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Préparer le lieu où manger ensemble la Pâque (Le 22, 7-13) Dans ce récit, l'acteur Jésus envoie Pierre et Jean « préparer la pâque pour que nous la

Comment Jésus parle-t-il?

2. Préparer le lieu où manger ensemble la Pâque (Le 22, 7-13) Dans ce récit, l'acteur Jésus envoie Pierre et Jean « préparer la pâque pour que nous la

mangions. » D'un espace où ils sont ensemble, il les convoque à quitter leur lieu initial vers un autre lieu, désigné par la parole. Dans cette parole d'envoi, l'enjeu consiste dans la possibilité de « manger ensemble la pâque ». Le déplacement semble ainsi indiquer un lieu d'où un autre type de relation est possible.

2.1 Une parole d'envoi. L'enjeu du déplacement

Il est intéressant de constater que la parole d'envoi de l'acteur Jésus, bien que convoquant à un déplacement dans l'espace, ne désigne pas son terme dans un élément spatial mais plutôt dans une finalité relationnelle: « manger ensemble ». Il est ainsi surprenant qu'à l'injonction «Aller», qui suppose un déplacement spatial, il n'y ait a priori aucune référence à un endroit précis, tel qu'une salle spécifique. L'enjeu du déplacement est ainsi

126 Jean-Yves Thériault. « D'un repas de communion et d'alliance à une offrande sacrificielle ». Sémiotique et Bible 139(2010). p. 26.

corrélé à la possibilité de « former une communauté de table avec ses "disciples"127», plutôt qu'à la préoccupation de trouver un espace physique comme tel.

S'il y a bien convocation à un déplacement dans l'espace, et qu'il n'est pas a priori dans l'espace référentiel, il se situe sur une autre scène. Ce mouvement dans l'espace pourrait signifier un changement de position de la part des destinataires, qui serait nécessaire afin qu'un « nous » puisse véritablement « manger ensemble la pâque ». L'enjeu porterait plutôt sur la possibilité d'instaurer une communion nouvelle entre l'acteur Jésus et ses destinataires, au-delà du parcours intégrant la mort et la disparition du corps physique.

2.2 La question du lieu

Les disciples entendent bien l'appel au déplacement dans la demande de Jésus, mais y entendent une ambiguïté: « où » les convie-t-il à préparer? Entre la parole d'envoi de l'acteur Jésus et la question de ses destinataires, une tension est créée autour de la question du lieu, entre le lieu en soi, et le lieu en tant qu'il fut désigné par la parole de l'acteur Jésus. L'enjeu semble ainsi reposer sur les conditions de la réalisation de la demande de l'acteur Jésus: les disciples chercheront-ils dans un lieu en soi l'accomplissement de la demande de Jésus, ou plutôt discerneront-ils dans cet envoi un appel à se situer par rapport à une parole donnée et qui est à croire?

2.3 La réponse adressée aux disciples

Voici qu'à votre entrée dans la ville un homme portant une cruche d'eau viendra au-devant de vous. Suivez-le dans la maison où il pénétrera, et vous direz au propriétaire de la maison: Le Maître te dit: Où est la salle, où je pourrai

manger la pâque avec mes disciples? Et celui-ci vous montrera à l'étage, une grande pièce aménagée; faites-y les préparatifs128.

À la question posée par Pierre et Jean lorsqu'ils sont envoyés préparer la Pâque - « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs? »- Jésus leur répond d'une façon plutôt énigmatique. On est en droit de se questionner sur la signification de l'économie d'une réponse simple et précise à la question des disciples. Pourquoi ce long détour de la part de l'acteur Jésus, qui s'épuise à désigner étape par étape la procédure à suivre? De quel type de discours est-il question au juste, dont les détails clairvoyants de l'acteur Jésus semblent le doter de pouvoirs de voyance et de prédiction?

Il convient de garder en mémoire que l'enjeu de déplacement auquel sont convoqués les disciples ne semble pas d'abord viser un aboutissement physique, mais plutôt les conditions de possibilités de « manger ensemble ». Le déplacement ainsi visé concernerait un changement de position. Les disciples sont convoqués à basculer sur une autre scène. Mais quelle scène au juste?

Il convient de se pencher sur les modalités par lesquelles l'acteur Jésus répond aux disciples. En-deçà du caractère énigmatique de cette réponse, quel est l'enjeu fondamental de son acte de parole?

2.3.1 Une parole qui appelle à être reçue et crue

Entre la parole d'envoi et sa réalisation, l'acteur Jésus adresse à ses destinataires des paroles qui demandent à être reçues et crues. Ainsi, les conditions de l'accomplissement de la demande « aller préparer la pâque » nécessitent de la part des disciples qu'ils écoutent et croient dans les paroles de Jésus, qui leur ouvrent le chemin pour arriver au lieu recherché.

De fait, puisque Jésus n'indique pas d'endroit précis mais qu'il formule plutôt des repères et des actions à entreprendre, la foi en ses paroles et ultimement la foi en celui qui les adresse, est tout à fait fondamentale. Autrement dit, l'acteur Jésus fournit des signes à ses disciples, exigeant ainsi un acte d'interprétation et non seulement un simple décodage. Comme le dit Jean-Yves Thériault, « l'interprétation dépasse en effet le simple décodage, car elle fait appel à la parole entendue pour que le signe se charge d'un signifié réservé à ceux qui font confiance à cette parole. Ce monde de connaissance prend le pas sur la communication directe du savoir129. » Parlant ainsi, l'acteur Jésus envoie les disciples sur sa parole qui, reçue par eux, leur permettra de discerner dans la réalité perçue les traces de la parole leur défrichant une voie jusqu'au lieu où « manger ensemble la pâque ». La parole reçue ouvre un autre plan de signification sur la réalité brute, délogeant ainsi d'une logique binaire enfermant dans un rapport d'immédiateté au monde. Ultimement, c'est le déplacement du sujet vers une position d'énonciataire qui permet cet avènement de signification.

2.3.2 Une parole accomplie qui convoque la reconnaissance de la part des disciples

À la jonction entre la parole reçue et la réalité brute, se situe un acte d'interprétation de la part des destinataires. C'est de leur position d'énonciataire que se noue la signification qui suscite un mouvement de reconnaissance du lieu. La parole de l'acteur Jésus les inscrit dans ce processus d'interprétation, qui nécessite une position de foi en sa parole donnée, où il est question de « répondre de la parole de l'Autre130. »

Les destinataires parviennent à repérer le lieu à partir de leur interprétation des signes donnés par l'acteur Jésus. Cependant, bien que « s'en étant allés, ils trouvèrent les choses selon ce qu'il leur avait dit131 », il n'est pourtant pas encore certain que cette démarche ait permis qu'ils soient arrachés à leur position initiale de sujet vers une position d'où ils puissent être situés dans un rapport au monde médiatisé par la parole.

12 J.-Y. Thériault. « D'un repas de communion et d'alliance... ». p. 27.

130 Denis Vasse. « Répondre de la parole dans la chair ». Études 385 (1996). p. 58. 131 Le 22. 13.

2.3.3 Vers une position du sujet relative à la parole

Les destinataires sont convoqués à un déplacement dans leur statut de sujet, afin d'être instaurés comme sujet énonciataire. La parole désigne cette position de sujet, plutôt qu'un lieu physique en soi. Le récit de la préparation de la Pâque met en discours les conditions de possibilités de l'émergence de sujet de la parole. Fondamentalement, il en va de la posture même du sujet par rapport à la réalité et aux choses. Comme le dit Louis Panier, « un sujet peut être lié à la valeur des objets qu'il acquiert, mais un sujet peut être lié à la parole adressée qui l'a désigné132. » À partir de ces considérations, la question qui se pose, et à laquelle il n'est pas encore possible de répondre, concerne le rapport des disciples au lieu trouvé: se situent-ils dans une logique binaire relevant d'un rapport d'immédiateté au lieu physique ou encore dans une logique ternaire les rapportant à ce lieu en tant qu'une parole adressée l'a désigné?

Si l'on ne peut répondre à cette question du côté des disciples, la position désignée pour vivre le repas est définie. Ce lieu où « l'homme est maintenant situé par une parole de Dieu, et par rapport à elle133 » est aussi celui où la communion est possible. Le déplacement concerne l'arrachement au rapport fusionnel avec les choses vers une position de retrait, ouvrant sur les registres de la croyance et de la signifiance.