• Aucun résultat trouvé

Concepts et méthode de la théorie de la régulation

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 63-66)

Le système productivo-financier du football professionnel en Europe : éléments de cadrage régulationnistes

1.1. D’une diversité théorique à l’ancrage de concepts forts et d’une méthodologie solide

1.1.3. Concepts et méthode de la théorie de la régulation

Pour mener à bien l’examen des systèmes productifs au niveau macroéconomique, les théoriciens de la régulation se sont employés à façonner leur propre méthodologie. La méthode mise en œuvre par la TR a donné lieu à la construction de concepts fondamentaux qui permettent à la fois « l’exploration historique des sociétés » (Lamarche, 2012, p. 5) et l’étude des régimes économiques contemporains. Pour être plus précis, il s’agit de « concepts

intermédiaires » (Boyer, 2015) en ce sens qu’ils sont applicables en tout temps et en tout lieu

à condition d’être à chaque fois caractérisés rigoureusement. Autrement dit, la TR s’est rapidement dotée d’une palette conceptuelle permettant d’appréhender tout système économique. Chacun de ces concepts nécessite cependant d’être spécifié en fonction de la période historique observée et selon les ressorts du régime économique en vigueur. Il s’agit ainsi de notions générales qui permettent « de passer du degré d’abstraction le plus élevé à des propositions susceptibles d’être confrontées aux matériaux d’enquêtes ou au vécu le plus

immédiat des acteurs sociaux » (Boyer, 1986b, p. 42). La TR est donc « une théorie

conceptualisée » (Ballon & al., 2016) qui n’est sans doute pas étrangère à ses racines marxistes. Le point de départ de la réflexion originelle et de la méthodologie employée par la                                                                                                                

51 La TR revendique donc une historicisation de la théorie conforme à la position de G. Schmoller et contraire à celle de C. Menger dans la perspective de la Querelle des méthodes (Hédoin, 2013).

TR repose d’ailleurs sur la notion de mode de production. Elle permet de s’interroger, dans une période donnée, sur l’ensemble des rapports sociaux et sur leur enserrement dans la structure économique existante. Il s’agit d’exprimer les rapports de production et d’échanges, autrement dit « les relations sociales régissant la production et la reproduction des conditions matérielles requises pour la vie des hommes en société » (Fossaert, 1977, p. 27). Dans ce cadre, nous rappelons que la TR s’est plus particulièrement focalisée sur l’analyse des sociétés se caractérisant par un mode de production capitaliste.

Les institutions au cœur de la méthodologie régulationniste

En vertu de son incontestable ancrage institutionnaliste, la TR se donne pour priorité de rendre compte de la codification des rapports sociaux fondamentaux des économies capitalistes au travers des « formes institutionnelles »52. Elles représentent les institutions au fondement d’une économie de marché. En opposition à l’économie standard, l’idée est qu’un ensemble d’institutions permet le bon fonctionnement du marché. Ce dernier ne peut pas « s’autoréguler », autrement dit présenter intrinsèquement et naturellement les capacités de s’organiser et de fonctionner de manière optimale. Les institutions assurent la diffusion de l’information et elles orientent les comportements des agents (Boyer & Saillard, 2002c). Elles permettent ainsi de réduire l’incertitude. Afin de rendre compte des institutions qui encadrent le marché, les penseurs de la TR identifient cinq formes institutionnelles (encadré 1).

Encadré 1 – Les cinq formes institutionnelles au cœur de la théorie de la régulation

Selon les économistes régulationnistes, la codification des rapports sociaux fondamentaux d’une économie capitaliste passe par cinq formes institutionnelles : la forme du régime monétaire, la forme de la concurrence, la forme du rapport salarial, la forme d’adhésion au régime international et la forme de l’État (Boyer, 2003b).

Le régime monétaire regroupe « l’ensemble des règles qui président à la gestion du système de paiements et de crédits » (Boyer, 2004, p. 15-16). Il s’agit de distinguer la contrainte monétaire en présence dans un système donné, la monnaie étant l’institution fondamentale de l’économie marchande. En effet, le marché ne peut pas fonctionner sans règles, ou pour le dire autrement, un prix ne peut pas émerger de la seule confrontation entre les consentements de deux agents. L’échange marchand implique la stabilisation des modalités de transaction ainsi que d’un mode de paiement. Le régime monétaire détermine par ailleurs les règles de création et de destruction monétaire.

La forme de la concurrence rend compte du « processus de formation des prix qui correspond à une configuration type des relations entre les participants du marché » (ibid., p. 19). L’idée est de caractériser la concurrence en place en tenant compte des stratégies des agents sur le marché, tant du côté de l’offre que de la demande. Il s’agit de rompre avec l’hypothèse de concurrence parfaite de la théorie

                                                                                                               

52 Dans les travaux les plus anciens de la TR, la notion de « formes structurelles » peut se substituer à celle de « formes institutionnelles ».

standard pour y privilégier le postulat de concurrence imparfaite dont le rôle évolutif est déterminant dans la dynamique économique.

La forme du rapport salarial représente « les règles générales qui régissent le travail salarié » (ibid., p. 23). Il est question de caractériser la façon dont est configuré le rapport capital/travail au prisme de l’organisation effective du travail, du mode de vie prédominant et des conditions de reproduction des salariés (Boyer, 2003b). Cette forme institutionnelle rend ainsi compte des institutions qui encadrent le marché du travail, mais aussi des institutions qui encadrent les relations hiérarchiques au sein de l’organisation.

La forme de l’État souligne l’importance du rôle de la sphère politique dans la sphère économique. L’institutionnalisation de compromis en réaction à des périodes de tensions est généralement rendue possible par l’intervention politique. C’est ainsi que le régime monétaire en place résulte d’un choix politique, tout comme les droits sociaux instaurés par l’État ont un effet sur les conditions de l’accumulation. De même, le pouvoir politique met en place des instances réglementaires dont la mission est de garantir une concurrence équitable entre les entreprises (Boyer, 2004). De ce fait, les relations entre l’État et les trois premières formes institutionnelles sont manifestes et le pouvoir politique influence la dynamique économique : « (…) les formes institutionnelles (…) doivent, le plus souvent, passer par la sphère politique et la reconnaissance par le droit pour avoir un impact sur la dynamique économique53 » (Boyer, 2003b, p. 83). En définitive, les « formes de l’État » correspondent à un « ensemble de compromis institutionnalisés qui, une fois noués, créent des règles et des régularités dans l’évolution des dépenses et recettes publiques » (Boyer, 2015, p. 46).

La forme d’insertion dans le régime international exprime les relations entre l’État et l’économie internationale. Elle désigne « la conjonction des règles qui organisent les relations entre l’État-nation et le reste du monde, aussi bien en matière d’échanges de marchandises que de localisation des productions, via l’investissement direct ou de financement des flux et soldes extérieurs » (Boyer, 2003b, p. 82). L’État est subordonné à des réglementations supranationales tout en cherchant à se les accaparer ou à les orienter.

Les formes institutionnelles sont donc une condition du bon fonctionnement du processus d’accumulation dans une société donnée et à une période précise54. Elles sont sans cesse mouvantes dans leur forme, dans leur articulation et dans leur hiérarchisation. Elles forment un véritable système qui rend soutenable le régime économique en présence malgré ses contradictions. Les formes institutionnelles révèlent alors les régularités économiques et sociales d’un régime économique, notamment en termes d’organisation de la production, de partage de la valeur ajoutée, ou encore de composition de la demande sociale, qui témoignent

in fine d’un processus d’accumulation du capital sur le long terme, i.e. de la reproduction du

régime considéré. L’objectif est d’identifier et de caractériser un « régime d’accumulation » (figure 1). Il se définit comme « l’ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital, c’est-à-dire permettant de résorber

                                                                                                               

53 Si les formes institutionnelles résultent principalement de négociations (compromis sociaux) ou de la contrainte (reconnaissance des institutions par leur inscription dans la loi, les règles et les règlements), elles peuvent aussi se matérialiser dans « un principe de routine ». Ainsi, les comportements individuels et collectifs sont orientés par « la communauté d’un système de valeurs ou de représentations » (Boyer & Saillard, 2002c, p. 64).

54 « (…) il appartient à l’analyse empirique de spécifier la nature des formes institutionnelles pour une économie et une période données (…) » (Boyer, 2015) étant donné qu’elles sont des « concepts intermédiaires ».

ou d’étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même » (Boyer, 1986b, p. 46). Le capitalisme se caractérise donc par une succession de régimes d’accumulation différents. Autrement dit, chaque phase du capitalisme se traduit par un régime d’accumulation spécifique exprimant des relations singulières entre les différentes variables économiques (productivité, production, investissement, salaires, croissance, etc.). Ces dernières révèlent une stabilité du processus d’accumulation grâce à un niveau de profit constant et suffisant.

Figure 1 – Les cinq formes institutionnelles structurantes d’un régime d’accumulation

Source : Auteur, d’après Boyer (2015)

Quel objectif méthodologique ? La détermination d’un mode de régulation

L’articulation entre un régime d’accumulation et les formes institutionnelles donnent naissance à « un mode de régulation », pierre angulaire de l’édifice conceptuel de la TR (Lipietz, 1987). Étant donné qu’un régime d’accumulation produit des tensions qui résultent des rapports de force entre les acteurs, il s’agit de déterminer les modalités de reproduction d’un système compte tenu de ses contradictions par le biais de la stabilisation d’une configuration institutionnelle précise. Il est alors fondamental de restituer les logiques de fonctionnement des acteurs, ainsi que les luttes de pouvoir et les processus de négociation qui

Régime

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 63-66)

Documents relatifs