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Le développement d’une stratégie commerciale internationale axée sur le marketing

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 195-200)

Régime économique de

Chapitre 2 - Du nouveau régime d’accumulation aux mutations du régime économique de fonctionnement du football professionnel en Europe économique de fonctionnement du football professionnel en Europe

2. L’adaptation des acteurs traditionnels du football à la financiarisation

2.2. La maximisation des ressources des clubs

2.2.2. Le développement d’une stratégie commerciale internationale axée sur le marketing

Les clubs : des entreprises de l’Entertainment

Les politiques de recrutement que développent les clubs et qui constituent leur premier levier stratégique sont indicatives de deux éléments fondamentaux. Tout d’abord, les clubs considèrent dorénavant les supporters de football comme de véritables consommateurs. En effet, au-delà des revenus générés par les droits d’entrée au stade, les clubs ont progressivement exploité la vente de produits dérivés comme une nouvelle source de financement. Le merchandising a donc connu un essor notable dans le football dans les années 1990189. Se révèle sur ce point un effet direct de la professionnalisation de la gestion des clubs engagée par les nouveaux actionnaires du football (Andreff & Staudohar, 2000 ; Mignon, 2002). Cette dernière a progressivement été confiée à des dirigeants d’entreprise qui avaient déjà occupé cette fonction dans d’autres secteurs d’activité. À titre d’exemple, le Real Madrid a embauché José Angel Sanchez en 2000, un des experts marketing de la société japonaise de jeux vidéo Sega. De même, l’OL a recruté en 2010 comme Directeur général l’ancien vice-Président d’Electronics Arts Philippe Sauze. Ainsi, sur le modèle étasunien, la                                                                                                                

188 À titre d’exemple, la stratégie développée par les actionnaires qataris n’aurait certainement pas eu le même retentissement sans les recrutements de Zlatan Ibrahimovic et de David Beckham.

189 D’autant plus que les pratiques des consommateurs tendent à « s’européaniser » au sein du continent. Les supporters de football ne sont plus mécaniquement et uniquement attirés par une équipe locale par le biais d’un sentiment d’appartenance. Dorénavant, les individus peuvent s’identifier à plusieurs clubs nationaux, voire étrangers. Supporter un club répond alors à une logique émotionnelle basée sur un sentiment « d’identification extraterritoriale » (Lestrelin, 2014). Ce type d’identification est souvent favorisé par l’accumulation de bons résultats sportifs. Cela explique que les plus grands clubs européens disposent de fans dans l’Europe entière et à travers le monde.

structure des clubs évolue : « Les clubs se dotent de départements juridiques, financiers, marketing, et les professionnels du management concurrencent les dirigeants bénévoles. » (Mignon, 2002, p. 92). Les nouveaux dirigeants des clubs ont plus particulièrement misé sur la division marketing. Ils ont alors enrôlé des professionnels du marketing qui ont été débauchés dans d’autres secteurs.

Dans cette perspective, il s’agit de développer le club en tant que marque, et de proposer un ensemble de produits directement associés à cette marque. Comme nous l’avons vu ci-dessus, la présence de joueurs stars ou de joueurs non-européens contribue à dynamiser les ventes190. L’objectif du merchandising est de développer les produits classiques du football, type équipements, vêtements et accessoires sportifs (gamme « match » développé en partenariat avec les équipementiers), mais aussi et surtout d’élargir la gamme des produits proposés : tasses, verres, sous-vêtements, téléphonie, vêtements et jouets pour enfants, aliments, casques audio, briquets, alcool, produits électroménagers, outils informatiques, parfums, accessoires pour animaux, etc. Beaucoup de clubs externalisent le merchandising ce qui signifie qu’ils font appel à des entreprises (ou que les entreprises font appel aux clubs) qui commercialiseront la marque du club par le biais de leur propre produit (on parle de

licensing). À terme, chacune des deux parties perçoit un pourcentage des ventes totales. A contrario, quelques clubs, à l’image de l’OL en France, gèrent le merchandising de la conception à la commercialisation des produits. Plus encore, l’idée est de faire du spectacle sportif un divertissement à part entière.

Ainsi, les clubs ont mis en place un certain nombre d’animations (shows d’avant match, animations à la mi-temps, écrans géants, distribution de matériel et d’accessoires en amont du match pour des animations et pour l’ambiance durant le match, etc.) dont l’objectif est de renforcer le spectacle sportif et le spectacle sportif télévisé191. Par ailleurs, un ensemble de méthodes a été déployé afin de d’identifier, de séduire, puis de fidéliser les supporters. La                                                                                                                

190 Guillaume Bertel, ancien responsable de la communication du club du Mans, signalait par exemple l’effet positif de la présence du japonais Daïsuke Matsui dans l’effectif du club sarthois : « Sur un an, nous vendons 1 500 maillots floqués Matsui, soit 15% de nos ventes ». Il déclarait explicitement à ce titre : « Avec la montée en Ligue 1, on a commencé à utiliser son potentiel marketing ».

http://www.football365.fr/le-poulet-aux-ufs-dor-1161809.html, consulté le 01 février 2017.  

191 À ce titre, de nombreux clubs possèdent aujourd’hui leur propre chaîne de télévision : Manchester United, l’OM, l’OL, le Real Madrid, le FC Barcelone, ou encore le Bayern Munich. Le but des clubs est de maîtriser les canaux de diffusion et donc l’information qui y circule. Ils peuvent alors y véhiculer leur image de marque. Ces chaînes s’inscrivent donc dans les stratégies de gestion des relations avec les clients que nous avons évoquées au préalable. Elles restent cependant supportées par les grands groupes de communication qui les diffusent, l’objectif de ceux-ci étant d’accroître leur rentabilité.

gestion de la relation client (customer relationship management) s’est peu à peu installée dans les clubs au rythme du processus de professionnalisation de leur gestion. Elle vise tant à mieux investir les différents segments de clientèle qu’à générer de nouveaux besoins, tout en cherchant à attirer de nouveaux consommateurs à l’instar des femmes. Pour cela, l’offre de services des clubs au sein des infrastructures sportives s’est considérablement développée : visites des stades, accès à des outils internet, ou encore usage des réseaux sociaux en temps réel. De même, des stratégies publicitaires visant à sensibiliser certaines catégories de la population sont instaurées, des politiques de réduction tarifaire sont parfois mises en place à destination de certains publics, et des offres spéciales sont régulièrement déployées. Cet élargissement de l’offre de services des clubs a été favorisée par la modernisation des stades. Ces derniers ne sont plus uniquement des lieux de contemplation du spectacle sportif. Ils sont des lieux de consommation à part entière. Les boutiques, voire les centres commerciaux pour les plus grands clubs, s’y multiplient. Les produits étiquetés à l’image du club y sont vendus. Le constat est identique pour les kiosques, les parkings, les points de restauration, les grands clubs proposant des restaurants à thème. Les loges ainsi que les salles de presse ont été rénovées. Les infrastructures les plus modernes, dont les clubs sont en général propriétaires, proposent des musées, des chapelles, des centres d’entraînement, des hôtels, des parcs de loisir et de détente, des centres médicaux et de remise en forme, des parcs d’affaire ou encore des crèches. De plus, ces infrastructures sportives sont souvent multifonctionnelles au sens où elles peuvent être adaptées afin d’accueillir d’autres évènements sportifs, voire des spectacles d’autre nature (des concerts par exemple). De même, des visites sont régulièrement organisées. Par le biais de tous ces établissements, l’objectif poursuivi par les clubs qui sont propriétaires de leur stade est identique, à savoir augmenter sensiblement leurs recettes en incitant les supporters à consommer davantage.

L’internationalisation des stratégies

Ce que nous apprennent conjointement la progression du merchandising et le développement du recrutement des talents marketing, c’est que les stratégies commerciales des clubs s’inscrivent dans un contexte international. En effet, le développement progressif du

merchandising en Europe a conduit à la saturation d’un certain nombre de marchés européens.

Les différents marchés nationaux en Europe ne représentent plus une demande suffisante pour répondre aux exigences de revenus des clubs, ce pourquoi ils se dirigent vers les pays étrangers. Ainsi, si dans les années 1980 les clubs européens cherchaient encore à séduire les publics des pays voisins, ils visent dorénavant à stimuler de manière croissante une demande

de nature similaire en dehors du continent européen. Il s’agit donc d’investir les marchés émergents. Le continent asiatique est plus particulièrement convoité. L’attrait pour le football y est grandissant. Les clubs se donnent donc pour objectif de susciter l’intérêt des populations locales. Pour mener à bien ce type de stratégie de développement à l’international, divers instruments sont à la disposition des clubs : le recrutement de joueurs stars ou de joueurs originaires de la zone géographique ciblée, la diffusion de la chaîne du club dans le territoire ciblé, la traduction du site internet du club dans la langue de la région ciblée, la personnalisation des produits dérivés pour les publics visés192, l’instauration de boutiques du club dans la zone déterminée193, ou encore la mise en place de tournées promotionnelles. Dans ce dernier cas, le club installe son équipe et son staff plusieurs jours sur un territoire dont il souhaite séduire la population. Des matchs amicaux et des entraînements ouverts au public sont prévus en vue de permettre à la population locale d’y assister. Dans le football professionnel contemporain, les grands clubs européens multiplient chaque année ce type de tournées promotionnelles. Ainsi, le PSG a réalisé des tournées sur le continent asiatique durant les étés 2014 et 2015 avant de se diriger vers le continent nord-américain en 2016. Durant l’hiver 2014, le club parisien s’est installé au Maroc. Ses tournées hivernales se déroulent depuis lors à Doha au Qatar. De même, plusieurs clubs européens participent durant l’intersaison estivale à la Copa EuroAmericana (AS Monaco, Fiorentina, Atlético Madrid et FC Valence en 2014). Étant donné que la popularité et les enjeux de cette compétition sont limités, les clubs qui y participent visent surtout à conquérir les publics locaux.

Ce type de tournées visent également à fidéliser voire à capter de nouveaux partenaires pour les clubs. Des évènements non-sportifs sont programmés en parallèle des séances d’entraînement et des matchs amicaux dans ce but. Les joueurs participent alors à des opérations conduites par les sponsors du club ainsi qu’à des soirées organisées par leurs divers partenaires. Ces opérations de séduction et de conquêtes des entreprises partenaires sont centrales dans les stratégies développées par les clubs européens. Comme nous l’avons vu, certains clubs plus modestes sont eux aussi concernés par ces stratégies compte tenu de la nouvelle structuration internationale de leurs principaux financements. À titre d’exemple, le club d’Évian-Thonon-Gaillard a recruté un manager d’origine koweïtienne afin de tenter de                                                                                                                

192 Par exemple, dans le cadre du nouvel an chinois 2017, le PSG a développé une gamme spécifique de maillots floqués en mandarin.

193 Le PSG dispose par exemple d’une boutique officielle au Qatar. Ce type d’implantation peut parfois prendre la forme de partenariat. Ainsi, en 2003, l’Inter Milan « a conclu un partenariat avec le revendeur d’articles de sport JSV et Dentsu, la plus importante société de publicité et de création d’évènements sportifs au Japon et promoteur du football asiatique » (Bolle & Desbordes, 2005, p. 138).

développer la marque du club à l'international et plus particulièrement au Moyen-Orient194. Ces stratégies de développement à l’international ne sont toutefois pas sans poser problème. Dans le cas des tournées promotionnelles, elles obligent les joueurs à des voyages qui peuvent être néfastes à leur récupération physique, tant du fait des décalages horaires que du fait des rencontres amicales prévues. Ces dernières peuvent également engendrer des blessures de joueurs qui handicaperont le club dans ses prochains matchs en compétition officielle. En définitive, le club privilégie ses financeurs au détriment de l’aspect sportif. De surcroît, ces stratégies d’internationalisation renforcent un processus « d’encombrement publicitaire » (Chanavat & Desbordes, 2013) plus ancien. En effet, à partir des années 1980, au-delà de chercher à gonfler le montant des partenariats, les clubs professionnels de football en Europe se sont donnés pour objectif de multiplier le nombre de sponsors afin d’augmenter leurs revenus. Pour cela, ils ont proposé aux entreprises des espaces supplémentaires de promotion de leur marque : accroissement du nombre de panneaux publicitaires195, augmentation des espaces de sponsoring des maillots (espace ventral, dos, manches) et des shorts (avant et arrière), sponsoring des tenues d’entraînement et d’échauffement 196 , naming des infrastructures sportives (cf. supra)197, espaces sur le site internet du club, etc. Bien que certains d’entre eux aient misé sur le développement d’une division marketing, d’autres clubs ont recours aux agences de marketing pour gérer tout ou partie de leurs opérations de

sponsoring. À côté des grandes firmes type IMG, Octagon, Sportfive, voire Havas Sport & Entertainment, des entreprises plus modestes se sont progressivement installées dans le secteur à l’image de Sport Market, de Media Partners, de Sport Vision, ou encore de New Event. Elles se destinent principalement au segment des « petits » clubs198.

                                                                                                               

194 L'ETG prospecte au Moyen-Orient. La lettre du sport, n°745, 01/11/2013, p.5.

195 Les clubs qui ne sont pas propriétaires de leur stade n’interviennent que marginalement dans la gestion de ces espaces publicitaires dits fixes et n’en tirent donc que partiellement avantages (Tribou & al., 2015).

196 Par exemple, depuis 2016, Qatar Airways sponsorise le maillot d’entraînement du Bayern Munich pour 15 millions d’euros par saison.

197 Cette opération n’est pas uniquement destinée aux stades puisque se développe notamment le naming des centres d’entraînement des clubs. Par exemple, en 2013, le centre d’entraînement du PSG est devenu le centre d’entraînement Ooredoo, du nom de l’opérateur téléphonique qatari, en échange du versement de 13 millions d’euros annuels.

198 Il est intéressant de souligner que l’activité des régies sportives se destine à diverses parties prenantes du football. En effet, nous avons vu précédemment qu’elles pouvaient avoir un rôle de gestion des droits télévisés pour les organisations sportives. Il en est de même concernant la gestion des contrats de sponsoring. Dans le même temps, les régies peuvent être missionnées par des entreprises dans un rôle de conseil visant à optimiser leur stratégie de communication à travers le sport. Par conséquent, se pose un problème de déontologie (Tribou & al., 2015) puisque la régie exerce une fonction similaire de conseil auprès de l’acheteur des droits que représente l’entreprise et auprès du vendeur des droits que représente le club. Les agences de marketing exploitent donc les asymétries d’informations entre les sponsors et les organisations sportives, et elles cherchent par conséquent à peser à la hausse sur le niveau des droits, à l’instar d’une pratique que développent également les agents de joueurs (cf. infra).

Les clubs : des firmes multinationales

Au regard de leur développement des dernières décennies, les clubs de football, et plus particulièrement les plus grands clubs européens, sont considérés comme de véritables firmes multinationales (Andreff, 2009d, 2010a, 2012a ; Boniface, 2010) spécialisées dans le divertissement199 : « la revue du club Manchester United est diffusée à 15 000 exemplaires dans la seule Thaïlande. La Juventus de Turin compte 1 200 clubs de supporters à travers le

monde. Madrid TV, la chaîne du Real de Madrid est captée dans 40 pays » (Boniface, 2010,

p. 40). Au-delà de la diffusion internationale de leur marque, les clubs emploient un personnel (joueurs et staff) provenant du monde entier, leurs produits sont vendus dans de nombreux pays dans lesquels sont parfois implantés des magasins spécialisés du club. Ils nouent des partenariats avec des entreprises qui proviennent de pays issus de tous les continents, et leurs actifs financiers sont internationaux. Dans ce cadre, les nouvelles stratégies commerciales développées par les clubs professionnels de football en Europe les ont conduit à privilégier les méthodes de gestion qualitatives et à délaisser les méthodes de gestion quantitatives dont les objectifs prioritaire étaient par exemple d’attirer le plus possible de supporters, de multiplier les abonnements, ou encore de jouer le plus de matchs possibles dans l’optique de parvenir au meilleur classement (Andreff & Staudohar, 2000). Désormais, les clubs favorisent les médias et ils visent par exemple à attirer les chaînes de télévision afin que l’accroissement de leur médiatisation génère des retombées en termes de sponsoring. De même, si l’augmentation de la capacité des stades demeure une réalité voire une nécessité pour certains clubs, beaucoup d’autres visent avant tout à une amélioration de l’accès, de l’accueil et du confort dans les stades. Enfin, les choix stratégiques des dirigeants de clubs influencent jusqu’aux choix sportifs. Un arbitrage est effectué afin de déterminer quelles sont les rencontres déterminantes pour un club. En règle générale, les compétitions les plus rémunératrices sont sélectionnées au sens où les dotations qu’elle prévoit sont élevées. Il s’agit aussi souvent des compétitions les plus diffusées, qui généreront donc des revenus télévisés élevés et qui seront à l’origine d’une notoriété étendue. C’est ainsi que les grands clubs privilégient la Champions League aux compétitions nationales, dans lesquelles ils alignent régulièrement les habituels remplaçants afin de préserver les cadres pour les grandes échéances européennes. Les autres clubs favorisent quant à eux le championnat national par rapport aux coupes nationales, voire aux coupes européennes (Europa League). Les recettes qu’ils en dégagent sont souvent inférieures                                                                                                                

199 J. Marseille (1990) comparait déjà les grands clubs européens, dont les grands clubs français à l’image de l’OM, à des firmes multinationales. S. Morrow (2014) assimile lui-aussi implicitement les clubs à des firmes multinationales en mentionnant qu’ils sont des « (…) major brands with diverse income streams and customers worldwide » (p. 86).

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 195-200)

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