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Premières conséquences didactiques des théories du texte

Chapitre 2 : lecture littéraire et formation du sujet lecteur

1. Auteur-texte- lecteur : quelles relations ?

1.4. Premières conséquences didactiques des théories du texte

Il est temps maintenant de se demander dans quelle mesure ces travaux sur le texte intéressent l’enseignement de la littérature dans le premier degré et plus spécifiquement au cours préparatoire. Comme je l’ai évoqué dans mon introduction, l’essentiel des productions analysées dans cette thèse est constituée de fictions

narratives, textes littéraires majoritairement lus à l’école élémentaire. Chaque fiction

détermine un univers dans lequel se construisent actions, personnages, points de vue

(etc.) qui permettent de structurer la compréhension, voire l’interprétation325. Les

travaux d’Yves Citton et l’analyse du lettré présentés dans le chapitre précédent

324

Ibid. p. 115. 325

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permettent de répondre à cette première interrogation. Former un lecteur capable de

lire littérairement un texte, c’est permettre à ce dernier d’acquérir une compétence

large associant compréhension et interprétation. De ce fait, c’est lui donner les moyens de s’approprier les discours, de comprendre le fonctionnement de la langue

écrite et les effets que cela produit. Les théories que je viens de développer ont donc résolument permis un processus de transformation du statut du lecteur. Il s’est poursuivi avec les travaux de M. Picard et V. Jouve que j’évoquerai dans la seconde

partie de ce chapitre, car les recherches de ces deux critiques engagent encore une autre conception du lecteur, tournée cette fois vers le sujet et non vers une virtualité installée dans le texte. Cependant, la première étape dans la description de la lecture comme effet de la réception par le lecteur implique une redéfinition du statut de la lecture et par voie de conséquence de la formation du lecteur.

D’une part, les travaux des sémioticiens comme U. Eco et W. Iser permettent

de revisiter le rapport compréhension / interprétation. On peut, à partir de ces théories, opérer une distinction entre les textes littéraires et les textes dits « ordinaires », cette distinction s’appuyant sur le régime de lecture que peuvent

générer certains textes littéraires. Si les énoncés lisibles au sens barthésien du terme

n’appellent pas une lecture interprétative, les textes scriptibles résistent, eux, à la

compréhension et nécessitent, de fait, de mettre en œuvre une démarche interprétative. Dès lors, on peut postuler qu’avant de former un lecteur, il faut interroger la définition qu’on donne de sa fonction et de ses capacités. C’est bien l’interrogation qui est au centre de ma recherche et pour laquelle je commence à trouver des réponses. Le développement de la lecture littéraire dans le cadre de

l’apprentissage de la lecture permet de former un lecteur plus complet, qui devrait

pouvoir utiliser des compétences interprétatives. Cependant, cette approche ne peut

se construire sans l’enseignement des nécessaires connaissances qui constitueront la

doxa du lecteur. Par ailleurs, le lecteur ainsi formé devrait développer une représentation ouverte de son rôle, afin de construire le sens des textes.

Dans un deuxième temps, à partir des théories analysées, on est aussi en droit de se demander si le jeune lecteur va réagir comme le lecteur expert. En effet, les théoriciens, et notamment H.R. Jauss évoquent la manière dont le lecteur utilise ses

connaissances pour comprendre les textes. La découverte de l’univers narratif lui

Université Joseph Fourier / Université Pierre Mendès France /

images mentales – celles de sa fiction de lecteur ? Comment mobilise-t-il ses connaissances ?

Ce qui différencie l’apprenti du lecteur expert, c’est le faible développement ou l’absence de capacités régulatrices de sa propre réception. En effet, ces aptitudes constituent une part non négligeable de l’apprentissage de la lecture car elles

s'appuient sur une maîtrise du décodage et de la compréhension. Il n’est donc pas toujours en mesure de comprendre qu’il faut anticiper et surtout de réviser cette anticipation au regard de sa lecture. L’anticipation constitue pourtant un élément important de la lecture littéraire. En effet, W. Iser comme H.R. Jauss évoquent à plusieurs reprises la question des horizons d'attente programmés par le texte dans sa production, mais aussi par le lecteur au moment de sa réception. Ils montrent que

cette dimension de la lecture est essentielle à la mise en œuvre d’une actualisation du

texte. Dès lors, il faut s'interroger sur la manière dont cette anticipation peut se construire. Les deux chercheurs formulent des positions identiques, même si la dimension que recouvre cette notion est différente. Pour H. R. Jauss, le rapport historique et culturel au texte se construit essentiellement à partir du réseau de connaissances, empiriques ou livresques, que le lecteur mobilise dans son activité. C'est donc la structuration de sa culture qui lui permet d'accéder au sens des textes. Pour W. Iser, le réseau de références du lecteur favorise la coopération interprétative dans la mesure où le lecteur s'approprie plus aisément les codes du texte. Loin de s'opposer, ces approches sont complémentaires. En effet, dans les deux cas, elles nécessitent un investissement culturel, intellectuel qui prend appui sur la structuration des connaissances et leur mémorisation.

On constate donc que les théories du texte imposent de construire une réflexion, d'une part sur la représentation-même de l’activité du lecteur, mais aussi

sur les moyens qu'il faut mobiliser pour former un lecteur de la littérature.

Ces positions ont donc des conséquences sur l'organisation des lectures littéraires. En effet, pour structurer les connaissances sur les codes et le fonctionnement des textes nécessaires à leur compréhension et à leur interprétation, il faut aménager les lectures, les programmer en fonction des objectifs poursuivis. La lecture littéraire postule aussi que le lecteur parvienne à formuler des attentes de lecture au regard de l'univers de référence du texte et de les réviser au cours de sa

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lecture. On s'interrogera donc sur les moyens à mettre en œuvre pour acquérir ces savoirs et les mémoriser, pour construire ces compétences spécifiques et les employer.

Les travaux analysés ci-dessus sont essentiels car ils mettent en évidence des

compétences et des processus spécifiques à la lecture littéraire que l’on ne retrouve pas nécessairement dans les autres formes que peut prendre la lecture.

Par ailleurs, Ces théories intéressent la didacticienne que je suis dans la

mesure où elles postulent, d’une part que le lecteur sollicite son imagination quand il lit, d’autre part que toute lecture littéraire est interprétative. En effet, un lecteur de la littérature, a priori, ne se contente pas de décrypter une signification, il traque les

blancs du texte pour les combler, tout en les confrontant à la matérialité de l’écriture, car le comblement ne peut, en aucun cas, être considéré, dans cette perspective comme une pure invention : c’est une création qui prend en compte les possibles

imposés par la lettre du texte. Néanmoins, ces positions bouleversent la représentation traditionnelle de la lecture - et surtout de son apprentissage - en montrant que la lecture littéraire peut difficilement être une extension de la lecture,

telle que je l’ai définie dans mon premier chapitre, prise dans la continuité d’un

apprentissage de base. Elle implique une conception différente de l’acte de lire lui -même, qui installe le lecteur et la relation construite au texte au centre du dispositif.

Pourtant, l’apprentissage de la lecture aujourd’hui, s’interroge d’abord sur la

nature du texte pris comme objet linguistique, moins que sur l’acte de lecture lui -même. Pour faire évoluer les pratiques il faut donc interroger aussi les modèles de conceptualisation du lecteur.