le comportement est déterminé par le mécanisme stimulus-réponse ou même les approches sur le traitement de l’information où les cognitions sont déterminées par des mécanismes structurels comme la capacité de mémoire de court terme.

Les approches interprétatives proposent quant à elles une vision contextualisée du monde : tout phénomène apparaît dans un contexte donné, et ce contexte lui-même interfère avec les

mécanismes à l’œuvre. Il est donc difficile de proposer un seul et unique système, tout au mieux peut-on dégager des schèmes (patterns) réguliers, qui semblent émerger, se ressembler lors de l’analyse d’un phénomène. Le concept de « schèmes » est central dans les approches interprétatives : il est déjà en lui-même une forme de production de connaissance.

Par ailleurs, le cartésianisme repose sur le dualisme, c’est-à-dire sur la vision platonicienne classique que le monde est séparé en deux entités : le monde physique réel et le monde des représentations mentales. Ainsi, les événements extérieurs sont une réalité objective : ils constituent une réalité brute indépendante de l’expérience humaine et ainsi, une description vraie du monde attend d’être découverte. Elle peut être décrite sous forme mathématique, libre de toute ambiguïté linguistique.

L’interprétativisme refuse la vision dualiste et propose une vision purement subjective du monde (voir Goulding, 1999 pour une synthèse des fondements épistémologiques de la recherche interprétative en comportement du consommateur). Il s’appuie sur la philosophie de Husserl, père de la Phénoménologie au début du siècle dernier. Husserl pose que la philosophie est une science exacte, basée sur des certitudes. Ces certitudes doivent être étudiées via les objets qui émergent à la conscience de l’Homme et non comme des aspects d’un monde métaphysique. Il s’ensuit que ces certitudes doivent être recherchées dans la conscience, et au cœur des types d’existences réelles que les Hommes ont. Cette vision, qui est à l’origine de celle qui gouverne bien des chercheurs en sciences sociales et qui a été travaillée par la suite sous la forme de recommandations méthodologiques explicites, introduit ainsi deux propriétés clés de la connaissance : sa subjectivité, et le fait qu’elle soit logée au cœur de l’expérience humaine. Il n’existe pas de connaissance en dehors du vécu humain. Ainsi, il n’existe pas de théorie de la première rencontre entre un consommateur et une marque tant que celle-ci n’est pas directement racontée, restituée par le consommateur en question. Ceci a deux implications : le langage n’est plus vu comme une source d’ambiguïté dans la production de connaissance, d’où le respect d’une vision « à la première personne ». De plus, réalité physique et représentation mentale ne sont plus dissociées mais analysées ensemble. On retrouve la métaphore du fond et de la figure issue de la théorie de la Gestalt : pour certains individus le fond est perçu pour être le motif central alors que pour d’autres, on constate le phénomène inverse. On retrouve ici l’approche de l’école de psychologie écologique, qui définit l’unité de perception comme l’individu dans son environnement et non l’individu seulement (Gibson 1979).

Une première approche de cette étude qualitative sous un angle positiviste a montré toutes ses limites : comment accéder à la réalité objective des premières rencontres sans en être le témoin ? C’est bien par le spectre du récit des consommateurs que la première rencontre a pris chair. Par ailleurs, toute histoire étant absolument unique, comment en déduire des lois et principes généraux ? Pire, des circonstances apparemment analogues d’un récit à l’autre ont parfois abouti à une rencontre marquante pour l’un, très banale et prise dans le quotidien pour l’autre. On rejoignait alors de manière très juste le propos de Thompson et al. (1989) : « Avec une description objective, une interaction de cinq minutes avec un vendeur est équivalente à une autre. D’un point de vue expérientiel, deux interactions de cinq minutes avec un vendeur peuvent être radicalement différentes ». C’est en partant de ce constat que nous avons conclu que la seule recherche productive possible reposait sur une restitution profonde de l’expérience de l’individu et l’analyse des résultats en respectant le prisme du vécu. Nous avons donc choisi une approche interprétative.

1.2 Aspects épistémologiques complémentaires sur les approches interprétatives

Le vocable « interprétatif » recouvre diverses approches, voire différents paradigmes qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer, y compris dans le champ restreint du comportement du consommateur (Goulding, 1999). Il recoupe des approches dites « naturalistes » (Belk, Sherry, et Wallendorf, 1988 ; Bergadaa, 1990), « interprétatives » au sens strict (Hirschman, 1989), « humaniste » (Hirschman, 1986), « ethnographiques ou ethno-méthodologiques » (Belk, 1987 ; Holbrook, 1987 ; Arnould et Wallendorf, 1994), « sémiotique » (Holbrook et Grayson, 1986) et « Herméneutique » (Thompson, 1997). On constate qu’un même auteur peut faire des va-et-vient d’un paradigme à l’autre. D’un auteur à l’autre, la classification d’une recherche dans l’un ou l’autre des paradigmes peut elle-même varier. Nous ne sommes donc pas là pour remplir l’objectif ambitieux de clarifier les distinctions entre ces différentes approches. Par ailleurs, le mélange de ces différentes approches ne nuit pas nécessairement à la qualité des travaux : on peut arguer qu’elle permet une certaine créativité, même si elle engendre parfois la confusion. Belk et al. (1989), dans un article emblématique du courant interprétatif sur l’analyse du sacré et du profane dans le comportement du consommateur, empruntent ainsi leur approche au courant ethnographique (fondé sur les principes phénoménologiques) et à la théorie enracinée de Glaser et Strauss. Il semblerait que le pluralisme ne soit donc pas un enjeu majeur pourvu qu’il ne touche qu’aux principes

opératoires de la méthodologie et non à des contradictions majeures dans l’ontologie ou l’épistémologie des courants.

De fait, ces différentes écoles reposent toutes sur la vision du monde décrite en 1.1 car elles ont toutes émergé par opposition au positivisme. Leurs points de différences reposent essentiellement sur leur fondement théorique d’origine (Phénoménologie de Husserl pour les uns, Interactionnisme symbolique pour la théorie enracinée…), leur objet (l’herméneutique propose une démarche d’interprétation visant à éclairer les comportements de l’individu par le sens personnel attaché à sa vie alors que l’ethnographie vise à restituer non seulement le sens individuel mais aussi le sens défini par la culture dans laquelle évolue l’individu), certains principes de collecte de données (multiplication des sources pour la théorie enracinée et l’ethnographie, source textuelle unique pour la phénoménologie), le

recours préalable à la théorie ou le degré d’élaboration d’une théorie abstraite lors de

l’interprétation (souvent très faible en phénoménologie existentielle, Murray, 2002).

Sur la base de ce dernier critère, nous pouvons opposer deux groupes de recherches. Le courant sémiotique, structuraliste, herméneutique (Holbrook et Grayson, 1986, Hirschman, 1988) étudie à la fois la surface du phénomène mais propose aussi une vision sous-jacente de la réalité de la vie sociale qui n’est pas nécessairement appréhendée ou consciente chez les acteurs eux-mêmes : l’élaboration théorique finale tient donc une place importante. Le courant naturaliste, phénoménologique, ethnographique, qui repose essentiellement sur l’observation et les entretiens de longue durée, vise à comprendre le phénomène du point de vue de l’informant pour en tirer des schèmes plus généraux, mais sans nécessairement élaborer une théorie qui échapperait à la conscience des informants.

A l’instar d’autres recherches, celle-ci aura recours aux deux familles d’analyse, dont les principes de collecte de données sont très proches. Le panorama épistémologique étant planté, nous allons décrire notre façon de mener l’étude qualitative sur la première rencontre mémorable.

En synthèse, nous proposons de mener notre étude qualitative en suivant les principes du paradigme interprétatif pour faire émerger l’expérience profonde des consommateurs, dans leur contexte, afin d’en déduire des schèmes émergeant du vécu subjectif de chacun des informants.

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