• Aucun résultat trouvé

Le football comme outil de gestion de l’incertitude sur le marché des biens : concurrence sportive européenne et financement mondialisé

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 111-114)

Régime international

2.1. Le football comme construit historique et social : du football professionnel au football européen

2.1.3. Le football comme outil de gestion de l’incertitude sur le marché des biens : concurrence sportive européenne et financement mondialisé

La troisième et dernière période reconnue dans la littérature spécialisée s’est ouverte dans les années 1970 et perdure aujourd’hui. Une rupture majeure mise en avant par de nombreux chercheurs est la commercialisation des JO dans les années 1980. En effet, l’amateurisme et les valeurs coubertiennes des JO ont toujours freiné la pénétration massive d’intérêts financiers dans le sport. L’olympisme garantissait une frontière entre sport et économie, notamment parce que les sportifs professionnels ne pouvaient pas participer aux JO. Pour autant, les relations entre ces deux sphères étaient réelles dans certains sports à l’image du football. Les JO limitaient la marchandisation du sport. L’autorisation de l’exploitation commerciale des anneaux olympiques en 1981 ainsi que la privatisation du financement des JO de Los Angeles en 1984 qui a notamment abouti à la mise en place d’un programme de marketing des JO, ont nettement intensifié les relations entre la sphère sportive

et la sphère économique. Le sport bascule pleinement dans une logique commerciale. D’autant plus que le développement de la télévision contribue à affirmer son rôle dans le sport. Le sport spectacle est rapidement devenu un support privilégié des télévisions. En 1989,

Eurosport, chaîne de télévision dédiée à la diffusion du sport, est d’ailleurs créée par l’Union

européenne de radiodiffusion. Le football professionnel s’internationalise davantage dans la mesure où il produit une audience mondiale. Les compétitions européennes gagnent en popularité puisqu’elles permettent une confrontation entre les meilleurs clubs d’Europe qui stimule d’autant plus l’audience du football. La création de la Ligue des Champions en 1992 favorise cette concurrence européenne.

Dans ce contexte d’essor du sport spectacle télévisé, le rapport des chefs d’entreprise au sport évolue lui aussi. À nouveau, le football professionnel l’illustre. Bien que les clubs de football soient, pour certains, encore utilisés à des fins de communication interne à l’entreprise, les stratégies des dirigeants d’entreprise tendent à évoluer vers la promotion de leur marque. Autrement dit, les firmes cherchent à promouvoir leur image de marque au plus grand nombre dans l’idée de susciter l’apparition de nouveaux débouchés pour leurs produits. Un nombre croissant d’entreprises s’associe aux clubs professionnels, l’objectif des ces entreprises partenaires étant de développer une politique produit via le football sur la base d’une stratégie de réputation. Si ce type de stratégies est apparu dès les années 1960, elles se sont développées dans les années 1970 avant de se généraliser dans les années 1980. Dès lors, toute entreprise qui parraine un club en attend des retours en termes de prestige qui influeront positivement sur sa rentabilité, le football se transformant en un « outil de communication externe » (Bourg, 1994). Il est donc un vecteur de communication et de publicité pour une entreprise qui finance un club. L’ancrage local n’est plus une nécessité puisque l’objectif est de communiquer sa marque au plus grand nombre, souvent en dehors des frontières nationales, ce qui a d’ailleurs permis le développement du sponsoring de clubs nationaux par des firmes étrangères. Le mouvement de mondialisation du sport, engagé dès sa professionnalisation, s’accélère. En effet, la part des recettes issues des spectateurs tend à diminuer au bénéfice des revenus provenant des télévisions, des sponsors, ou encore des commanditaires mondiaux, d’où l’essor d’une économie du sport mondialisée (Andreff, 2000) ou d’une « économie-monde » du sport pour reprendre l’expression de F. Braudel (Bourg & Gouguet, 2005). Les fédérations et les clubs opèrent sur un plan planétaire à l’aide de

« techniques et mécanismes globalisants(modes de financement par un accès aux marchés

financiers, libéralisation de la circulation des athlètes professionnels, programmes de marketing) » (ibid., p. 41). Les flux économiques et financiers du sport explosent sous couvert

de la « globalisation des enjeux » (ibid., p. 19). Le football professionnel est à nouveau l’archétype de cette mondialisation économique du sport, notamment au travers du marché européen. De surcroît, l’afflux financier que cette mondialisation a généré est d’autant plus important pour les clubs de football que leurs charges salariales ainsi que leurs frais de transferts ne cessent de croître sous l’effet du pouvoir accru des joueurs. L’instauration du

contrat à temps, la hausse exponentielle des revenus télévisés puis l’arrêt Bosman participent

à renforcer le pouvoir de négociation de ces derniers (cf. infra). Cette période est donc marquée par la multiplication et l’intensification des conflits quant au partage du revenu issu du spectacle sportif : entre ligues et clubs, entre joueurs et agents sportifs, mais surtout entre clubs et joueurs.

Cette période souligne par ailleurs les premières interventions communautaires dans le sport, dont les implications sur l’organisation et le fonctionnement du football ne sont pas négligeables. En effet, à partir de cette période, les organisations politiques européennes reconnaissent leur compétence d’intervention dans le domaine sportif. Cela donne lieu à deux interventions communautaires majeures. La première est consacrée par l’arrêt Bosman rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) en 1995. En suscitant la libéralisation du travail dans le football professionnel90, cette jurisprudence Bosman marque la reconnaissance du sport comme « une activité économique à part entière à laquelle devaient s’appliquer les règles du marché intérieur » (Gasparini & Polo, 2012, p. 10). L’arrêt Bosman contribue ainsi à accélérer le processus de marchandisation du football. C’est la première fois que le droit communautaire se prononce sur le sport, malgré les réserves des États et des instances sportives européennes. La seconde intervention des instances communautaires européennes dans le sport va dans le sens de la reconnaissance d’une exception sportive fondée sur les valeurs sociétales du sport, qui vantent notamment une citoyenneté européenne ainsi qu’une intégration sociale et culturelle à l’échelle européenne. L’objectif est ainsi de dresser le sport comme un vecteur privilégié de promotion d’un espace européen : « (…) le sport est aujourd’hui de plus en plus considéré comme une manifestation socioculturelle qui peut contribuer à l’imprégnation quotidienne de l’idée d’un espace public

européen » (ibid., p. 12). Cette seconde intervention communautaire a notamment donné lieu

à l’édition d’un Livre blanc du sport en 2007, puis à l’article 165 du traité de Lisbonne adopté en 2009. Alors que l’arrêt Bosman fait du sport une activité économique comme une autre en                                                                                                                

y étendant la libre circulation des travailleurs, le traité de Lisbonne rappelle et souligne la spécificité du sport (Schotté, 2014). Compte tenu des restrictions sur le nombre de participants aux compétitions, de la nécessité de maintenir l’incertitude du résultat et d’assurer un équilibre compétitif, ou encore de ses fonctions sociales et culturelles, le sport ne peut être considéré comme une activité économique identique à toute autre. Par conséquent, les règles de la concurrence libre et de la concurrence non faussée ne peuvent pas s’appliquer au sport. Cependant, le sport demeure une activité génératrice d’enjeux économiques. Ainsi, il ne peut pas prétendre à une exception sportive. C’est dans cette perspective que le traité de Lisbonne a abouti à un compromis autour de la notion d’activité spécifique. Le fonctionnement du sport doit être réglementé par des dispositifs particuliers. Le traité de Lisbonne attribue donc aux instances européennes une compétence communautaire en matière de sport. C’est ainsi qu’en 2010, un Conseil des ministres des sports européens s’est tenu pour la première fois. Toutefois, les États membres restent compétents dans le domaine sportif et les instances sportives dirigeantes conservent une large autonomie, l’Europe communautaire n’assurant en réalité qu’un rôle de soutien (Durand C. & Dermit-Richard, 2013).

En définitive, durant cette période, l’organisation du sport qui s’est mise en place à l’aube de sa professionnalisation tend à se rationaliser davantage. Le sport de compétition mis en spectacle entre clairement dans l’aire du marché. La logique industrielle s’impose au football et son organisation est comparable à celle de toute branche d’activité (Gouguet & Primault, 2004a). Naît alors la notion « d’industrie du sport ». En conséquence, les valeurs historiques du sport, prônant l’amateurisme, le bénévolat ou encore l’associativité (Sobry, 2003) s’épuisent au profit des valeurs économiques. Chacun cherche à vendre son talent, son spectacle ou ses compétitions au plus offrant. Les clubs eux-mêmes développent des stratégies commerciales qui visent à sensibiliser un consommateur plutôt qu’un supporter. Dans cette optique, le club devient une marque dont l’output est le sport en tant que marchandise ; elle est produite grâce aux joueurs ; qui sont quant à eux assimilés à des travailleurs.

Dans le document Jérémie  BASTIEN   THÈSE (Page 111-114)

Documents relatifs