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A. Concours de volontés

2. Pratiques concertées

La pratique concertée représente une collusion moins formelle. C'est «Une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence»295 . Il y a pratique concertée lorsque, préalablement à tout comportement de leur part sur le marché, les concurrents ont des contacts dont l'objet ou l'effet est soit d'influencer le comportement des concurrents, soit de leur dévoiler un comportement futur296, et donc d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché297.

Dans l'affaire du Verre plat dans les pays du Bénélux, la Commission a constaté des réunions de coordination ayant pour objet de se mettre d'accord sur les prix et les rabais. L'existence d'une pratique concertée n'était d'ailleurs pas remise en cause. En matière d'assurance, la Commission était d'avis

293 L'accord n'a pas besoin d'être juridiquement obligatoire: cf. p. ex. CJCE du 15.7.70, Chemiefarma, att. 110-114. Pais Antunes, p. 59. Pour le droit suisse, Conseil fédéral, Message LCart, p. 544; Schmidhauser, n° 34 ad art. 4 LCart; Stoffel, Les ententes, p. 1 O;

TercierNenturi, p. 71.

294 CJCE du 15.5.75,Frubo, att. 30-31; Commission du 17.12.81, Navewa-Anseau, consid.

38-39. Cf. Gudin, L'entente, p. 121-122, qui précise que cette appréciation se fonde sur 1 'effet utile du droit de la concurrence, 1' association étant un moyen pour les entreprises de s'entendre entre elles.

295 CJCE du 14.7.72, ICI, att. 64; CJCE du 16.12.75, Suiker Unie, att. 26. En droit suisse, selon le Conseil fédéral,MessageLCart, p. 544, est décisifle fait que l'action collective soit consciente et voulue. Cf. Schmidhauser, n° 46 ad art. 4 LCart; TercierNenturi, p. 71.

296 Cf. Gudin,L'entente, p. 118. C'est la position de la Commission dans les procédures de recours de certains producteurs de polypropylène au TPI: p. ex. TPI du 10.3.92, ICI, pt 244. Pais Antunes, p. 72, relève qu'une attente mutuelle relative à un comportement n'est pas nécessaire. Dernier arrêt en date: TPI, arrêt du 15.3.2000, «ciment», aff. T-25/

95 e.a., non encore publié au recueil, pts 1849ss.

297 CJCE du 14.7.81, Züchner, att. 14. Pour le droit suisse, Stoffel, Les ententes, p. 10;

Schmidhausei; n° 46 ad art. 4 LCart; TercierNenturi, p. 71.

qu'il y avait pratique concertée dans la mesure où les sociétés collaboraient effectivement, en particulier en alignant leurs polices d'assurance directes sur les primes et conditions établies par le Teko298 • La Commission a, en outre, conclu à l'existence d'une pratique concertée sur des marchés for-mellement exclus du champ d'application d'un accord contraignant299.

L'accord et la pratique concertée ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles ils se manifestent300. La délimitation entre les différents concepts n'est dès lors pas déterminante301. En patticulier, il n'est pas nécessaire de fixer le point exact auquel on ne peut plus parler d' «accord» ou de «convention», mais plutôt de «pratique concertée». La Commission déclare d'ailleurs souvent que la coopération entre les entre-prises du cas d'espèce constitue un accord «ou tout au moins une pratique concertée»302.

Il importe, par contre, de différencier les comportements collusoires, qui sont interdits, des comportements parallèles rationnels dictés par les conditions du marché, en particulier dans un marché oligopolistique303. Tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle. Cette exigence d'autonomie n'empêche pas l'entreprise de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de ses concun-ents304.

Lorsque toutes les preuves de réunions et toute la correspondance sont détruites, la démonstration de l'existence d'une pratique concertée est pro-blématique. Il est alors tentant d'inférer du comportement parallèle des en-treprises l'existence d'une pratique concertée. Dans l'affaire Züchner, la CJCE a estimé qu'un parallélisme de comportement des banques en matière de commission perçue lors de transferts d'argent par chèque pouvait refléter une coordination entre les banques constitutive d'une pratique concertée. Il

298 Commission du 20.12.89, Teko, consid. 16.

299 Commission, Entente à l'exportation du linoléum, 5e rapport sur la politique de concur-rence (1975) ch. 35.

300 CJCE du 8.7.99, Anie, att. 131.

301 C'est la position de la Commission, dans sa décisionPolypropylène du 23.4.86, consid.

87, qu'elle étaye dans le cadre du recours au TPI: cf., p. ex., TPI du 10.3.92, ICI, pts 242-243. Cf. ég. Pais Antunes, p. 76. Pour le droit suisse, cf. Tercier/Venturi, p. 71.

302 Cf. p.ex. Commission, Cobelpa, consid. 24. Le procédé a été admis par la CJCE (CJCE du 8.7.99, Anie, att. 132).

303 Commission du 23.4.86, Polypropylène, consid. 87. Whish, p. 197ss; Gudin, L'entente, p. 125 et 130; Franzosi, p. 385ss. Pour le droit suisse, cf. Conseil fédéral, Message LCart, p. 544; Zach, n° 270ss.

3o4 CJCE du 16.12.75, Suiker Unie, att. 174; CJCE du 14.7.72, ICI, att. 118; CJCE du 14.7.81, Ziïehner, att. 14.

y a une forte présomption de comportemente concerté entre entreprises lors-que celles-ci insèrent systématilors-quement dans leurs contrats des clauses qui dérogent notablement au droit dispositif ou à la réglementation découlant de la nature du contrat3os.

Néanmoins, un comportement parallèle ne constitue pas une preuve d'une pratique concertée si d'autres explications sont plausibles306 . Les en-treprises peuvent se comporter de façon identique, non en raison d'un désir de coordonner leur comportement, mais parce que leur appréciation indivi-duelle des conditions du marché leur dicte de suivre la stratégie du concur-rent afin de ne pas encourir la perte de clients307 . En particulier, l'analyse économique du marché peut révéler qu'un comportement parallèle est inno-cent quand le marché est oligopolistique, les produits sont homogènes et les prix transparents308. C'est pourquoi, dans l'affaire Zûchner, la CJCE a indi-qué à la juridiction nationale saisie du fond du litige qu'elle devait détermi-ner, outre d'éventuels prises de contact ou échanges d'informations entre banques, si, eu égard aux conditions du marché, les taux uniformément ap-pliqués étaient différents de ceux qui auraient résulté du libre jeu de la concurrence309. Un tel raisonnement est bien évidemment applicable aux autres conditions de transaction. Il appartient aux autorités de la concurrence de rechercher si le parallélisme de comportement peut être rattaché à un concours de volontés310.

La ligne de démarcation entre comportements parallèles autonomes et pratique concertée est difficile à tracer dans les faits. Pour qu'il y ait prati-que concertée, une coopération est sciemment substituée à la concurrence découlant d'actions indépendantes des entreprises. Cette coordination peut résulter de contacts directs ou indirects entre les parties311 .

3o5 Bovet, La nature juridique des syndicats de prêt et les obligations des banques diri-geantes et gérantes: aspects de droit des obligations, de droit bancaire et de droit cartel/aire, Fribourg (Ed. universitaires) 1991, n° 1224-1226.

306 CJCE du 14.7.72, ICI, att. 66; CJCE du 28.3.84, CRAM, att. 16 et 20; CJCE du 31.3.93, Pâtes de bois JI, att. 71.

307 Whish, p. 195; Grynfogel, p. 16.

308 Cf. CJCE du 14. 7. 72, ICI, att. 104ss; CJCE du 31.3.93, Pâtes de bois JI, att. 72, 101 ss.

Pour une analyse plus poussée, cf. Waelbroeck/Frignani, n° 133, selon lesquels le re-mède ne peut être que structurel puisque le parallélisme de compo1tement est causé par la structure du marché.

309 CJCE du 14.7.81, Züchner, att. 21.

310 Dans la pratique suisse, cf. Commission de recours pour les questions de concurrence, décision du 23.9.99, X, DPC 1999/3 p. 503 pt 4.2.

311 Whish, p. 196; Van Bael/Bellis, § 212 p. 34-35; CJCE du 14.7.72, ICI att. 64 et 118;

CJCE du 16.12. 75, Suiker Unie att. 26 et 174.