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Le football professionnel en Europe : un secteur ?

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 114-118)

Régime international

2.1. Le football comme construit historique et social : du football professionnel au football européen

2.1.4. Le football professionnel en Europe : un secteur ?

Tant dans sa conception usuelle en économie que dans la conception régulationniste du terme, le football professionnel européen ne constitue pas un secteur à part entière. Si un

tel postulat est complexe (Andreff, 1975 ; Gillard, 1970)91, l’étude du football professionnel en Europe dans le temps long que nous venons d’esquisser, en tant que première étape méthodologique de la méso-analyse régulationniste, nous permet néanmoins d’en révéler des traits de secteur. Ainsi, un processus de sectorisation témoigne de l’unité du football professionnel européen en tant que système indépendant qui produit une dynamique économique lui étant spécifique. Cette logique endogène résulte d’une construction historique (Laurent & al., 2008a) et sociale (du Tertre, 2002 ; Gilly & Lung, 2008) qui est fondamentale dans le processus de sectorisation (Boyer, 1990). Le football professionnel en Europe constitue un système intermédiaire au sens de sous-ensemble qui répond à des logiques lui étant propres. Il peut-être valablement reconnu comme un espace méso ouvrant légitimement à la méso-analyse. En effet, le football professionnel européen est un espace de concurrence interne organisé. Aux compétitions nationales, qui sont aux origines mêmes du football professionnel, se sont rapidement greffées les compétitions européennes, dont l’importance n’a cessé de croître pour l’ensemble des acteurs du football : clubs, joueurs, sponsors, télévisions et spectateurs. L’analyse historique de la construction du football jusqu’à sa configuration actuelle souligne par ailleurs que le football professionnel européen constitue un groupe social organisé. Des groupes d’acteurs s’y confrontent afin de défendre leurs propres intérêts au travers de corporations : syndicat des joueurs, associations de clubs, associations des ligues européennes, etc. Les mutations du football peuvent ainsi être restituées et comprises au prisme des évolutions de ce groupe social, dont la structure fluctue au gré des intérêts divergents, puis convergents des acteurs qui le composent. Conformément à la tradition analytique de la TR, l’étude du football nécessite de dépasser la seule investigation des échanges marchands. Le football véhicule du contenu social auquel il convient de s’intéresser. Il est alors « an institutionalised social relation » (Taylor, 1984, p. 13), chaque club représentant « a particular set of social relations » (ibid., p. 10). De ce point de vue, le football professionnel européen dans sa forme actuelle ne peut être compris qu’au regard des tensions entre acteurs qu’il a suscité, quelle que soit la nature et l’origine des conflits : patronat versus classe ouvrière ; sport amateur versus sport professionnel ; valeurs coubertiennes versus valeurs marchandes ; territoire local, national ou supranational ; partage des revenus entre acteurs (notamment entre clubs et joueurs) ; etc. Ce sont aussi les processus de résolution des conflits entre acteurs qui sont constitutifs des frontières du football professionnel. Il est donc bien un espace de différenciations économiques et sociales.

                                                                                                               

91 W. Andreff (1988a) note par exemple dès 1988 que le sport, en général, et pas le seul football, « est devenu un secteur économique significatif » (p. 5).

Si la dynamique du football professionnel en Europe repose sur des ressorts qui lui sont spécifiques, la construction historique du football professionnel nous apprend par ailleurs qu’il ne peut être pensé sans se poser la question du contexte macroéconomique dans lequel il émerge. En effet, tout comme le capitalisme, le football professionnel s’est étendu de son épicentre originel, l’Angleterre, vers les autres pays européens puis vers les pays du monde entier. Mais plus encore, l’évolution du fonctionnement et de l’organisation du football professionnel européen s’est toujours faite en réaction à des problématiques d’ordre macroéconomique.

D’une part, le football, comme d’autres sports, a été marqué par les progrès technologiques, et plus précisément par leurs effets sur les médias. En effet, le développement de l’industrie des médias a généré un « cycle d’expansion » (Schultz, 2012)92 pour le sport. Les médias (la presse, le télégraphe, la radio, puis la télévision) ont entraîné des phénomènes de « fidélisation » du public à des périodes historiques différentes. Par conséquent, la couverture médiatique du spectacle sportif est fondamentale dans son développement. Ces différents types de couverture médiatique ont engendré des hausses répétées d’intérêts, d’affluence (et d’audience), et donc de revenus. Plus précisément, les progrès technologiques ont permis une évolution de la couverture médiatique des évènements sportifs, stimulant sans cesse l’intérêt des (nouveaux) fans et des (nouveaux) partenaires des sports concernés, jouant à la hausse sur leurs revenus. D’où la constitution d’un cycle d’expansion.

D’autre part, les clubs de football ont joué un rôle instrumental pour des acteurs extérieurs à la sphère sportive en quête de réponses stratégiques à des difficultés essentiellement productives. Tout au long de son existence, le football professionnel fut instrumentalisé par des intérêts capitalistes désireux d’en tirer une rentabilité quelle qu’elle soit.

Dans sa première phase historique, le football a été influencé par le régime d’accumulation extensive du capitalisme qui a perduré jusqu’à l’entre-deux-guerres, et qui se caractérisait « par une faible intervention de l’État, une concurrence au niveau d’entreprises familiales, des salaires bas, un cadre national de fonctionnement » (Gouguet & Primault, 2004a, p. 116). Des entreprises locales et paternalistes ont instauré des politiques de gestion de l’incertitude sur la main d’œuvre afin de retrouver des niveaux de production acceptables. Les clubs ont été des instruments privilégiés dans la poursuite de cette stratégie puisqu’ils ont                                                                                                                

permis d’associer les ouvriers aux valeurs de l’effort sportif et au divertissement proposé par le football. Ces derniers ont vu leur offre quantitative et qualitative de loisirs s’élargir dans un contexte d’intensification des conditions de travail. Dès lors, patronat et monde ouvrier y trouvent leur intérêts respectifs : « At a time of rapid economic expansion and social tension,

the club was a symbol of the common interest of a particular locality » (Taylor, 1984, p. 10).

La deuxième phase historique mise en exergue illustre l’effet du régime d’accumulation intensive, i.e. du fordisme, sur le football. Comme nous l’avons vu, ce régime se caractérise notamment par« une production et une consommation de masse soutenues par l’État et dans un contexte de plus en plus international » (Gouguet & Primault, 2004a, p. 116). Les principes de l’économie de marché se diffusent au football, accélérant nettement son processus de marchandisation. Progressivement, les problèmes de débouchés à la production de masse, s’expliquant notamment dès la fin des années 1960 par le fléchissement de la croissance de l’emploi, appellent à de nouvelles stratégies managériales. À nouveau, le football va se présenter comme un support idéal. Afin de gérer l’incertitude sur le marché des biens et des services, de nombreuses entreprises vont utiliser les clubs comme vecteur communicationnel de leur marque. L’idée est de générer de nouveaux débouchés. Les deux premières périodes témoignent de l’influence du capitalisme dit « industriel » sur le football. Cette forme du capitalisme est à l’origine de sa professionnalisation puis de son intégration progressive à l’économie de marché.

Enfin, la troisième phase historique du football professionnel est celle durant laquelle il est influencé par un régime d’accumulation flexible « marquée par la globalisation et la financiarisation de l’économie et un retour à la régulation par le marché » (ibid., p. 116). De nouvelles techniques économiques et financières sont utilisées dans le football et elles favorisent une forme de déterritorialisation. Dans le même temps, la gestion des clubs tend à se professionnaliser davantage. Les flux financiers qui gravitent autour du football professionnel croissent alors à un rythme considérable. Le football professionnel est influencé par l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme dit « financiarisé ».

La seule reconstitution historique du football professionnel, témoignage de son ancrage au système macroéconomique, pourrait évidemment conduire à en faire une lecture fonctionnaliste : « le sport professionnel ne peut (…) être autrement organisé que sur le mode capitaliste » (Bourg & Gouguet, 2007, p. 275). Toutefois, un tel raisonnement néglige les ressorts spécifiques de la dynamique mésoéconomique en place qui repose sur des logiques de fonctionnement extrêmement particulières, ce que permet de saisir la reconstitution sociale de

l’espace organisé. En tant que manifestation évolutive, il semble clair que le football a été affecté par un ensemble de transformations sociales, techniques, économiques, voire culturelles, qui en ont modifié la configuration. Parce qu’il constitue a priori un champ d’analyse mésoéconomique pertinent, le football professionnel européen appelle à l’usage de la méthode ainsi que des outils régulationnistes afin d’en rendre compte précisément. Il relève d’un construit qui nécessite une étude a posteriori (Boyer, 1990). Dans cette perspective, la priorité est l’étude des dispositifs institutionnels (Gallois, 2012 ; Laurent & al., 2008a), deuxième étape méthodologique de la méso-analyse régulationniste.

2.2. De l’identification de dispositifs institutionnels à la reconnaissance d’un

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