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Du recrutement de talents sportifs au recrutement de talents « marketing »

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 192-195)

Régime économique de

Chapitre 2 - Du nouveau régime d’accumulation aux mutations du régime économique de fonctionnement du football professionnel en Europe économique de fonctionnement du football professionnel en Europe

2. L’adaptation des acteurs traditionnels du football à la financiarisation

2.2. La maximisation des ressources des clubs

2.2.1. Du recrutement de talents sportifs au recrutement de talents « marketing »

Un des objectifs prioritaires des clubs est de constituer une équipe performante d’un point de vue sportif en engageant des talents sportifs. L’idée sous-jacente est de susciter des rendements croissants (Andreff, 2000) : la composition d’une équipe de qualité permet d’obtenir de bons résultats sportifs qui généreront des revenus (gains sportifs et recettes extrasportives), ces derniers étant à leur tour employés à l’amélioration quantitative et qualitative de l’effectif dont les bonnes performances sportives permettront à nouveau d’augmenter les revenus, et ainsi de suite en un cercle vertueux (Aglietta & al., 2008 ; Andreff, 2009b ; Mignon, 2002). Toutefois, cet objectif intermédiaire nécessite de lever des

Leviers stratégiques

Vente de produits dérivés Élargissement de l'offre de services dans les

stades Tournées promotionnelles Création d'une chaîne du club

Recrutement de joueurs sous-évalués Revente de joueurs surévalués Recrutement de jeunes joueurs Fusions-acquisitions Prise de participation dans d'autres clubs

Outils opérationnels

Introduction en Bourse

Comptabilité créative (passage à l'actif des joueurs) Titrisation

Effet de levier

Stratégies financiarisées

Spéculation sur le marché du travail

Stratégies financiarisées illégales

Corruption Créativité comptable Non-transparence financière

Malversations financières Montages fiscaux

Spéculation sur le marché noir du travail

Recrutement de joueurs attractifs pour les financeurs

Talents sportifs Talents "marketing"

Opérations marketing

Multiplication des sponsors

Stratégie commerciale internationale

fonds conséquents puisque l’intensification de la concurrence entre les clubs, notamment sous l’effet des nouveaux financeurs, conduit à une course à l’armement qui pèse à la hausse sur le coût des joueurs. C’est pourquoi le recrutement des joueurs n’est plus simplement motivé par des considérations sportives. Progressivement à partir des années 1980, les clubs ont cherché à recruter des joueurs qui possèdent des capacités à « faire vendre » (Bolotny, 2004). Autrement dit, les clubs visent à engager des joueurs dont la valeur de « non-usage » (Brocard, 2010) est forte afin de s’appuyer sur celle-ci pour augmenter leurs recettes. Il s’agit d’enrôler des talents « marketing ». Le but est d’identifier le ou les joueurs dont l’image contribuera au maximum aux revenus du club et qui lui permettra de développer de nouvelles gammes de produits et de conquérir de nouveaux marchés géographiques. Bien évidemment, les joueurs stars sont des vecteurs incontestables de valeur pour les clubs. Ils déclenchent l’intérêt des plus grands sponsors ainsi que des télévisions, et ils suscitent des ventes de produits dérivés, à commencer par les maillots à leur effigie.

Bien que la valeur de non-usage des joueurs ordinaires ne soit pas nulle, elle reste limitée en comparaison de celle des vedettes du football. Le plus souvent, leur pouvoir de séduction reste cantonné au marché local (la ville, le département, ou la région dans laquelle le club est implanté) voire au marché national dans certains cas. Seuls les joueurs étrangers, qu’ils soient de bons joueurs ou des joueurs plus modestes, peuvent afficher une valeur de non-usage plus importante. En effet, leur recrutement vise parfois la conquête d’un marché étranger. C’est déjà ce que revendiquait Bernard Tapie dans une interview à l’Équipe Magazine en septembre 1989, que retranscrit Jacques Marseille (1990) : « Waddle « couvre » médiatiquement toute l’Angleterre ! Forster, toute l’Allemagne ! Mozer, le Portugal, l’Espagne et le Brésil ; et Francescoli, qui compte autant là-bas que Maradona, toute

l’Amérique du Sud ! » (p. 70-71). Un exemple significatif est plus actuel est le recrutement de

joueurs asiatiques par les clubs européens. Cette pratique s’est développée dans les années 1990. Les clubs visent à diffuser leur image de marque à l’étranger et ils instrumentalisent pour cela les joueurs afin de conquérir le marché asiatique. Il s’agit à la fois de d’éveiller l’intérêt de nouveaux supporters et d’obtenir de nouveaux partenariats avec des firmes implantées sur le continent. À terme, l’idée est d’encourager une couverture médiatique dans ces pays qui amplifiera les revenus télévisés. Hidetoshi Nakata en est sans doute un des pionniers. Le japonais a été engagé par le club de Pérouse en 1998. Son arrivée en Italie a rapidement généré un afflux de touristes japonais dans la région, qui a été bénéfique au club puisque ses revenus ont augmenté. Les exemples sont multiples (Park Ji-Sung à Manchester

United, Park Chu-Young à l’AS Monaco et à Arsenal, Shinji Kagawa à Dortmund et à Manchester United, ou encore Keisuke Honda au Milan AC), et ils ne s’insèrent pas toujours dans un projet sportif (l’exemple de Koji Nakata à l’OM en étant représentatif). Certains clubs européens possèdent aussi un lien fort avec le continent sud-américain, notamment parce qu’ils comptent dans leur effectif plusieurs joueurs en étant originaires. C’est le cas de plusieurs clubs portugais. Par exemple, le FC Porto était composé de huit joueurs sud-américains pendant la saison 2016/17. En France, le PSG aligne régulièrement des joueurs issus d’Amérique du Sud. Durant cette même saison, il comptait lui aussi huit joueurs dans son effectif provenant d’Amérique du Sud. Cette stratégie a permis au club parisien de se construire une base de supporters en Amérique latine. Ce type de pratiques se généralise, d’autant plus qu’elles sont de plus en plus facilitées par la double nationalité des joueurs non-européens. En effet, plusieurs joueurs détiennent la nationalité d’une nation européenne en plus de celle de leur pays d’origine. Dès lors, ces joueurs binationaux n’entrent pas dans les quotas de joueurs extra-communautaires que doivent respecter les clubs européens. Par exemple, bien qu’ils soient tous les trois natifs d’Amérique du Sud, Javier Pastore, Edinson Cavani et Ezequiel Lavezzi possèdent également la nationalité italienne pour y avoir séjourné et pratiqué leur activité de footballeur pendant plusieurs années. Dès lors, ils ont été recrutés par le PSG comme des joueurs communautaires.

Dans cette perspective d’une recherche d’attractivité hors du continent européen, force est à nouveau de constater que le pouvoir de séduction à l’étranger des joueurs stars est plus grand que les autres joueurs. Cristiano Ronaldo, Lionel Messi, Zlatan Ibrahimovic, Sergio Aguero, Neymar, Gareth Bale ou encore Paul Pogba détiennent une base de fans mondiale. De même, les équipes dans lesquelles ces joueurs évoluent attirent les médias ainsi que les grandes firmes multinationales. C’est en ce sens que José Angel Sanchez, ancien responsable

marketing du Real Madrid et aujourd’hui Directeur général, déclarait : « Nous sommes des fournisseurs de contenus, comme un studio de film. Et avoir une équipe avec Zinédine Zidane,

c’est comme avoir un film avec Tom Cruise. » (Boniface, 2010, p. 41-42). Le recrutement de

Zinédine Zidane a en effet rapidement permis au club espagnol d’augmenter son chiffre d’affaire. En un an, le joueur a contribué à la progression de 24,7 % du chiffre d’affaire du club madrilène, soit 37,3 millions d’euros. 39 % de cet « effet Zidane » provenait d’une amélioration des recettes de marketing, i.e. des droits d’image, des droits internet et des produits dérivés (Bolotny, 2004). L’effet Cristiano Ronaldo est tout aussi notable. Ainsi, au terme de la saison 2009/10, après une saison passée par le joueur à Madrid, plus de 1,2

million de maillots au nom du portugais avaient été vendus (Drut, 2011). Ce type de joueurs sont une aubaine pour les clubs dans la mesure où leur valeur de non-usage et leur valeur « d’usage » (Brocard, 2010) sont conjointement élevées. Autrement dit, ils permettent aux clubs d’augmenter leurs revenus commerciaux et de réaliser de bonnes performances sportives dont ils tireront des gains financiers. Plus encore, en « faisant gagner » et en « faisant vendre » le club, ils contribuent à sa notoriété et aux finalités poursuivies par de nombreux propriétaires188. Toutefois, dans certains des cas évoqués plus haut, la logique sportive reste en retrait de la logique économique puisque les joueurs sont essentiellement engagés pour leur pouvoir d’attractivité. En définitive, les clubs consentent à des dépenses salariales et de transferts élevées afin de recruter les joueurs qui disposent de fortes valeurs d’usage et de non-usage.

2.2.2. Le développement d’une stratégie commerciale internationale axée sur

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