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Une première génération de travaux sectoriels de la régulation : de la TR1 à la TR2

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 79-82)

Régime international

1.2. De l’étude des régimes macroéconomiques à l’analyse des secteurs

1.2.3. Une première génération de travaux sectoriels de la régulation : de la TR1 à la TR2

L’affirmation de la pertinence de l’étude des secteurs, ainsi que les fondements sectoriels de la TR qui se sont développés parallèlement ont donné lieu à plusieurs travaux empiriques précurseurs dans les années 1990. Leur objectif est précisément d’explorer des secteurs dans lesquels la dynamique de la productivité n’est pas fordiste. Furent notamment édifiés des études de cas sur le Bâtiment et Travaux Publics (BTP) ainsi que sur la pétrochimie (du Tertre, 1989), sans oublier les télécommunications (Bodet & Lamarche, 1995 ; Lamarche, 1993). Au-delà de proposer une analyse sectorielle approfondie, chacune de ces études souligne les interdépendances qui peuvent exister entre les secteurs et dont il faut tenir compte. Par exemple, si le secteur du BTP repose sur des logiques lui étant spécifiques, il ne peut être nié « le rôle productif qu’il joue pour les autres secteurs » (Lamarche & al., 2015, p. 11), notamment en fournissant des routes aux automobiles, et le caractère structurant que peuvent avoir ces relations sur lui. De ce fait, il est inévitable que l’analyse sectorielle intègre l’étude de l’encastrement des secteurs, i.e. l’intersectoriel. Toutefois, force est de reconnaître que les travaux qui ont dynamisé l’analyse sectorielle en termes de régulation dans les années 1990 se sont essentiellement concentrés sur l’étude de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Tel a été le cas des précurseurs P. Bartoli et D. Boulet (1990). Ils ont établi une étude de cas à partir de la viticulture, aussi dans l’optique de tester leur méthodologie. Ils mettent en évidence que deux régimes économiques de fonctionnement caractérisent la vitiviniculture. Ils sont fondés sur des logiques économiques contrastées qui se sont construites progressivement. Ces auteurs mettent alors en exergue un dualisme entre le mode de régulation sectoriel des vins d’appellations contrôlées (ou vins de luxe, ou encore vins fins) et le mode de régulation sectoriel des vins courants (ou vins ordinaires), qui sont tous deux construits sur des logiques d’accumulation différentes. Dans le secteur vitivinicole, coexistent donc deux sous-ensembles ou sous-secteurs en tant que configurations différentes qui combinent spécifiquement les logiques de production, de consommation et d’échange. Ce dualisme s’explique par les stratégies d’une multitude d’acteurs collectifs. Il ne résulte pas simplement des goûts différenciés des acheteurs selon leur catégorie sociale. Le régime économique de fonctionnement du secteur des vins fins est largement autonome et original. Il dépend indirectement du mode de régulation globale aussi bien en termes de hiérarchie des revenus, en termes d’évolution générale du mode de vie, ou encore en termes des conditions générales de crédit et de fiscalité (Boyer, 1990). Le dispositif institutionnel de la sphère des vins fins est défini au travers du système des appellations d’origine contrôlée (AOC). L’AOC traduit des rentes de rareté qui sont maintenues par l’adoption de règlementations et de procédures qui régissent la qualité, les méthodes de vinification, les droits à la production et l’organisation des circuits de distribution. Ainsi, une concurrence imparfaite est instituée dans laquelle des associations de producteurs favorisent l’extraction durable d’une rente de monopole, cette dernière étant basée sur la préservation d’une image de marque. Il y a donc une particularité du secteur des vins de luxe qui a construit les dispositifs institutionnels nécessaires à un avantage concurrentiel de long terme (ibid.).

Plus largement, l’intérêt scientifique pour l’agriculture a été notable à cette époque (Allaire & Boyer, 1995 ; Laurent, 1992 ; Nieddu, 1998). Les auteurs étudient plus spécifiquement la dynamique agricole dans la période de forte croissance d’après-guerre. Ils distinguent tout d’abord un process de travail productiviste dans lequel le travail est spécialisé et simplifié. La production et la qualité des produits répondent à des normes techniques et économiques standardisées. Ils constatent ensuite que l’accumulation du capital y est intensive. Puis, ils soulignent que la formation du revenu agricole est cogérée par l’État et par la profession via le Fonds d’Orientation et de Régularisation des Marchés Agricoles (FORMA) et la politique européenne (politique agricole commune). Enfin, ils expliquent que

la consommation des ménages agricoles a progressé. Le revenu disponible est élevé et les agriculteurs se sont intégrés aux normes fordistes de consommation des salariés. La spécificité sectorielle de l’autoconsommation, la spécificité de la forte concurrence existante entre les besoins de consommation de la famille et les investissements que nécessitent l’exploitation, et la logique patrimoniale de la production (rachat de la terre entre générations) apparaissent néanmoins. En définitive, l’organisation technique, économique et sociale de la production, que mettent en exergue le process de travail et l’accumulation du capital, est similaire à celle du fordisme. A contrario, les formes de la concurrence et les formes d’organisation des marchés mettent en évidence une spécificité du secteur. Ce dernier est fortement soutenu par la sphère publique qui profite alors aux agriculteurs en termes de revenus et de consommation, ainsi qu’aux industries agroalimentaires via l’achat de produits primaires. De ce fait, la régulation du secteur repose sur l’institutionnalisation des relations entre l’État et la profession agricole. Le compromis productiviste entre ces deux parties qui s’est constitué dans les années 1960 marque les liens entre le niveau proprement macroéconomique et le secteur. Il s’agit d’un contrat social sectoriel qui repose sur la contribution de l’agriculture à la croissance économique globale. L’agriculture dispose ainsi de budgets élevés grâce au financement public. Progressivement, les agriculteurs accèdent à des revenus comparables à ceux des autres catégories professionnelles. Par ailleurs, si ces auteurs cherchent à identifier et à comprendre les logiques de fonctionnement de l’agriculture dans le régime d’accumulation fordiste, c’est aussi dans l’optique d’en déterminer les processus de changement d’après-fordisme. Ils s’interrogent alors sur les possibles mutations du secteur agricole dans une période de crise et dans un système capitaliste en pleine transformation.

Le développement des études sectorielles d’inspiration régulationniste et l’affirmation de leur pertinence ont conduit à une évolution, voire à une remise en cause de certains fondamentaux de la TR telle qu’elle s’était construite à l’origine. Une « nouvelle version » de la TR s’est développée sous le nom de « TR 2 ». Elle s’appuie sur les fondements de la TR originelle, appelée « TR 1 » (Lung, 2008). Cette dernière mettait au centre de son analyse la « diversité diachronique » (ibid.) du système économique, qui stipule que les régimes économiques s’enchaînent un à un dans le temps et ne peuvent ainsi coexister dans une même période. Il peut ainsi être reconnu une variété de régimes économiques dans l’histoire des sociétés en vertu de phases historiques bien identifiées, les régimes économiques se succédant les uns aux autres. Autrement dit, l’économie est évolutive dans le temps, ce qui implique de

la restituer continuellement dans une période donnée afin d’en comprendre précisément les ressorts. D’où une périodisation qui est essentielle dans la méthode employée par les économistes régulationnistes. Chaque phase historique se caractérise par un régime économique dominant (et inversement) qui structure naturellement les secteurs d’activité. La TR2 telle qu’elle apparaît et se construit progressivement à partir des années 1990 abandonne cette perspective fonctionnaliste des secteurs. Si elle ne rompt pas avec la diversité diachronique évoquée ci-dessus, puisqu’à un mode de production ou à un régime d’accumulation correspond une période historique bien précise, les secteurs ne correspondent pas mécaniquement aux caractéristiques du régime en vigueur. L’ambition de la TR2 est donc de rendre compte des spécificités sectorielles et de les discuter au prisme du régime en vigueur, en se focalisant plus particulièrement sur l’analyse du régime post-fordiste (Montalban, 2007).

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 79-82)

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