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Les explications possibles à ces biais

EXPLORATION THEORIQUE DE LA PREMIERE RENCONTRE MEMORABLE

Section 3 – Les biais liés à la première impression

3.2 Les explications possibles à ces biais

Pour éclairer davantage notre réflexion sans entrer dans le détail des théories sous-jacentes, nous allons tâcher de rassembler les différentes explications possibles à un tel biais de confirmation.

La première explication, proposée par Rabin et Schrag (1999), peut s’envisager sans même faire appel à la psychologie et participe encore totalement à une vision rationnelle de l’homme. Elle suppose simplement qu’à partir du moment où une hypothèse est émise, qu’une impression est formée, « les individus cessent d’être attentifs à toute information pertinente, que celle-ci supporte ou contredise l’hypothèse initiale ». Ce phénomène est logique si l’on considère que le traitement de l’information a un coût cognitif pour l’individu et que dans bien des cas, la règle pour cesser de traiter l’information est d’attendre d’avoir formé une croyance ou une impression suffisamment forte. Dans le champ de la relation à la marque, on peut supposer que ce phénomène contribue à expliquer l’inertie constatée dans le choix de marques peu impliquantes.

Dans cette même veine, mais soulignant un processus sans doute plus psychologique et plus inconscient, Ross, Lepper et Hubbard (1975) suggèrent, non pas l’arrêt total du traitement de l’information, mais une forme de sélectivité dans l’exposition aux informations ultérieures. Suite à une première impression générée par un objet, une personne, un argument, le monde extérieur (par opposition au cas de laboratoire) fournit de nombreuses occasions d’avoir des éléments d’informations complémentaires, auquel l’individu ne peut pas nécessairement prêter attention. Si son attention est sélective, elle laisse le champ à une exposition elle aussi partielle aux personnes, situations et tâches au sujet desquelles a été formée l’impression initiale. « Lorsqu’une personne a décidé qu’il trouvait un sujet académique trop complexe, une personne désagréable, ou une activité ennuyeuse, libre à lui dans bien des cas, d’éviter ce sujet, cette personne, cette activité dans le futur ». Cet évitement permettra non seulement à l’individu de ne pas acquérir de nouvelles informations qui pourraient remettre en question son jugement premier, mais pourra même dans certains cas renforcer ses croyances initiales par un mécanisme de dissonance cognitive par exemple (Festinger, 1957).

Zadny et Gerard (1974) montrent que ce n’est pas seulement l’exposition qui est sélective, ce qui implique une motivation consciente ou inconsciente à l’évitement, mais la perception elle- même et la mémorisation des informations ultérieures, pour des raisons là aussi d’économies

dans le traitement de l’information. Certains comportements d’acteurs sont souvent trop complexes et trop rapides pour recevoir toute l’attention des individus, qui doivent donc se concentrer sur les aspects essentiels permettant de piloter et de réagir aux actions des autres. Ils utilisent donc des filtres guidant leur perception. Dans leur expérimentation, ils s’intéressent à un filtre unique de sélection de l’information, celui des intentions inférées à un acteur, ce filtre permettant à un observateur de ne percevoir que les comportements ayant trait à cette intention pour mieux interpréter et donner sens aux actions de l’acteur. Ils testent leur hypothèse dans le cadre d’une expérimentation très simple consistant à visionner aux sujets de l’expérimentation une scène présentant un étudiant cherchant à s’inscrire dans différents cours auprès d’une jeune femme, cette démarche lui permettant de valider son cursus. Au cours de la scène, il vient à faire tomber neuf objets, trois ayant trait à la chimie, trois à la musique, trois à la psychologie. Par ailleurs, lorsque le jeune homme cherche à s’inscrire dans trois cours de chimie, de musique, de psychologie, la jeune fille lui fait modifier un choix au sein d’une discipline au profit d’un autre… Les sujets soumis à la manipulation sont scindés en trois groupes : au groupe 1, il est précisé que l’étudiant souhaite obtenir une majeure en chimie, au groupe 2, une majeure en musique, au groupe 3 une majeure en psychologie. Après avoir vu la vidéo, il leur est ensuite demandé de noter tous les objets que l’étudiant a laissé tomber et tous les cours mentionnés par l’étudiant ou la jeune femme. Confirmant leur hypothèse, les auteurs montrent qu’au sein de chacun des groupes expérimentaux, les individus ont mémorisé plus d’items ayant trait à la majeure à laquelle ils croient l’étudiant affilié.

D’autres explications ne se limitent pas à une simple sélectivité dans l’exposition, la perception ou la mémorisation des informations ultérieures mais postulent une réelle lecture erronée ou biaisée des informations ultérieures.

Ainsi, Schrag et Rabin (1999) évoquent une raison de biais qui a une importance toute particulière dans le domaine de la recherche et des sciences en général, le filtre de validation des hypothèses. Qui n’a pas entendu parler de la propension forte des chercheurs à trouver dans leur terrain des éléments venant valider leurs hypothèses ? Popper (cité par Rabin et Schrag, 1999) lui-même souligne ce défaut en montrant que les disciples de Marx et de Freud ont presque systématiquement trouvé des confirmations en tout, et décrit le phénomène par lequel ces convictions se renforcent au fil du temps. Ce dernier s’explique par un mécanisme appelé « stratégie de test positive » : les individus tendent à poser des questions qui sont

susceptibles d’être validées si leur hypothèse est vraie sans même considérer le fait que ces questions seront peut-être validées dans d’autres cas où l’hypothèse est fausse. De manière générale, les individus, à partir du moment où ils ont formé une hypothèse ont tendance à l’utiliser à outrance pour expliquer des faits observés, du simple fait de sa disponibilité versus d’autres hypothèses alternatives non spécifiées.

Nous sommes bien dans ce cas de figure dans un type d’explication plus complexe mettant en jeu des biais dans le mode de traitement de l’information ultérieurement fournie.

Plus simplement, Asch (1946) a mis en avant le phénomène « d’effet de halo » qui décrit le fait que des informations initiales favorables au sujet de quelqu’un génèrent par la suite une sorte de présomption, de climat favorable lors de l’interprétation d’informations ultérieures. Dans ce même registre d’explication, Ross, Lepper et Hubbard (1975), suggèrent encore deux autres raisons au biais de confirmation. La première, s’inspirant des travaux de Anderson (1965) a trait à l’effet de primauté (« primacy ») qui postule qu’un poids plus important sera accordé à une première information ou impression encodée par rapport à celles qui les suivront par la suite. Cette première information ou impression sera donc par la suite mobilisée plus facilement et son pouvoir de conviction sera plus grand.

La seconde, plus spécifique à la perception sociale et à la perception de soi, a trait aux processus d’attribution. Une fois formées, les impressions initiales structurent et biaisent le processus d’attribution par lequel les preuves futures seront examinées et interprétées. Ainsi, l’information congruente avec la première impression sera attribuée à des dispositions personnelles de long terme (compétences, traits de personnalité…), alors que l’information non concordante avec l’impression sera attribuée à des raisons externes, situationnelles ou à la chance. Ils valident cette hypothèse par une expérimentation mettant en jeu 60 femmes à qui l’on assigne une tâche, puis une évaluation de succès pour la moitié de l’échantillon versus échec pour l’autre moitié. Même après avoir été débriefées de la manipulation opérée, les femmes qualifiées d’échec continuent d’évaluer plus négativement leurs capacités et succès futur dans une tâche similaire à venir.

Le récit de ces exemples et des explications possibles permet de mieux comprendre le phénomène de biais de confirmation et de persévérance des impressions. Transposé au

domaine de la relation marque-consommateur, on comprend dès lors mieux en quoi l’étude de la première rencontre entre le consommateur et la marque, et la première impression formée par le consommateur au sujet de la marque exercera une influence immédiate sur leur relation, mais aussi une influence sur les interactions à venir, modifiant la façon dont le consommateur percevra et interprètera les informations ou comportements ultérieurs de la marque.

Dans une perspective encore plus aboutie, si l’on considère la relation comme une séquence d’interactions, on constate que celles-ci ne peuvent être considérées comme indépendantes les unes des autres, mais que chacune est pour partie influencée par la précédente, elle-même influencée par la précédente, etc… On a ainsi une forme de réaction en chaîne, et donc de trajectoire relationnelle unique qui se dessine, fondée sur une toute première interaction. Si l’on considère la notion de relation marque-consommateur dans son sens plénier, celui de Fournier, et que l’on considère donc la relation comme une séquence d’interactions au cours de laquelle les deux parties agissent, il existe même une forme de biais encore plus développée car touchant les deux membres de la dyade (et non pas seulement l’un des acteurs agent de la première impression) : le biais de prophétie auto-réalisatrice, que nous expliciterons de manière brève dans la section suivante.

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