• Aucun résultat trouvé

Les groupes de médias

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 176-182)

Régime économique de

Chapitre 2 - Du nouveau régime d’accumulation aux mutations du régime économique de fonctionnement du football professionnel en Europe économique de fonctionnement du football professionnel en Europe

1. La pénétration d’acteurs financiarisés dans le football professionnel européen européen

1.1. Des conséquences du néolibéralisme sur le football…

1.2.3. Les groupes de médias

Le football comme support privilégié des stratégies des groupes de médias

Le développement du secteur de l’audiovisuel est à la base du football professionnel tel qu’il est organisé et tel qu’il fonctionne aujourd’hui en Europe. L’intérêt croissant des télévisions pour ce sport est à l’origine de sa dynamique économique fortement ascendante, le football étant dorénavant structuré autour de multiples intérêts industriels et financiers attirés par sa forte médiatisation. Quelle que soit la nature des chaînes qui y investissent, opérateurs publics, privés à accès gratuit ou privés à accès payant, le football est fondamental dans leur offre de services (Parlasca, 2006). Il est un vecteur incontestable d’audience et il constitue un produit d’appel extrêmement efficace pour les chaînes à péage. De surcroît, comme mentionné plus haut, les perspectives de rentabilité sont d’autant plus élevées pour les opérateurs que le football est un produit combiné (Panhuys, 2010). Ses images donnent lieu à des exploitations diverses, de la retransmission en direct à la retransmission, en passant par les magazines sportifs par exemple. C’est pourquoi l’objectif prioritaire des télévisions est d’accéder au marché des images. Elles se sont de plus en plus impliquées dans les retransmissions télévisées des compétitions de football professionnel, en proposant des programmes en direct, en différé, d’analyses des matchs ou encore de reportages. Ainsi, entre la fin des années 1960 et la fin des années 1990, le temps d’antenne consacré au football a décuplé (Andreff & Nys, 2002). Il existe même aujourd’hui des chaînes dont les programmes sont uniquement dédiés au sport. Dans cette perspective, la concurrence entre les chaînes, dont le nombre n’a cessé de croître sous l’effet de la déréglementation et de la privatisation du                                                                                                                

162 Il s’agit en général de petites et moyennes entreprises (PME) qui recherchent une forme de légitimation et de promotion locales (Jouny & Phanuel, 2014).

163 Sur le cas du Stade Rennais FC, il est intéressant de souligner que le club possédé par François-Henri Pinault est équipé par Puma. L’équipementier allemand est lui-aussi la propriété de François-Henri Pinault via le groupe Kering. Ce dernier est progressivement entré au capital de l’entreprise allemande à partir de 2007, avant d’en devenir actionnaire majoritaire au début des années 2010.

marché télévisé ainsi que sous l’influence des TIC, s’est intensifiée, tant au niveau de la qualité et du contenu des programmes proposés qu’au niveau de l’acquisition des droits de retransmission. En effet, chacune d’entre elles cherche à obtenir l’intégralité des droits d’une compétition ou ne serait-ce que les droits des principales affiches. Cette recherche de l’exclusivité des matchs d’une compétition peut s’inscrire dans un désir de diffusion de l’ensemble des rencontres acquises, mais elle peut aussi revêtir un objectif stratégique qui vise à priver les concurrents d’images.

Le fort intérêt des télévisions pour le football s’explique par ailleurs par un mécanisme de « refinancement » a posteriori de l’achat des droits (Panhuys, 2010). En effet, investir dans les retransmissions télévisées du football est d’autant plus profitable pour les chaînes qu’elles se refinancent auprès des annonceurs, voire auprès d’autres diffuseurs (Cavagnac & Gouguet, 2008). Le refinancement auprès d’autres diffuseurs signifie tout simplement que la chaîne qui a obtenu les droits de retransmission en cède tout ou partie à une autre chaîne en réalisant une plus-value. Dans ce cas, la stratégie de la chaîne qui achète initialement les droits n’est pas de rediffuser les rencontres qui y sont associées, mais bel et bien de réaliser une opération spéculative. Le refinancement auprès des annonceurs signifie quant à lui que les chaînes qui obtiennent les droits de retransmission télévisée des compétitions de football s’efforcent de rentabiliser cet achat par des contrats négociés avec des publicitaires. Autrement dit, la télévision offre aux annonceurs des espaces publicitaires divers et variés, dont le spot publicitaire reste néanmoins l’instrument privilégié. Les annonceurs misent quant à eux sur les audiences véhiculées. Ils paient les chaînes de télévision afin que leur marque soit présente pendant les périodes de diffusion. Tout comme les firmes sponsors, ils attendent de cette stratégie un retour sur investissements en terme de notoriété. La concurrence entre les annonceurs afin d’obtenir les meilleurs espaces publicitaires des meilleurs programmes sportifs est elle aussi très intense, ce qui explique le montant qu’ils y accordent. Par exemple, le spot publicitaire de trente secondes coûtait 1 million de francs lors de la retransmission télévisée française de la finale de Coupe d’Europe 1993 qui opposait l’OM au Milan AC (Nys, 2000). Depuis le développement du football en tant que sport-spectacle télévisé, les droits d’entrée pour les annonceurs n’ont cessé de croître. À titre de comparaison, en 2008, les annonceurs ont payé près de 300 000 euros pour apparaître trente secondes sur la chaîne anglaise ITV qui rediffusait la finale de la Champions League opposant deux clubs anglais, à

savoir Chelsea et Manchester United164. Les revenus que dégagent les télévisions de la vente d’espaces publicitaires aux annonceurs sont donc élevés. Ils sont un facteur déterminant de la croissance et du niveau actuel des droits de retransmission télévisée, les annonceurs étant finalement, mais indirectement des financeurs majeurs des clubs de football :

« Donc, si la télévision a bien perturbé le fonctionnement traditionnel du sport en inventant le sport-spectacle télévisé pour favoriser ses recettes et son développement, ce sont, en fin de compte, les entreprises qui versent une part importante de l’argent qui revient au monde du sport par le biais de la télévision

(…). Les disciplines sportives transformées en spectacle télévisuel servent ainsi de

support essentiel au développement mondial des diffuseurs télévisuels et des

entreprises sponsors-annonceurs (…). » (Sobry, 2003, p. 48).

Au regard des intérêts qui entourent les retransmissions télévisées des compétitions européennes, le football est véritablement devenu un produit de consommation audiovisuelle. Dans cette perspective, parce que « (…) les clubs sont de facto devenus des producteurs de contenu télévisé » (Kuper & Szymanski, 2014a, p. 122), certains diffuseurs vont jusqu’à intégrer le capital des clubs afin de maximiser leurs profits (Moles & Sobry, 2002)165. Par ce mécanisme d’intégration verticale, les groupes de média prétendent maîtriser l’ensemble du processus de production du spectacle sportif, i.e. de la production à la diffusion des images en passant par la commercialisation des produits dérivés. Concrètement, les opérateurs veulent « s’assurer de la qualité et du prix du produit « sport » tout au long de la chaîne de production » (Sobry, 2003, p. 77). À nouveau, l’acquisition d’un club vise à satisfaire une stratégie plus large de rentabilité par une maximisation des revenus et par une minimisation des coûts : « Produire, diffuser, commercialiser les images des évènements et de leurs produits dérivés, tel est l’enjeu d’une lutte d’influence qui a pour seul objet la recherche d’une rentabilité la plus forte possible » (Bourg & Gouguet, 2005, p. 22). Les exemples d’acquisition de clubs professionnels européens par des opérateurs sont nombreux. En 1991, le groupe Canal Plus acquiert le Paris Saint-Germain et en restera propriétaire jusqu’en 2006. Le groupe français a également acheté le club suisse du Servette FC en 1996 dont il s’est progressivement désengagé à partir du début des années 2000. En 1986, le rachat du Milan AC par Silvio Berlusconi conduit à un rapprochement stratégique entre le club italien et le groupe Mediaset que possède également l’homme d’affaire. Le groupe M6 est quant à lui                                                                                                                

164 https://www.theguardian.com/media/2008/may/21/itv.advertising, consulté le 23 janvier 2017.

165 « Le sport est, plus que jamais, un produit d’appel au cœur des stratégies des entreprises qui ont déjà un pied dans les secteurs de la communication (…) ou de la diffusion (…) et qui cherchent à acquérir, directement à la source du spectacle sportif, les équipes » (Panhuys, 2010, p. 36).

devenu propriétaire des Girondins de Bordeaux en 1999 via sa filiale M6 Foot qui en détient 99 % des parts. Par ailleurs, au début des années 2000, le groupe de médias nord-américain

News Corporation, maison-mère du groupe Sky, détenait des participations minoritaires

(environ 9 %) au capital de plusieurs clubs anglais : Chelsea, Manchester City, Manchester United, ou encore Leeds United (Sobry, 2003). Enfin, depuis 2012, beIN Media Group est un acteur majeur de la diffusion des compétitions européennes de football, notamment en France par le biais de la chaîne beIN Sports. Ce groupe, propriété du groupe qatari Al Jazeera, est dirigé par le Président du PSG, Nasser Al-Khelaïfi166.

La dénaturation du football ou l’influence croissante des groupes de médias

Les groupes de médias constituent donc aujourd’hui un rouage fondamental de l’économie du football professionnel en Europe. Cette position dominante, qu’ils ont acquise progressivement à partir du début des années 1980 et qui est essentiellement fondée sur les revenus qu’ils apportent au football, leur permet de peser sur l’organisation et le fonctionnement des compétitions. Autrement dit, le prix payé par les télévisions pour retransmettre un événement sportif leur octroie un pouvoir d’influence sur le spectacle obtenu. Ils peuvent ainsi susciter des modifications dont l’objectif est de séduire davantage de téléspectateurs. Dans cette perspective, les principales décisions prises par les diffuseurs dans le football se sont dirigées vers l’imposition d’horaires inhabituels. Plus précisément, les diffuseurs cherchent à retransmettre en direct les principales compétitions européennes de football sur des plages horaires qu’ils jugent hautement rentables compte tenu du marché territorial visé. Concrètement, il s’agit de programmer un match à une heure de grande audience, sans prendre en considération les effets potentiels de ce changement d’horaire sur les joueurs ou sur la qualité du spectacle. Ainsi, les matchs d’une même journée d’une compétition sont étalés sur plusieurs jours afin d’éviter qu’ils ne se disputent simultanément. En France par exemple, deux affiches qui opposent des clubs bien classés ou réputés sont prévues par journée de championnat. En général, la première a lieu le vendredi soir en prime time et la seconde le dimanche soir également en prime time. Une autre rencontre se déroule le samedi après-midi et plusieurs ont lieu le samedi soir. Enfin, le reste des matchs est planifié à horaire distinct le dimanche après-midi. Si ce mode de fonctionnement vise à satisfaire un public plus large et diversifié, il entend surtout générer une audience cumulée par journée plus importante qui permettra aux télévisions d’accroître leurs revenus. C’est aussi dans ces                                                                                                                

166 Ainsi, beIN Sports est un instrument supplémentaire de la stratégie de communication développée par le pouvoir qatari.

perspectives de rentabilité que les diffuseurs orientent de plus en plus les retransmissions vers des horaires de grande écoute sur les marchés émergents. À titre d’exemple, depuis le début des années 2010, des rencontres de la Liga espagnole sont programmées à la mi-journée afin qu’elles puissent être suivies en direct par les téléspectateurs asiatiques en soirée.

Ce dernier exemple témoigne des effets pervers que peut induire cette pénétration croissante des télévisions dans le football. En effet, les changements horaires peuvent entraîner des perturbations de l’horloge biologique des athlètes, voire mettre en cause leur santé lorsque les rencontres ont lieu à des périodes de pic de chaleur. Cette segmentation horaire du football conduit également à des problèmes d’équité, puisque certains concurrents peuvent avoir connaissance des résultats des autres concurrents avant de disputer leur match. Enfin, les médias ont parfois la capacité d’influencer jusqu’aux règles sportives et jusqu’aux modes d’organisation des compétitions. Ainsi, les chaînes commerciales ont joué un rôle majeur dans la création de la Champions League en 1992. Elles ont effectivement perçu le remplacement des matchs à élimination directe par la phase de poules comme une assurance de voir les plus grands clubs accéder aux derniers échelons de la compétition167. Elles s’assuraient alors elles-mêmes des garanties financières dans la mesure où les grands clubs européens suscitent davantage d’audience, et donc de revenus publicitaires, que les clubs moins prestigieux. Par conséquent, les impératifs économiques ont mené à une dénaturation progressive du football (Bourg, 1998c) sous l’effet des groupes de médias168 pour qui celui-ci est devenu un instrument privilégié dans leur stratégie de croissance :

« Droits de retransmission, exclusivité de diffusion, accès à l’image limité, autant d’éléments plus proches de considérations économiques et de stratégies d’entreprises, le sport n’étant que le moyen de répondre à des besoins d’expansion, de prise de parts de marchés, en d’autres termes, un produit intermédiaire utilisé dans la production et la distribution d’autres biens diffusés par d’autres acteurs, les

entreprises au sens traditionnel du terme, productrices de richesses » (Sobry, 2003,

p. 56).

Sur ce point, il convient de souligner que le prix payé ex ante par les opérateurs afin d’obtenir les droits de retransmission télévisée d’une compétition ne sont pas toujours compensé ex post par les droits publicitaires versés par les annonceurs et par les reventes                                                                                                                

167 Nous reviendrons en détail sur ce point dans le chapitre 6 (sous-section 2.1).

168 Nous insistons sur le fait que les changements induits par les groupes audiovisuels ont été encore plus significatifs dans d’autres sports, notamment en termes de modification des règles sportives (introduction du tie-break dans le tennis par exemple) ainsi qu’en termes d’adaptation des infrastructures et des équipements sportifs. Dans certains cas, les médias ont même été à l’origine de la création de compétitions (Sobry, 2003).

partielles des droits de retransmission à d’autres diffuseurs. Ce type de résultats provient rarement d’une mauvaise anticipation, mais plutôt d’une stratégie définie en amont par le groupe concerné et visant à son développement, comme le souligne l’exemple de News Corporation :

« News Corp., en devenant à la fois le producteur du spectacle et son distributeur, a

ainsi poursuivi une stratégie mondiale en créant de la valeur ajoutée grâce au marché boursier et en recherchant la plus large et la meilleure distribution possible ainsi qu’une relation à l’abonné quasi-exclusive. De fait, ce qui pouvait être jugé défavorable commercialement pour l’une des filiales se révélait bénéfique pour

l’ensemble du groupe » (Panhuys, 2010, p. 35).

Pour terminer, il est intéressant de souligner que le développement du football en un spectacle télévisé a suscité l’émergence d’un nouveau type d’acteur. Il s’agit des régies sportives. Elles sont en fait des agences de gestion des droits marketing et des droits télévisés du sport. Des organismes similaires existent aux États-Unis depuis les années 1960. Elles se destinent aux organisations sportives, mais aussi aux athlètes. Comme nous le verrons dans la prochaine section, ces derniers peuvent les solliciter pour la gestion de leurs intérêts personnels (gestion de l’image, conseil, intermédiaire, etc.) étant donné qu’elles exercent une fonction d’agent de joueur. Du point de vue des droits télévisés, les régies sportives se positionnent comme des intermédiaires entre les organisateurs sportifs et les chaînes de télévision. Elles négocient les contrats de retransmission. Elles peuvent également jouer un rôle similaire entre les télévisions et les annonceurs, ou encore entre les instances sportives et les entreprises sponsors. Elles interviennent aussi dans les relations entre les organisations sportives et les autorités publiques. Les régies sportives sont généralement rémunérées à hauteur de 15 à 25 % des droits négociés. De ce fait, elles sont incitées à peser à la hausse sur le montant des droits. À l’image des diffuseurs, les régies sportives ont développé peu à peu leur stratégie et leur instrumentalisation du football, notamment en achetant des droits de retransmission de certaines compétitions pour les revendre aux chaînes de télévision, ou encore en organisant elles-mêmes des compétitions. Elles ont rapidement suscité l’intérêt des groupes audiovisuels quand elles n’ont pas directement été créées par certains d’entre eux, ce qui confirme l’influence des groupes de médias sur le football européen. L’agence Sportfive, rachetée en 2006 par le groupe Lagardère pour devenir Lagardère Sports and Entertainment,

est par exemple une des agences les plus influente du football professionnel en Europe169. À l’origine, le groupe Canal Plus en était actionnaire. La chaîne cryptée tentait ainsi de maîtriser simultanément le marché des droits de retransmission et le marché des droits d’organisation du football en France (Panhuys, 2010). La société suisse Infront Sports & Media, aujourd’hui

Wanda Sports, est une agence de marketing elle aussi très active dans le football. Elle a été

rachetée en 2015 par le conglomérat chinois Dalian Wanda Group, qui détient par ailleurs 20 % des parts du club espagnol de l’Atlético Madrid170.

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 176-182)

Documents relatifs