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Sortir de la fixation Le débrayage

1. L'irruption de l'Autre

1.1 L'échec du débrayage à travers la figure des pharisiens

Comme il fut exposé dans l'analyse, Jésus assume totalement la position du lecteur des Écritures et plus particulièrement la position filiale renvoyant à la logique ternaire de la circulation de la parole Ainsi, ii se situe toujours d'emblée dans la logique de l'identification symbolique en tant que de sa position, il se reçoit constamment de la Parole originaire, l'Autre par excellence. L'acteur Jésus est absolument ajusté à l'Autre et décentré de lui-même, à un point tel qu'il devient une figure à lire de la Parole de Dieu, du Verbe du Père.

Étant ainsi situé, l'acteur Jésus manifeste l'Autre: il révèle le « pur signifiant », à travers la figure du Père, appelant une énonciation portée par la structure ternaire de l'Amour. Son parcours prend sa consistance de cette relation parfaitement ajustée à l'altérité radicale de Dieu. Conséquemment, l'acteur Jésus incarne l'altérité radicale de Dieu tout au long de son parcours, d'où le fait qu'il soit si dérangeant. Du lieu de l'identification symbolique, il convoque ses destinataires à un déplacement vers cet espace d'ouverture au réel, lequel

194 Michel de Certeau. « L'espace du désir ou Le fondement des Exercices Spirituels ». Christus [XX] 77 (1973). p. 121.

195 Comme l'élaboration de cette anthropologie s'appuie sur l'analyse du chapitre 22 de l'évangile de Luc, nous avons opté pour des figures de l'altérité qui s'y retrouvent. Or. dans l'évangile de Luc même, d'autres figures renvoient à cette altérité qui transforme: les pauvres, les enfants, les femmes... Nous ne voulons donc pas réduire les multiples médiations par lesquelles l'Autre se manifeste. Plus globalement encore, il s'agit de reconnaître dans la société les lieux où l'Autre se révèle. À ce sujet, nous renvoyons à l'ouvrage Les tiers, de Jacques Grand'Maison. à travers lequel l'auteur retrace différentes figures de l'Autre dans notre société. Cf. Jacques Grand'Maison. Les Tiers, v. 1-3: Analyse de situation: Le manichéisme et son dépassement: Pratiques sociales. Québec. Fides. 1986.

appelle un passage par la perte. À travers les figures des pharisiens et de Pierre, cette perte peut soit être refusée ou assumée.

L'acteur Jésus dérange en premier lieu les pharisiens du fait qu'il manifeste et crée l'espace qui échappe à leur saisie et à leur contrôle: le lieu de l'Autre. Comme il fut exposé précédemment, la figure des pharisiens incarne ce détournement de la parole de Dieu vers leur propre quête de pouvoir, notamment de contrôle sur le peuple. L'acteur Jésus, assumant l'altérité radicale de Dieu dans sa parole, permet à son destinataire d'advenir comme « autre » irréductible et insaisissable: comme un sujet libre. Il rend possible que l'autre naisse comme sujet de la parole originaire, dans la position de « fils [et fille] bien- aimé ». Ainsi, non seulement l'acteur Jésus porte-t-il l'altérité radicale de Dieu, mais il la crée aussi dans les sujets qui l'écoutent et qui croient en sa parole, telle la figure du peuple qui est évoquée au début du chapitre 22. Sa parole transforme ainsi non seulement les sujets, mais la dynamique relationnelle entre eux.

Conséquemment, l'acteur Jésus devient doublement dérangeant pour les pharisiens qui sont « castrés » dans leur quête de puissance, laquelle réduisait Dieu et le peuple à des objets manipulates. D'une part, comme énonciataire de la parole des Écritures, l'acteur Jésus témoigne de ce qui les dépasse absolument: il manifeste l'altérité radicale de Dieu qui les révèle à leur condition de sujet désirant. D'autre part, enseignant le peuple, situé en position d'énonciataire, il inscrit dans ses destinataires l'espace de la parole de Dieu, d'où des sujets peuvent naître. L'acteur Jésus assume et inscrit une logique ternaire ouverte à l'altérité radicale de Dieu, instaurant ainsi un régime de relations ne permettant plus la domination de l'autre au nom de l'Autre. Par l'acteur Jésus, les pharisiens se retrouvent devant un nouvel « autre » qui les convoque à une rencontre: le peuple. Ouvrant des espaces d'altérité dans les sujets et entre eux, l'acteur Jésus rend possible que le peuple soit resitué en position de sujet. Ainsi, cette posture crée un espace de liberté à l'égard de l'emprise des pharisiens qui réduisait le peuple à un objet de manipulation. Ainsi, par les modalités de parole de l'acteur Jésus qui témoigne du tout-Autre, le peuple est arraché au pouvoir des pharisiens, qui découlait de l'instrumentalisation de Dieu.

L'acteur Jésus bouscule les pharisiens dans leur quête de toute-puissance. Ils sont en quelque sorte « renversés de leurs trônes 196», resitués dans une position de manque radical d'où le don d'une alliance fondatrice avec le tout-Autre leur est adressé. À travers ce débrayage, les pharisiens sont eux-aussi convoqués à naître comme sujets de la parole et à vivre une rencontre: avec l'Autre, avec le peuple devenu sujet.

L'irruption de l'altérité est dérangeante et entraîne un mouvement de débrayage. À travers la figure des pharisiens, l'échec du processus de débrayage est mis en discours: les pharisiens refusent le déplacement et restent ainsi campés dans leur position de sujet de pouvoir. Le refus qu'ils adressent apparaît davantage comme une réaction pulsionnelle que comme une décision libre, montrant avec plus de force leur statut de non-sujet. Les pharisiens sont esclaves de leur instinct pulsionnel et sont ainsi pris dans un désir de se soumettre les autres. Face au déplacement provoqué par l'événement de l'altérité, qui fondamentalement est salutaire, il est néanmoins possible de refuser et de se braquer dans ses représentations. Le refus du débrayage est ainsi une réaffirmation du refus de l'Autre et ultimement, de la parole originaire.