• Aucun résultat trouvé

B. Les problèmes majeurs posés par les conditions générales

1. Transparence

L'efficacité commande que tous les contractants acquièrent tant des infor-mations factuelles (sur le prix et la qualité du produit) que des inforinfor-mations juridiques (sur les conditions du contrat), étant précisé que la distinction entre les deux catégories d'information est floue s'agissant tout particuliè-rement des prestations de services218Il est indispensable que les acheteurs comparent les offres dans leur globalité et que le résultat de cette comparai-son joue un rôle déterminant dans leur décision de conclure219 . Le degré d'information du partenaire contractuel et la comparabilité des paramètres de concurrence sont deux éléments dont dépend la rationalité du comporte-ment à adopter.

Si, dans un marché où existent des offres différentes, le processus de sélection (théoriquement possible) entre les conditions générales n'a pas lieu, la concurrence est d'une utilité nulle. Or, le fait que les contrats types soient souvent inéquitables (one-sided), même lorsque le marché pour le produit vendu est largement compétitif, suggère que les défauts d'informa-tion et/ou les coûts de transacd'informa-tion interfèrent dans le processus concurren-tiel.

217 Kôtz, p. A35; Kliege, p. 27; G111nsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1117, re-lève que la situation évolue.

218 Burrows, p. 138. Cf. il1fra p. 177.

219 G111nsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1117.

A cet égard, il convient de distinguer entre le consommateur220 inexpé-rimenté en affaires, le consommateur éclairé et le professionnel agissant dans l'exercice de son métier. Plusieurs problèmes se posent et ont été sou-levés par la doctrine.

a. Les rapports entre entreprises et consommateurs

Premièrement, le consommateur inexpérimenté en affaires peut se mépren-dre sur l'importance des conditions générales dans l'équilibre économique du contrat: la problématique des conditions générales réside dans l'effet de dissimulation caractérisé par l'emploi de caractères d'imprimerie minuscu-les faisant croire au cocontractant au caractère insignifiant des clauses figu-rant dans les conditions générales221 . A cause de leur formulation générale et anonyme, le consommateur ne se sent pas personnellement concerné et accepte les conditions générales sans les examiner222. De surcroît, les conditions générales restent à l'arrière-plan des négociations.

Deuxièmement, le cocontractant ne possède pas forcément les connais-sances techniques et juridiques pour apprécier le contenu des conditions générales. Est ici également envisagée la situation du consommateur inex-périmenté en affaires. Par exemple, Hardegger remarque que le modèle de conditions générales de l 'Association suisse des banquiers ne comprend que 15 articles dont la formulation est concise et scrupuleuse, mais que cela ne change rien au fait que les clients non juristes ne les comprennent pas, ou seulement difficilement223Le consommateur moyen saisit, tout au plus, la portée des clauses facilement compréhensibles, telles que les rabais, l'échéance du paiement ou la durée du délai de garantie224 .

Les réglementations figurant dans les conditions générales sont détaillées et très complexes. Celles-ci, contrairement au prix et à la qualité matérielle d'un produit, ne sont pas transparentes. En règle générale, le profane est incapable d'apprécier les clauses dans leur portée entière et, a fortiori, de

220 Pour la notion de consommateur, cf. supra p. 7 note 5.

221 Kliege, p. 19ss.

222 Si bien que le fait que l'entreprise soit en position de monopole ou non ne fait aucune différence. Cf. Kliege, p. 27; Nordmann, p. 52.

223 Hardegger, p. 19-20.

224 Kôtz, p. A34-35, considère qu'en revanche les clauses de renversement du fardeau de la preuve, de prorogation de for, de limitations de responsabilité et résolution du contrat ne sont pas comparables sans grand effort.

comparer les différentes conditions générales entre elles225. La doctrine parle en termes peu flatteurs d'infériorité intellectuelle226.

La comparaison est d'autant plus difficile qu'elle requiert du consom-mateur qu'il procède à un bilan des clauses avantageuses et défavorables, qu'il prenne conscience de l'interaction entre, d'une part, les conditions générales et, d'autre part, le prix ou la qualité: par exemple, un court délai de garantie peut être compensé par un prix bas227 . Nordmann remarque que

«non seulement la concurrence entre prédisposants n'atténue pas la rigueur des clauses imprimées mais ce sont ces clauses mêmes qui faussent le jeu de la concurrence en faisant, pour un temps, apparaître comme compétitif un commerçant qui, en réalité, n'a pu fixer un prix inférieur que grâce à de larges exonérations de responsabilité et au transfert de nombreux risques sur la tête de l'adhérent»228. Or, la maximisation de la satisfaction du consommateur implique la pleine connaissance des coûts et bénéfices d'un contrat. Le consommateur moyen ne peut pas, le plus souvent, opérer des choix judicieux.

Troisièmement, pour pouvoir évaluer le contenu des conditions généra-les, le cocontractant doit être prêt à consacrer suffisamment de temps à la comparaison avec les autres conditions générales offertes sur le marché. Les coûts de transaction sont un facteur important pour les relations de force.

Alors même qu'il est expérimenté en affaires et apte à comprendre les conditions générales, le consommateur ne prend pas nécessairement le temps de procéder à une lecture minutieuse de celles-ci et à une comparaison ex-haustive des conditions générales existant sur le marché, voire d'exiger la négociation de certaines clauses. En effet, «le coût d'accès à l'information-coût en argent mais surtout l'information-coût en temps - est tel que, très généralement, il estimera disproportionnés, par rapport à l'avantage qu'il pourra en retirer, le

225 Cf. Baudenbacher, Grundprobleme, p. 217; Lôwe, p. 186; Kôtz, p. A34; Sticher, p. 57, cite en outre Rehbinder; Nordmann, p. 53. De même le TF dans!' ATF 80 I 66, JT 1955 1 118 consid. 4 au sujet des conditions générales d'assurance.

226 Forstmoser, p. 106. Dans la doctrine allemande, Kôtz, p. A33; Wolf, p. 15; Lôwe, p. 186.

Dans le même sens, Babusiaux, in Balladur/ Arthuis, p. 57. Grnnsky, Erwiderung, p. 190, trouve que c'est une présentation bien pessimiste du consommateur, qui est sous-estimé, et est sûr que la prise de conscience par les consommateurs de leur rôle peut être déve-loppée.

227 Baudenbacher, Grundprobleme, p. 222, remarque que les conditions générales peuvent faire l'objet de comparaison si le prix et la qualité des prestations sont semblables.

228 Nordmann, p. 53.

temps et l'argent "consommés" à cette fim>229. En d'autres termes, le gain que lui apporterait une telle démarche (à savoir conclure à des conditions favorables) peut ne pas compenser, à ses yeux, le coût qu'elle engendre.

L'ignorance est rationnelle lorsque les coûts d'acquisition d'information excèdent le bénéfice attendu des informations obtenues; inversement, l 'igno-rance est irrationnelle si le bénéfice est supérieur aux coûts23o.

Par ailleurs, une partie importante des conditions générales réglemente les cas de violation du contrat, hypothèses que le cocontractant n'est pas disposé à envisager lors de la conclusion du contrat, car il part de l'idée que l'exécution du contrat se déroulera sans accroc231 . La probabilité que le produit ait un défaut est jugée trop faible pour que cela vaille la peine de revoir en détail le contrat.

Force est donc de constater qu'à l'égard des consommateurs la concur-rence n'agit pas de la même manière sur les prix que sur les conditions. Les mécanismes du marché ne résolvent pas les problèmes posés aux consom-mateurs par l'économie moderne, tels que la multiplication (parfois artifi-cielle232) des choix offerts au quotidien, la cherté du temps et le difficile

229 Babusiaux, in Balladur/ Arthuis, p. 57. Cf. également Belser, p. 43 7-438; Hadfield/Howse/

Trebilcock, p. 145 etl46; Association suisse des banquiers, p. 126-127. Kôtz, note 53 p. A33, estime que même si le consommateur possédait les connaissances juridiques et commerciales nécessaires pour comprendre les conditions générales, ce serait économi-quement un non-sens pour le consommateur individuel d'investir du temps et de l'ar-gent dans la négociation de conditions favorables pour lui, car la réalisation des risques dont il chercherait à se décharger est improbable au moment de la conclusion du contrat et, si toutefois elle survenait, entraînerait un dommage patrimonial minime (cf. son exem-ple chiffré à la note 51) par rapport aux coûts de négociation. De plus, le consommateur conclut journellement des contrats de contenu fort varié.

230 Cooter/Ulen p. 189. Le bénéfice ne consiste pas en l'obtention de clauses spéciales individuelles, seul bénéfice que considère Beimowski (p. 16) - ce serait utopique-, mais en la conclusion d'un contrat plus favorable avec un autre offrant.

L'état optimal d'information est atteint lorsque, pour la dernière information acquise, les coûts marginaux équivalent à la recette marginale et lorsque, pour des informations supplémentaires, les coûts dépassent l'utilité marginale. Plus l'information est extraor-dinaire, plus elle est chère. Le coût de l'information sur la qualité du produit est diffé-rent selon qu'il s'agit d'unsearch good, d'un experience good ou d'un credence good.

La recette dépend de l'utilisation faite de l'information (Graumann, p. 906-907; Hadfield/

Howse/Trebilcock, p. 142 et note 17). Hadfield/Howse/Trebilcock, p. 139, soulignent, encore, l'importance des sunk costs: quand un consommateur risque de perdre de l'ar-gent, cela modifie Je threat point du consommateur et convertit ce qui aurait été un environnement concurrentiel en un environnement où peu de personnes négocient.

231 Lowe p. 186; Kliege, p. 27; Hadfield/Howse/Trebilcock, p. 146.

232 L'utilisation de conditions générales dont la fo1mulation varie grandement d'un auteur à l'autre entraîne une différenciation artificielle des prestations, lorsque des formulations différentes sont utilisées pour des clauses ayant le même effet.

accès à l'information233. Il est impossible de s'informer suffisamment rapi-dement sur toutes les offres possibles. La disparité en informations s'est aggravée dans l'économie moderne.

Le mécanisme d'apprentissage, qui résulte des mauvaises expériences, n'est pas un argument qui peut être retenu. D'abord, il présuppose des rap-ports juridiques répétés. Ensuite, si «les e1Teurs commises dans un premier temps sont[ ... ] utiles car porteuses d'une précieuse information» et si «cer-tains participants peuvent alors progressivement améliorer leurs prises de décisions» en tirant leçon de leurs échecs, «la prise en considération du phénomène de la rationalité limitée [capacités trop réduites pour recevoir, emmagasiner et traiter une information riche et complexe, et possibilités limitées de communiquer ses connaissances et sentiments] rend le proces-sus d'apprentissage et de diffusion de l'information beaucoup moins évi-dent et beaucoup plus lent. Son coût déjà élevé, dans la mesure où la correc-tion des imperfeccorrec-tions ne vient qu'après que les erreurs ont été commises, peut alors augmenter dans des proportions considérables»234 . Il n'est par conséquent pas possible de s'en remettre à la coordination progressivement plus efficace des décisions individuelles dans le domaine des conditions générales.

Reste encore à mentionner le cas exceptionnel dans lequel c'est le consommateur qui possède l'infonnation manquant au vendeur. Ce dernier peut alors imposer une clause destinée à maîtriser l'asymétrie d'information au lieu d'augmenter le prix de sa prestation. Ainsi, dans les domaines de l'assurance et du crédit, certaines clauses visent à protéger l'assureur ou la banque et semblent à première vue restrictives ou désavantageuses, mais peuvent en fin de compte avantager le consommateur235.

En conclusion, dans le domaine des conditions générales, «l 'applica-tion de la libre concurrence par le consommateur relève [en réalité] plus du mythe que d'autre chose»236. Sauf pour les achats les plus importants, le consommateur n'a pas les moyens de jouer son rôle d'arbitre. L'offrant agit dans le cadre de son activité professionnelle et jouit par conséquent d'une supériorité vis-à-vis du consommateur, qui ne peut s'occuper en détail des particularités des biens ou services offerts et ne peut assimiler toutes les

233 La libéralisation du marché des télécommunications, qui était souhaitée par les organi-sations de protection des consommateurs, ne simplifie pas la tâche du consommateur qui veut comparer les différentes options apparaissant sur le marché. Cf. Desaules, p. 59.

234 Glais/Laurent, p. 109 et 111.

235 Hadfield/Howse/Trebilcock, p. 143.

236 Bihl, p. 35; Bienaymé, La problématique du sujet, p. 26-27.

connaissances particulières que requiert un examen complet des conditions générales237. Tout au plus, l'examen du consommateur portera sur une, voire quelques clauses des conditions générales.

b. Les rapports entre commerçants ou pmfessionnels

On peut attendre des professionnels exerçant dans leur branche qu'ils soient attentifs aux conditions générales, qu'ils en saisissent la portée et procèdent à la comparaison des différentes offres. En principe, la concurrence entre offrants conduit à un assainissement des conditions générales destinées aux rapports commerciaux avec des professionnels.