• Aucun résultat trouvé

C) Conséquences biologiques de la présence d’adduits du platine sur l’ADN

1. Conséquences directes

Les dommages platinés interfèrent avec les mécanismes nécessitant la séparation des deux brins complémentaires, tels que transcription et réplication. Les cellules présentant une forte activité de prolifération, comme c’est le cas pour les cellules cancéreuses, sont activement engagées dans des processus de synthèse d’ADN et d’ARN que les adduits du platine sont à même de déstabiliser, ce qui explique leur sensibilité particulière à ce type d’agents génotoxiques.

 Influence sur la transcription

Trois mécanismes participent à l’inhibition de la transcription par les adduits du platine. Ils sont illustrés par la Figure 13. Le premier d’entre eux concerne le blocage de l’ARN polymérase II lors du processsus de transcription. Les adduits déformants tels que ceux formés par les dérivés du platine (les adduits bifonctionnels sont alors plus efficaces pour bloquer l’enzyme que les adduits monofonctionnels, moins déformants) altèrent les bases concernées de sorte qu’elles ne peuvent plus être prises en charge par l’enzyme au sein de son site actif. Ce blocage interrompt l’activité d’élongation de la polymérase, mais induit la formation d’un complexe stable immobilisé sur le site du dommage. L’enzyme subit une étape d’ubiquitination causant sa dégradation. Elle fait ainsi place aux acteurs des systèmes de réparation (Jung & Lippard, 2006; Damsma et al., 2007).

Figure 13 : Trois mécanismes participant à l’inhibition de la transcription par les

adduits du platine : (A) le blocage physique de l’ARN polymérase II lors de la transcription ; (B) le détournement de facteurs de transcription de leurs fonctions naturelles ; (C) la rigidité du nucléosome qui diminue l’accessibilité des gènes (adapté de Todd & Lippard, 2009).

En amont de la transcription, ce sont les protéines initiatrices de celle-ci qui peuvent être directement touchées par les adduits du platine. Le mécanisme de détournement de facteurs de transcription (transcription factor hijacking) implique la fixation de certains de ces facteurs sur les adduits du platine. Cette séquestration a pour effet de réduire leur disponibilité, ce qui les empêche de remplir leurs fonctions naturelles (Kartalou & Essigmann, 2001b). L’exemple le plus connu est celui du facteur de transcription des ARN ribosomaux hUBF (également un enhancer de la transcription par l’ARN polymérase II), dont l’affinité pour les adduits du platine n’est que trois fois inférieure à celle pour sa séquence cible naturelle (Guminski et al., 2002).

En dernier lieu, l’inhibition de la transcription peut être causée par l’augmentation de la rigidité du nucléosome suite à la formation des adduits du platine sur l’ADN. Cette perte de

mobilité rend également l’ADN moins accessible à la machinerie de transcription (Todd & Lippard, 2009).

 Influence sur la réplication

Les ADN polymérases, quant à elles, subissent un blocage analogue à celui de l’ARN polymérase II lorsqu’elles rencontrent un adduit platiné sur la séquence dont elles réalisent la copie (Harder et al., 1976), ce qui a pour effet de figer la fourche de réplication. Cependant, un certain degré de tolérance existe via un mécanisme dit de synthèse translésionnelle (replicative bypass) : des polymérases spécialisées sont alors recrutées, peut-être par l’intermédiaire de PCNA, sur le site de blocage afin de poursuivre la réplication de l’ADN (Jung & Lippard, 2007). La cellule évite ainsi les effets délétères résultant de la présence de l’adduit et augmente le temps disponible pour une réparation ultérieure des lésions. Bien sûr, cette tolérance peut s’effectuer au détriment de la parfaite fidélité de copie du génome, et est donc un contributeur important dans l’apparition de mutations.

Les lésions déformantes telles que les dimères induits par les UV ou les pontages causés par les agents platinés sont particulièrement difficiles à contourner, en raison de la taille du dommage qui met en jeu deux bases adjacentes. Contrairement aux polymérases α, δ et ε (famille B) qui sont bloquées par l’adduit, les polymérases de la famille Y, telles que Pol β et Pol η, sont capables d’effectuer une synthèse translésionnelle, ignorant ainsi sa présence (Hoffmann et al., 1996; Alt et al., 2007), parfois aux dépends de la fidélité de réplication. La faible processivité de ces polymérases leur permet de se dissocier rapidement, laissant la place à celles de la famille B qui poursuivent la réplication. Au bilan, ce mécanisme autorise la poursuite du processus de synthèse d’ADN mais est susceptible d’engendrer la formation de lésions complexes, c'est-à-dire l’adduit en lui-même et la présence sur le brin complémentaire d’une seconde lésion de type mésappariement.

Les contraintes imposées au nucléosome, rendant celui-ci moins mobile et participant à l’inhibition de la transcription, ont également une influence sur les mécanismes de réplication (Todd & Lippard, 2009).

Les premiers indices expérimentaux montrèrent qu’après traitement au platine, les cellules se retrouvent bloquées en phase G2 du cycle cellulaire : après une période de latence

(dont on sait maintenant qu’elle reflète le délai pris par la cellule pour tenter de réparer les dommages), certaines se réengagent dans le cycle cellulaire alors que d’autres meurent. L’arrêt en phase G2 est initié par certains points de contrôle du cycle cellulaire

consécutivement à la détection des dommages (Sorenson & Eastman, 1988; Siddik, 2003). Le cisplatine induit très rarement le point de contrôle en G1/S, pourtant crucial puisqu’il prévient

une réplication de l’ADN endommagé. C’est donc plutôt le point de contrôle en G2/M qui se

trouve déclenché afin de permettre la réparation des dommages formés en S ou en G2. La

d’empêcher l’accumulation des cellules en G1 (Siddik, 2003). Plusieurs mécanismes de

réparation des dommages de l’ADN rentrent ensuite en ligne de compte pour traiter les lésions générées par les dérives du platine.