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La relation salariale

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 125-130)

Régime international

2.2.3. La relation salariale

La période de l’industrialisation du football en Europe est marquée par la forte spécificité de sa relation salariale (encadré 6). L’histoire de la relation salariale dans le football professionnel européen est « a long-standing struggle waged over the issues of human rights, employment law, international sporting regulations and the realities of a footballer’s career » (Lanfranchi & Taylor, 2004, p. 98). Un système de transferts a été instauré en Angleterre dès la fin du XIXe siècle, système qui s’est par la suite lentement développé à partir des années 1920. Le transfert est la première caractéristique, et certainement la plus essentielle, qui fonde la spécificité de la relation salariale dans le football. En effet, la mutation d’un joueur d’un club à un autre implique le versement d’une somme d’argent du club acquéreur vers le club vendeur appelée « indemnités de transfert » (Gouguet & Primault, 2004a). Malgré le développement de ce système de transfert dans le football professionnel européen, la mobilité des joueurs restait peu intense, à la fois en raison du faible volume quantitatif de clubs professionnels et de la forte réglementation sur les

mutations de joueurs, et surtout du fait de l’existence formelle ou informelle de contrats dits « à vie » (Wahl & Lanfranchi, 1995).

Encadré 6 – Le concept de relation salariale

Le rapport salarial est une forme institutionnelle centrale dans les développements macroéconomiques de la TR, comme le soulignent plus particulièrement les travaux qui visent à rendre compte du régime d’accumulation fordiste. Il est un rapport social en ce sens qu’il ne peut être résumé à un rapport marchand. Dès lors, il permet d’analyser l’intégration sociale des travailleurs au sein de l’activité de production capitaliste dans une période bien précise de son évolution.

La caractérisation d’un rapport salarial associé à un régime d’accumulation et donnant ainsi lieu à un mode de régulation ne témoigne pas pour autant d’une homogénéisation des relations entre salariés et employeurs. En effet, le rapport salarial s’exprime et se déploie différemment selon les secteurs, et plus largement selon les espaces méso, chacun d’entre eux donnant lieu à une relation salariale spécifique.

La notion de relation salariale est donc une « projection » de celle de rapport salarial « au niveau et dans les catégories qui ont un sens pour les acteurs » (Boyer, 2002, p. 111). Concrètement, elle permet de rendre compte des spécificités sectorielles du rapport salarial global (Boyer & Saillard, 2002a). Ainsi, plusieurs relations salariales singulières peuvent être dégagées en fonction des modalités de fixation des salaires, des caractéristiques de l’organisation du travail, du statut des salariés, des conditions de gestion de la main d’œuvre, de la politique de recrutement ou encore du système de formation de l’espace considéré. À titre d’exemple, le régime d’accumulation intensif se définissait principalement par une relation salariale fordiste compte tenu de sa force structurante dans le secteur automobile. Cependant, d’autres configurations de la relation salariale ont été identifiées dans le régime fordiste en fonction des pays et des secteurs (Boyer, 2002).

Dans cette perspective, l’objectif de cette sous-section est d’appréhender la relation salariale dans le football professionnel en Europe dans la période de son « industrialisation ».

Conformément aux contrats à vie, le recrutement d’un joueur par un club permettait à ce dernier de jouir de l’intégralité des droits de propriété du joueur sur une durée illimitée. L’autorisation des dirigeants du club était alors la condition indispensable au départ d’un joueur sous contrat dans un autre club. Eux-seuls possédaient le choix de vendre ou non un joueur à un club de leur choix en échange d’une indemnité de transfert. En conséquence, un club avait la possibilité de conserver légalement un joueur durant toute la durée de sa carrière et contre sa volonté. La carrière sportive d’un athlète était assujettie au club détenant son contrat97. Un système de réservation similaire à celui qui existait dans les ligues sportives nord-américaines caractérisait alors la relation salariale dans le football professionnel (encadré 7), contraignant le fonctionnement concurrentiel du marché du travail. Ce dispositif a été dénommé le retain and transfer system (Frick & Simmons, 2014 ; Schotté, 2016), système international qui s’est déployé au même rythme que le développement de la FIFA.

                                                                                                               

Dans ce cadre, toute transaction entre clubs devait donner lieu à l’émission d’un certificat de transfert, ce qui n’a pas toujours été respecté.

Encadré 7 – La clause de réserve dans le système nord-américain

La clause de réserve a été instaurée pour la première fois en 1889 dans le baseball nord-américain sous l’influence des propriétaires de franchises. Ces derniers contestaient le niveau des salaires et leur position défavorable dans leurs relations aux joueurs. Le système de réserve a de fait contribué à limiter la liberté de mobilité des joueurs dans les quatre ligues majeures, et leur salaire moyen a diminué pour cette raison (Helleu, 2007). Cette clause a pris fin en 1975 en Major League Baseball (MLB), en 1983 en

National Basketball Association (NBA), en 1993 en National Hockey League (NHL), et en 1994 en

National Football League (NFL).

Cependant, elle n’a pas été totalement abolie. Un système « hybride » est dorénavant en place. La clause de réserve est ainsi opérationnelle pour tout nouveau joueur d’une ligue pendant une durée déterminée après laquelle il devient agent libre pour le reste de sa carrière sportive (free agency), ce qui signifie qu’il a la possibilité de signer un contrat avec une autre franchise de son choix. La durée de la clause de réserve est de six saisons en MLB, cinq saisons en NBA et quatre saisons en NFL ainsi qu’en NHL. Pour autant, dès son instauration, ce fonctionnement a contribué à une forte augmentation des salaires des joueurs, mis à part en NFL dans laquelle elle a été associée dès l’origine à un plafonnement salarial (salary cap).

Sous le retain and transfer system, le rapport de force entre clubs et joueurs était ainsi ouvertement à la défaveur des seconds, leur pouvoir de négociation étant limité sinon inexistant (Gouguet & Primault, 2004a), ce qui les rendait « esclaves » des clubs (Wahl & Lanfranchi, 1995). Les joueurs étaient parfois transférés suite à un accord entre deux dirigeants de club et donc au mépris de leur volonté (Schotté, 2016). Mécaniquement, les salaires des joueurs étaient peu élevés, ce qui était d’autant plus vrai en Angleterre en raison de l’existence d’un salaire maximum jusque 1961. À titre d’exemple, à cette période, les joueurs de football gagnaient entre 10 et 20 livres par semaine, soit légèrement plus que les ingénieurs qualifiés (Frick & Simmons, 2014). De surcroît, aucune convention collective ne prévoyait les conditions d’emploi et de travail, pas plus qu’une quelconque liste de garanties sociales. En conséquence, la situation financière des clubs était favorable, les clubs anglais réalisant quant à eux des profits considérables.

Au début des années 1970, sous l’impulsion de la création du syndicat des joueurs professionnels en France, les contrats dits « à temps » (Gouguet & Primault, 2004a ; Wahl & Lanfranchi, 1995) sont créés98 et ils se développent en Europe (Bourg, 1998a). Durant les                                                                                                                

98 Plus précisément, sous l’influence de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), une grève est organisée en 1972 dans le football français. Elle va aboutir à la création de la Charte du football professionnel,

premières années de son introduction, ce contrat à durée déterminé (Brocard, 2010) a peu modifié les mécanismes qui prévalaient jusque-là. Il ne peut être nié que son instauration a donné davantage de pouvoir aux joueurs dans leurs relations aux clubs. Les joueurs ont alors été en mesure de négocier des salaires plus importants et ils ont obtenu une certaine liberté contractuelle puisqu’il leur a été permis de quitter un club au terme de leur contrat99 (Wahl & Lanfranchi, 1995). Cependant, les salaires des joueurs ont connu une progression notable plus tardivement. En effet, comme nous le verrons dans le chapitre 2, c’est l’arrivée progressive de nouveaux investisseurs dans le football européen à partir du début des années 1980 qui donne de l’ampleur aux contrats à durée déterminé. Les conséquences de ces derniers seront encore plus significatives suite à l’arrêt Bosman. Avant celui-ci, la portée des contrats à temps demeurait limitée compte tenu de leurs propres restrictions100, et du fait des contraintes de nationalité qui existaient à l’époque.

Le marché du travail du football professionnel en Europe, contrairement à un ensemble d’autres secteurs à l’époque, était alors extrêmement réglementé compte tenu de la nature même des contrats de travail unissant les clubs et les joueurs. Par ailleurs, en vertu de leur compétence nationale, les instances sportives de chaque pays européens ont introduit des restrictions sur leur marché domestique. Elles ont été évolutives en ce sens que la définition même du joueur « étranger » ou du joueur « non-national » a elle-même beaucoup évolué selon les pays et en fonction de la prise en compte ou non de la communauté européenne. Dans cette perspective, l’idée est, d’une part, de préserver le marché national en limitant quantitativement le recrutement de joueurs étrangers par les clubs nationaux. Chaque ligue nationale instaure ainsi un quota de joueurs étrangers pouvant évoluer dans les plus hautes divisions nationales, certaines nations étant plus protectionnistes que d’autres. D’autre part, l’idée est aussi de limiter le départ de joueurs nationaux dans des ligues étrangères. Dans ces deux cas de figure, les joueurs ne doivent pas être assimilés à des travailleurs ordinaires, le football étant une activité économique spécifique, ce qui implique des mesures exclusives qui s’écartent de la législation en vigueur. Dès lors, des réglementations nationales hétérogènes qui contraignent la liberté de mouvement des joueurs sur le marché du travail du football peuvent être identifiées malgré les impératifs du Traité de Rome de 1957 en termes de libre circulation de la main d’œuvre au sein de la Communauté économique européenne (CEE)                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           qui va notamment instituer le contrat à temps apparu en 1969 et lui donner une épaisseur réglementaire (Wahl & Lanfranchi, 1995).

99 Il s’agit de la free agency (encadré 7).

(Lanfranchi & Taylor, 2004). Par exemple, au début des années 1980, les clubs belges pouvaient recruter trois joueurs étrangers, tout comme les clubs hollandais, en plus de tout joueur étranger ayant évolué durant cinq années en Belgique. En Angleterre, en Écosse, en France, en Allemagne, en Grèce101, en Espagne ainsi qu’au Portugal, les clubs étaient quant à eux en mesure d’engager deux joueurs étrangers. Ajoutons qu’en Allemagne, les joueurs étrangers formés dans les clubs du pays n’étaient pas inclus dans ces quotas, et ils étaient en cela assimilés à des joueurs nationaux. Dans le cas espagnol, s’est cumulé à ce quota la possibilité pour les clubs de première et deuxième division de recruter un joueur étranger qui n’avait jamais été sélectionné dans l’équipe de son pays natal, appelé oriundi. Enfin, en Italie, seuls les clubs de première division pouvaient recruter un joueur étranger. Si nous venons de retranscrire les restrictions nationales de mobilité telles qu’elles existaient au début des années 1980, il est important de préciser qu’elles ne cessaient d’être changeantes. Pour prendre l’exemple italien, les clubs avaient l’interdiction d’embaucher des étrangers avant cette possibilité ouverte en 1980. Puis le processus engagé a été croissant puisque le quota est passé à deux joueurs étrangers en 1982, puis trois en 1989. Du côté des restrictions sur les départs de joueurs, l’URSS, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, l’Albanie, la Pologne ou encore la République Démocratique Allemande ont longtemps interdit aux joueurs nationaux de rejoindre des clubs étrangers sauf quelques rares exceptions : Anatoly Sinchenko en 1980, Zbigniew Boniek’s en 1982 voire encore Alexander Zavarov en 1988 (Lanfranchi & Taylor, 2004).

Ce pluralisme réglementaire régissant la mobilité des joueurs professionnels de football en Europe, sous l’affirmation de sa spécificité sportive en comparaison de tout autre secteur, a conduit les instances communautaires européennes à réagir. L’objectif a été de discuter de cette exception sportive, mais aussi et surtout d’établir une règle homogène à l’échelle européenne en matière de mobilité des joueurs. C’est ainsi qu’un compromis informel entre la Commission européenne et l’UEFA fut établi en 1991, qui aboutit à la règle du « 3+2 » fixant les nouveaux quotas de tous les clubs européens. Conformément à cette réglementation, un club résident d’une fédération membre de l’UEFA pouvait aligner à chaque rencontre trois joueurs étrangers et deux joueurs étrangers ayant joué au moins trois ans dans les équipes de jeunes du club concerné. Trois éléments ont justifié l’adoption de ce système (Frick & Simmons, 2014) : (a) l’amélioration de l’équilibre compétitif (encadré 8),                                                                                                                

101 Dans le cas grec, cela ne concerne que la première division, les clubs de seconde division ne pouvant recruter aucun joueur étranger (Lanfranchi & Taylor, 2004).

i.e. améliorer l’égalité des chances de réussite sportive entre les clubs européens plus particulièrement dans les compétitions interclubs ; (b) la promotion des jeunes joueurs et de la formation ; (c) la conservation d’un attachement des spectateurs aux joueurs nationaux.

Encadré 8 – Le concept d’équilibre compétitif

La théorie standard postule que l’incertitude du résultat (Rottenberg, 1956), fonction des forces sportives en présence, s’exprime dans l’équilibre compétitif. L’équilibre compétitif rend compte de la quantité de talent sportif dont dispose chaque équipe d’une compétition sportive. Il est ainsi un indicateur statistique de la concurrence sportive dans une compétition donnée (El Hodiri & Quirk, 1971 ; Neale, 1964), le postulat de base étant que la demande du public tend à augmenter dès lors que la compétition se rapproche de l’équilibre. En effet, les rencontres sportives équilibrées, i.e. dans lesquelles s’opposent des forces sportives égales, sont censées attirer davantage les spectateurs. Par conséquent, la recherche d’un équilibre compétitif entraîne une augmentation des revenus collectifs de la ligue.

L’équilibre compétitif est couramment calculé à partir de l’issue des matchs, en cours de saison ou au terme d’une saison (Scelles & Durand, 2012), voire à travers plusieurs saisons (Sloane, 2015). Mais la mesure de l’équilibre compétitif omet un certain nombre de variables qui peuvent influencer l’incertitude durant un match : motivation des équipes, composition tactique, classement au moment de la rencontre et enjeu de la rencontre (relégation, promotion, qualification). De même, il semble que l’équilibre compétitif ne soit pas toujours une mesure pertinente de l’attractivité d’un match. En ce sens, si un match nul et vierge est synonyme d’équilibre compétitif, il n’est pas nécessairement attractif pour les spectateurs. En dépit de ces limites, l’équilibre compétitif demeure néanmoins un indicateur utilisé et marquant une certaine forme de pertinence. Toutefois, la mesure de l’incertitude intra-match lui est de plus en plus substituée. Elle permet de restituer l’intensité compétitive d’une rencontre (Scelles & Durand, 2010).

2.2.4. Le régime économique de fonctionnement industriel du football

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 125-130)

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