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Le lien entre les conditions générales et la concurrence est apprécié de ma-nière différente. Toutefois, la littérature juridique est majoritairement scep-tique quant à l'aptitude de la concurrence à assainir l'offre en matière de conditions généralesl96.

Selon la pensée libérale, le mécanisme de concurrence garantit l'équité matérielle des conditions générales (materielle Konditionengerechtigkeit)

194 Gabszewicz, p. 98.

195 Hadfield/Howse/Trebilcock, p. 135.

196 La catégorisation des courants de pensée qui suit est tirée de Baudenbacher, Grundprobleme, p. 209ss. Les autres auteurs, essentiellement Sticher et Beimowski, ont classé les diverses opinions de manière différente: Sticher, p. 54ss, a regroupé les auteurs selon qu'ils pensent qu'un contrôle des abus des entreprises dominantes est suffisant, qu'ils estiment que la concurrence a besoin d'un stimulant ou qu'ils considèrent qu'en tout état de cause la concurrence est inefficace; Beimowski, p. 12ss, présente, outre l'école libérale, les avis qui soulignent en particulier le problème de supériorité écono-mique des utilisateurs de conditions générales et ceux qui se penchent sur le problème de l'efficacité économique dans l'hypothèse du consommateur se trouvant face à une offre diversifiée.

et par là une allocation optimale des risquesl97. Il n'y aurait pas de raison d'admettre que la concurrence mène à des prix équitables et de dénier cette aptitude aux conditions généralesl98. L'Etat devrait seulement s'assurer que le consentement donné lors de la conclusion d'un contrat est exempt de vices et ne pas se préoccuper du caractère équitable du contenu du contrat.

Les tenants du principe systémique (systemtheoretischer Ansatz) par-tent également de l'idée que les marchés concurrentiels se réglemenpar-tent par eux-mêmes 199 . La concurrence entre offrants amène ces derniers à formuler leurs conditions générales de manière à maximiser les intérêts du client200 : si un vendeur offre des conditions peu favorables à l'acheteur, il se trouvera un vendeur concurrent désirant attirer le client qui proposera des clauses plus avantageuses201 . Dans la littérature économique, Posner (principal re-présentant de la Chicago School) défend cette thèse: l'acheteur à qui sont présentées des conditions générales qu'il doit accepter en bloc à moins de renoncer au contrat, a en réalité un véritable choix, dans la mesure où il peut refuser de signer en sachant que, si des conditions générales plus favorables sont possibles, un autre vendeur les lui proposera202. Ainsi, dans un marché concurrentiel, le cocontractant s'adresse à l'offrant qui lui propose les conditions générales les plus favorables et les conditions générales inadé-quates devraient dès lors, à long terme, automatiquement disparaître. Les conditions générales qui subsistent sont le résultat des préférences des de-mandeurs. Les tenants de cette pensée citent l'exemple du commerce de voitures neuves ou d'occasion où la prestation de garanties' est améliorée203.

197 Sur le lien entre équité et efficacité, cf. infra p. 135.

198 Cf. Baudenbacher, Grundprobleme, p. 210.

199 v. Bnmn, cité par Baudenbacher, Grundprobleme (p. 213s) et Sticher (p. 54); Grunsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1116 et 1117.

200 Grunsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1116; Grunsky, Erwiderung, p. 190;

Emmerich, p. 65; Engel, La liberté contractuelle, p. 48.

201 Grunsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1117, reconnaît toutefois qu'en raison de l'absence de prise de conscience par les consommateurs de leur rôle, les vendeurs n'ont que peu de chance d'accroître leur part de marché en offrant des conditions favo-rables, mais relève que la situation évolue depuis peu.

202 Posner, p. 102. Toutefois deux remarques fragilisent sa position (p. 102-103). D'une part, il déclare que les clauses figurant dans les conditions générales seront générale-ment les mêmes dans un marché concmTentiel et dans un marché monopolistique (seul le prix différera). D'autre paii, il reconnaît que «l'utilisation de caractères d'imprimerie minuscules pe1met de glisser des clauses défavorables aux clients imprévoyants», mais il considère ce procédé comme un problème de fraude (en raison du coût excessif de recherche imposé aux clients) et non pas de pouvoir inégal de négociation.

203 Cf. par exemple, Grunsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1116; Emmerich (7e édition), p. 95, cite le cas du fabricant Ford, qui, en violation de l'accord cartellaire, proposait des délais de garantie plus longs.

Pour les défenseurs de la théorie systémique, les forces du marché sont à même de contribuer à la lutte contre les clauses inéquitables204. Ils sont d'avis que les conditions générales inéquitables ne sont tout au plus qu'un problème de monopole2D5: elles sont la manifestation d'un abus de pouvoir de marché. Un contrôle du contenu des conditions générales ne s'impose, par conséquent, qu'en cas de position dominante.

Parmi eux, Grunsky reconnaît, toutefois, que la concurrence en matière de conditions ne fonctionne que dans de rares cas. Néanmoins, il rejette toute intervention de l'Etat dans le contenu des clauses contractuelles, car elle ne mène pas à une sensibilisation des consommateurs aux dangers liés aux conditions générales206. Posner considère, pour sa part, qu'une inter-vention de l'Etat dans le contenu des conditions générales a pour consé-quence une augmentation du prix au détriment du client207.

L'école ordo-libérale (ordo-liberale Schule) relève que le mécanisme contractuel libéral n'aboutit pas à des résultats équitables lorsque la liberté de décision d'une des parties au contrat fait défaut, soit à cause de sa dépen-dance économique envers l'autre, soit en raison de son incapacité à évaluer le contenu des conditions contractuelles. La concurrence en tant que garant de l'équité des conditions n'est possible que si les forces des parties en présence sont équilibrées. La possibilité du cocontractant de refuser de conclure est un facteur déterminant. Cependant, se fondant sur la constata-tion que des condiconstata-tions inéquitables sont utilisées aussi bien dans des mar-chés où la concurrence est intense que dans des marmar-chés monopolistiques,

204 Grunsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1118. Cet auteur (p. 1116) relève que, face à un vendeur, l'acheteur se trouve également devant l'alternative de take-it-or-leave-it non seulement à l'égard des conditions générales, mais également vis-à-vis de la qualité matérielle du produit que propose ledit vendeur; or, cette situation ne motive pas l'exigence d'un contrôle étatique généralisé de la qualité. Selon lui, il est faux de considérer isolément les éléments d'un contrat.

205 Posner, p. 102; v. Brunn, cité par Baudenbacher, Grundprobleme (p. 2 l 3s) et Beimowski (p. 13).

206 Gnmsky, Allgemeine Geschiiftsbedingungen, p. 1117: l'éducation des consommateurs doit découler de leurs (mauvaises) expériences, d'un processus d'apprentissage. Selon Beimowski, p. 17, le contrôle par la concurrence n'est possible que lors d'achats répétés et dans les secteurs où l'échange d'informations est très actif. Dans le même sens, Junod, Protection des conso111111ateurs, p. 398-399, relève les lacunes de la formation des consommateurs en cette matière.

Lowe, p. 186, pense que l'opinion de Grunsky est utopique si on considère que même à l'égard du prix et de la qualité, les consommateurs ne sont pas suffisamment critiques ni rationnels. Grunsky, Erwiderung, p. 189, rétorque qu'on doit laisser au consommateur le pouvoir de juger de ce qui lui convient ou non, à moins de décider de le mettre sous tutelle.

207 Posner, p. 103-104.

une partie importante des auteurs (en particulier dans la doctrine juridique) considèrent que les conditions générales échappent dans une large mesure à la loi de l'offre et de la demande208.

Il faut placer cette opinion dans le contexte de la demande finale. Les conditions ne s'avèrent pas être un vrai critère de choix pour les consomma-teurs. En effet, si la comparaison des prix et des qualités est relativement facile, celle des conditions générales est difficile. Etant donné leur complexité, les conditions générales ne sont pas par nature transparentes. La concurrence en matière de conditions n'a dès lors pas les mêmes effets que celle dans le domaine des prix. Baudenbacher pense ainsi que si, à l'égard des conditions générales utilisées entre entreprises, la concurrence garantit l'équité des clau-ses, elle est inopérante à l'égard des conditions générales imposées au consommateur209. Plus la position du contractant est strncturellement fai-ble, moins la concurrence réussit à contrôler l 'offre210.

L'école ordo-libérale préconise donc une intervention étatique pour amé-nager un cadre juridique qui garantit l'autonomie privée. Non seulement le droit de la concurrence doit veiller au maintien d'un espace exempt de posi-tions de force, dans lequel les sujets peuvent librement se développer211 , mais encore le droit privé ou administratif doit préserver une certaine jus-tice contractuelle.

Après ce rapide survol des différents courants de pensée, il convient d'approfondir les défauts du marché qui règnent dans le domaine des condi-tions générales. A la lecture de la doctrine, il semble que des études empiri-ques sur l'efficacité de la concurrence portant sur les conditions des contrats n'existent pas. C'est regrettable. Les avis ne peuvent donc reposer que sur des intuitions et des déductions tirées de la théorie économique. Je serai amenée à me pencher, plus particulièrement, sur les variables transparence et strncture du marché. Une distinction selon le destinataire des conditions générales s'avérera nécessaire dans la mesure où la position de négociation des différents types de clientèle diffère en fonction du degré de leurs connaissances en affaires.

208 Nordmann, p. 53; cf. également Baudenbacher, Grundprobleme, p. 216ss; Kliege, p. 27-28; Lowe, p. 185-186; Wessner, Les contrats d'adhésion, p. 188-189.

209 Baudenbacher, Grundprobleme, p. 221-223 et 283.

2IO Belser, p. 437.

211 En cela, l'école ordo-libérale ne se démarque pas de la théorie systémique.