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A) Optimisations du système de ligand fishing

1. Préparation des sondes plasmidiques

Trois molécules ont été sélectionnées pour notre étude de l’interactome des adduits des dérivés du platine : le cisplatine, l’oxaliplatine, et le JM118, métabolite actif du satraplatine. En premier lieu, l’introduction de lésions sur les plasmides par les dérivés du platine qui nous intéressent a fait l’objet de tests portant sur la réactivité de ces derniers sur l’ADN nu afin de déterminer les conditions optimales permettant de contrôler la quantité de lésions par plasmide.

 Influence du DMSO

Les premiers essais de platination de l’ADN faisaient appel à une exposition de plasmides après fixation sur les billes magnétiques, à une concentration de 33µM cisplatine durant 02h00 à 37°C. Ce protocole utilisait une solution de cisplatine dilué dans le DMSO. Il suivait en cela une méthode couramment utilisée en laboratoire depuis plusieurs années, et notamment recommandée par le National Cancer Institute américain pour les études sur la toxicité du cisplatine. Cette molécule, dont la capacité de dissolution en solvant aqueux n’est pas optimale, est alors diluée dans une solution de DMSO pour utilisation sur des lignées cellulaires. Le taux de lésions 1,2-d(GpG) initialement mesuré lors de la préparation d’ADN lésé directement sur billes était de 8,7 adduits par plasmide. Bien que ce protocole ait tout de même permis de réaliser les premiers essais de capture de protéines, les taux de lésions mesurés après vieillissement de la solution cisplatine-DMSO (cinq mois) se sont avérés quasi nuls.

Or, peu après nos expériences préliminaires de ligand fishing, il a été démontré que le cisplatine est capable de réagir rapidement avec le DMSO pour former un composé (Figure 40) capable de pénétrer à l’intérieur de la cellule mais qui a perdu son aptitude à réagir avec l’ADN double-brin (Fischer et al., 2008), réduisant considérablement la cytotoxicité du cisplatine dès avant son entrée dans la cellule. Nous avons dès lors directement utilisé des préparations thérapeutiques de cisplatine sans DMSO pour traiter notre ADN, ce qui a garanti la production d’un nombre plus élevé de lésions (30-40 adduits 1,2-d(GpG) par plasmide).

Figure 40 : Structure de l’adduit DMSO sur la molécule de cisplatine (adapté de

Fischer et al., 2008).

 Optimisation de la concentration et de la durée d’exposition aux agents platinés Comme il n’était pas possible de conserver durablement l’ADN fixé (impossibilité de congeler les billes), cela impliquait de réaliser la réaction de platination avant chaque test, introduisant par là une variabilité du nombre de lésions d’une expérience à l’autre. Ceci devenait d’autant plus critique que nous souhaitions introduire dans nos expériences l’oxaliplatine et le satraplatine, pour lesquels on pouvait envisager une variabilité similaire. Nous avons donc décidé de préparer des lots de plasmides lésés, ce qui permettait de disposer de quantités importantes d’ADN présentant des taux de lésions similaires, favorisant la reproductibilité de nos expériences. Ainsi, afin de contourner cet obstacle nous avons décidé de déterminer les conditions d’exposition les plus favorables à l’obtention d’une quantité prévisible et similaire d’adduits spécifiques (1,2-d(GpG) et 1,2-d(ApG)) pour chacun des trois agents. Pour ce faire, nous avons réalisé une expérience de platination d’ADN plasmidique circulaire en utilisant cinq concentrations et trois temps d’exposition, et au cours de laquelle les deux types de lésions majoritaires ont été recherchés par CLHP-SM/SM.

Précisons que, si des méthodes de quantification des adduits 1,2-d(GpG) du cisplatine et de l’oxaliplatine avaient déjà été mises au point dans notre laboratoire, il a été nécessaire de préparer des solutions calibrées et mettre au point les méthodes de dosage pour les adduits manquants, à savoir 1,2-d(GpG)-JM118 et les adduits 1,2-d(ApG) générés par chacun des trois dérivés du platine. Les résultats de ces cinétiques sont présentés sur les Figures 41, 42 et 43.

En accord avec la littérature, l’adduit 1,2-d(ApG) est généré en plus faible quantité que l’adduit 1,2-d(GpG) pour les trois agents testés. Indépendamment du temps d’exposition, des plateaux de formation des lésions sont systématiquement observables pour le cisplatine et le JM118.

Dans le cas du cisplatine, ce plateau est atteint à partir de 132µM, se situant autour de 65 adduits 1,2-d(GpG) par plasmide. Le plateau de formations des dommages 1,2-d(ApG) se situe à la même concentration au temps d’exposition long (06h00), alors qu’il est observé à plus forte concentration (264µM) pour les temps d’exposition court (02h00) et moyen (04h00).

Dans le cas du JM118, le plateau est atteint autour de 264µM pour les deux types d’adduit, et les valeurs oscillent selon les temps d’exposition entre 96-120 pontages 1,2-d(GpG) et 26-45 pontages 1,2-d(ApG).

Dans le cas de l’oxaliplatine, on observe des courbes de platination tout à fait différentes. On remarquera leur forme linéaire, qui ne suit pas du tout celles observées pour les deux autres dérivés. Aucun plateau n’est cette fois atteint.

Figure 41 : Cinétique de formation des adduits majoritaires (1,2-d(GpG) et

1,2d(ApG)) du cisplatine sur plasmides non fixés (cinq concentrations et trois temps d’exposition).

Figure 42 : Cinétique de formation des adduits majoritaires (1,2-d(GpG) et

1,2d(ApG)) du JM118 sur plasmides non fixés (cinq concentrations et trois temps d’exposition).

Figure 43 : Cinétique de formation des adduits majoritaires (1,2-d(GpG) et

1,2d(ApG)) de l’oxaliplatine sur plasmides non fixés (cinq concentrations et trois temps d’exposition).

Le protocole d’exposition des plasmides destinés à la construction du piège a été établi en conséquence, avec l’objectif de produire un taux homogène d’adduits 1,2-d(GpG) par plasmide. Les concentrations et temps sélectionnés en conséquence sont les suivants : cisplatine = 67μM pendant 02h00 ; oxaliplatine = 200µM pendant 04h00 ; JM118 = 67µM pendant 02h00. La proportion relative théorique des deux adduits majoritaires pour ces conditions, d’après nos cinétiques de platination, sont visibles dans le Tableau 10.

Cisplatine Oxaliplatine JM118

Type d'adduit 1,2-d(GpG) 1,2-d(ApG) 1,2-d(GpG) 1,2-d(ApG) 1,2-d(GpG) 1,2-d(ApG)

Pourcentage moyen

de répartition 68% 32% 89% 11% 63% 37%

Tableau 10 : Pourcentage moyen relatif de la répartition des deux adduits majoritaires

dans les conditions de platination retenues.

Les valeurs obtenues pour le cisplatine peuvent être mises en parallèle avec celles présentées dans le Tableau 2 de la partie introductive, qui donne pour pourcentage relatif de ces deux lésions majoritaires 72% d’adduits 1,2-d(GpG) contre 28% d’adduits 1,2-d(ApG). Ces proportions sont donc comparables à celles obtenues dans nos plasmides (68% / 32%). Dans nos conditions expérimentales, c’est le JM118 qui génère proportionnellement le plus de pontages 1,2-d(ApG) (37%) alors que l’oxaliplatine en engendre seulement 11%, soit moins

que les proportions décrites dans la partie bibliographique. Rappelons ici que ces deux adduits ne sont pas ceux produits majoritairement par l’oxaliplatine.

Le Tableau 11 présente les résultats des dosages de lésions sur les stocks de plasmides préparés, montrant que l’objectif fixé en termes de taux de lésion a pu être atteint sur tous nos lots. Cisplatine Oxaliplatine JM118 Type d'adduit 1,2- d(GpG) 1,2- d(ApG) 1,2- d(GpG) 1,2- d(ApG) 1,2- d(GpG) 1,2- d(ApG) Nombre de lésions / plasmide

lot n°1 34,6 Non mesuré 22,3 2,8 30,6 5,6

lot n°2 47,2 11,3 - - 47,1 7,5

Tableau 11 : Nombre de lésions par plasmide générées pour chacun des lots utilisés

lors de nos expériences.

 Agrégation des billes

En plus de l’influence du DMSO, un second problème technique est apparu lors de la construction du piège. Après le simple greffage de plasmides non lésés, il nous était aisé de mettre la suspension de billes magnétiques en solution. Cependant, lors de l’exposition des plasmides aux dérivés du platine après fixation sur les billes, nous avons observé que celles-ci acquéraient une forte propension à s’agréger rapidement. Ce phénomène était encore visible après élimination du platine, ainsi que durant l’utilisation du piège (exposition aux extraits nucléaires). Il fut contourné par une augmentation de l’agitation à laquelle les échantillons étaient soumis afin d’éviter la sédimentation du piège et conserver l’accessibilité des sondes lésées. Cette agrégation a été également observée après modification de notre protocole et utilisation de stocks d’ADN lésé. Néanmoins, elle n’a jamais été notée pour les sondes plasmidiques UVC, dont la mise au point sera décrite dans le paragraphe suivant. Nous avons conclu qu’elle n’est pas due à l’action directe du platine sur les billes, mais plutôt à l’ADN lésé lui-même. Il a récemment été suggéré (Hou et al., 2009; Jiang et al., 2009) qu’en plus d’induire des déformations locales de la double hélice, le cisplatine et l’oxaliplatine génèrent l’apparition de micro-boucles sur les séquences d’ADN, puis une condensation de celui-ci. Ce mécanisme serait dû à la réactivité de monoadduits, capables de former des pontages entre molécules se trouvant à proximité dans le cas où le temps d’exposition à l’agent anticancéreux et la concentration de ce dernier sont suffisamment élevés. Ce modèle pourrait expliquer nos observations répétées : les billes se trouveraient liées entre elles par certaines molécules d’ADN pontées par l’un des dérivés du platine, ce qui cause leur agrégation.