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Littératie et littérature : quelles relations ?

2. Devenir lettré : une nécessité ?

2.3. La littératie en question

2.3.3. Littératie et littérature : quelles relations ?

Cependant, cette extension importante des champs de recherche par le concept de littératie ne risque-t-elle pas de réduire les spécificités de la lecture

littéraire à la lecture d’un corpus plus ou moins bien défini mais appelé littérature. La réflexion didactique est-elle donc réellement stimulée par l’utilisation d’un terme

emprunté à la culture anglo-saxonne ? Au contraire, à force d’élargir le champ d’intervention de la notion de littératie, ne risque-t-on pas de perdre de vue la (les)

spécificité(s) didactique(s) de l’acculturation littéraire ?

2.3.3.1. La littératie : une notion qui se veut englobante

En effet, on voit apparaître l’idée que la maîtrise de l’écrit (et donc de la

lecture) repose essentiellement sur des compétences à développer (maîtrise linguistique et métalinguistique / développement cognitif / insertion sociale ou culturelle). Dans le même temps, les chercheurs qui tentent d’éclairer cette notion s’intéressent à la manière dont un processus se développe, pour permettre une

évolution socioculturelle. Certains chercheurs133 se demandent comment l’école peut adapter ses objectifs d’enseignement pour répondre aux besoins sociaux et

professionnels du monde moderne, d’autres134 s’interrogent sur la manière dont s’installent compréhension et interprétation.

Pour Francis Grossmann, la question du lien entre l’appropriation progressive

du système symbolique de l’écriture et la capacité d’interprétation des textes, reste

centrale. Pourtant, par ailleurs, les différentes définitions proposées pour cette notion ne semblent pas toujours prendre en compte « la littérature » comme concept spécifique et ne définissent pas de compétences particulières pour l’accès des élèves

à celle-ci. Il s’agit donc d’élargir la notion de littérature à l’ensemble du lire/écrire, lui déniant ainsi certaines spécificités qu’il m’appartiendra de définir ci-après.

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Comme par exemple Christine BARRE DE MINIAC. 134

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Jean-Pierre Jaffré, dans son analyse visant à justifier l’intérêt d’une terminologie nouvelle, ne s’interroge pas sur les spécificités culturelles de l’accès au

lire-écrire. Pour théoriser la notion, il s’appuie, à l’instar de Christine Barré de

Miniac, sur une pluridisciplinarité englobant les champs linguistique, sociologique et

psychologique. Si le texte littéraire est évoqué, c’est uniquement dans une

perspective utilitariste, qui prend en compte une dimension sémiotique mais qui ne semble pas analyser les divers ancrages culturels. J. Fijalkow (et al.)135, dans une

communication visant à mettre l’accent sur les liens entre littératie et culture écrite, ne dissocie pas le texte littéraire, comme support à l’apprentissage de la lecture, des

autres écrits « sociaux ». En effet, ce chercheur observe l’influence des choix didactiques sur l’apprentissage de la lecture dans une expérimentation conduite dans différents cours préparatoires. L’article s’intéresse essentiellement au choix des supports d’apprentissage pour observer l’efficience de l’apprentissage du code. Quatre conceptions de l’apprentissage définissant une typologie des corpus possibles

sont mises en évidence :

- un choix didactique « mettant l’accent sur le son ». Les textes sont donc conçus uniquement pour nourrir cet objectif d’apprentissage ;

- un choix didactique « mettant l’accent sur le sens » - le corpus de textes

présentés consiste en un ensemble d’écrits courts, comprenant « des phrases ou du texte ». Ces corpus privilégient la réalisation d’ « acquisitions globales » de mots que les élèves vont reconnaître ou comprendre, puis mémoriser.

- un choix didactique permettant « [d’]entrer dans l’écrit ou [d’]entrer dans la

langue écrite ». On assiste, ici, à un élargissement de la conception du lire – écrire « relatif à la fois à l’objet à apprendre et à l’activité à maîtriser». Il s’agit donc d’enseigner à la fois la lecture et l’écriture en confrontant l’enfant à des « écrits complets ». Dès lors, les unités de référence proposées aux élèves s’étendent à la

phrase et au texte pris comme objet linguistique complexe englobant des dimensions phonologique, morphologique, syntaxique et sémantique ;

- le quatrième choix didactique vise une « entrée dans la culture écrite ».

L’élargissement évoqué précédemment s’étend àl’usage social et culturel des écrits.

« L’unité privilégiée est à concevoir plutôt comme une œuvre », c'est-à-dire qu’on ne

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FIJALKOW, Jacques, FIJALKOW, Yona, PASA, Laurence, « Littératie et culture de l’écrit », in BARRE DE MINIAC, Christine, BRISSAUD, Catherine, RISPAIL, Marielle, La littéracie : conceptions théoriques et pratiques d’enseignement, op.cit., p. 53-68.

Université Joseph Fourier / Université Pierre Mendès France /

sépare pas la dimension langagière de la pragmatique. Il faut conduire l’enfant à

percevoir la fonction et les usages sociaux de l’écrit. Ici, les corpus privilégiés intégreront des œuvres littéraires pour la jeunesse aux côtés d’autres écrits sociaux.

Jacques Fijalkow (et al.) montre alors que ce dernier choix présente un intérêt

majeur, puisque l’expérimentation conduite permet de mettre en évidence de plus grandes habiletés dans les classes qui apprennent à lire avec ce type de corpus. Il

appuie sa réflexion sur le lien qui, dans l’apprentissage, est établi entre les habiletés

techniques et les usages sociaux de la langue. On peut noter tout de même que les

auteurs de l’article n’évoquent pas – au sein de ces usages sociaux - la spécificité de

l’œuvre littéraire.

2.3.3.2. Situer la littérature dans cette réflexion

Il est donc essentiel que les littéraires interrogent à leur tour le rapport que

l’on peut établir entre les différentes définitions du sujet dit : illettré, lettré, voire

litterate (c'est-à-dire ayant accédé à un certain niveau de littératie) au regard des recherches dans ce domaine, pour mieux cerner les relations entretenues par ces deux

concepts et définir les compétences spécifiques pour l’accès à la littérature. Il s’agit

donc, de se demander si « la manière dont on peut entrer en littérature », vient

compléter ou préciser le concept de littératie comme semble vouloir l’affirmer Francis Grossmann ou si, au contraire, elle le reformule dans un champ plus spécifique.

Pour cela, il est nécessaire, dans un premier temps, de définir ce que représente la « culture lettrée » et les spécificités de la littérature, comme je viens de

le faire pour la littératie. Puis en second lieu, il convient d’interroger les liens

possibles entre enseignement littéraire et apprentissage de la lecture pour permettre par la dimension exploratoire de ma recherche, de mieux comprendre comment peuvent se heurter, se côtoyer, s’associer, s’articuler, se prolonger l’apprentissage

littéraire, la construction du sujet lecteur et la formation au lire-écrire. La littérature reste, pour F. Grossmann, un support important y compris durant cette phase

d’apprentissage premier. Néanmoins, il m’appartiendra de montrer, qu’elle ne peut

pas être uniquement considérée comme un support de lecture permettant de définir

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d’enseignement spécifique, qui dès lors, dépasse largement le cadre imparti aux recherches dans le domaine de la littératie.

Mon propos n’est donc pas d’apporter une contribution supplémentaire à ces recherches, mais plutôt d’en dégager certains habitus qui me permettront de mieux saisir comment nos élèves construisent leurs compétences de lecteurs/scripteurs au cours de leur scolarité et comment la lecture littéraire peut institutionnellement se situer dans un cadre scolaire qui, dans le premier degré, semble encore actuellement

plutôt tourné vers la notion de littératie que vers celle de la littérature. Il s’agit aussi de montrer aussi comment l’enseignement littéraire dans le cadre de l’apprentissage de la lecture permet d’envisager un rapport plus ouvert à cette activité, dépassant le cadre utilitariste et instaurant des processus affectifs et symboliques décrit par V. Jouve136 que les recherches sur la littératie passent sous silence. La littérature impose une forme de lecture particulièrement élaborée qui engage totalement le lecteur et ne requiert pas que des habiletés techniques comme je le montrerai ci-après. Dès lors, son enseignement permet de former un lecteur plus complet et peut-être aussi de

lutter ainsi contre l’illettrisme en interrogeant plutôt le sujet en rupture d’apprentissage que les compétences techniques de l’apprenant en difficulté.