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A) Considérations sur le protocole de piégeage des protéines

3. Limitation des protéines non pertinentes

Ceci nous amène à évoquer l’une des optimisations que nous avons testées afin de limiter ce bruit de fond. La présence des protéines non spécifiques est principalement due au support solide que nous avons choisi, en raison de la taille et des propriétés physico- chimiques des billes magnétiques. Elle peut également être (dans une moindre mesure) une conséquence de l’utilisation de la sonde plasmidique. En effet, ce type de séquence, là encore en raison de sa longueur, est susceptible de favoriser la récupération de protéines interagissant d’une façon ou d’une autre avec l’ADN, indépendamment de la présence de lésions. Le bruit de fond du à l’ADN ne peut être atténué qu’à l’aide des rinçages précédant la récupération de l’échantillon, dont on a vu que cela pouvait être préjudiciable à la récupération de candidats pertinents.

Afin de minimiser la présence de contaminants apportés par le support solide, plusieurs améliorations sont envisageables. Nous avons évalué une méthode de récupération faisant appel à la dégradation des sondes d’ADN par une nucléase non spécifique. Quoiqu’élégante et ayant déjà été utilisée (Rieger et al., 2006), cette méthode n’a pas produit les résultats escomptés. En effet, une protéine attendue telle que hUBF était observée par immunodétection au sein d’échantillons recueillis selon un tel protocole, mais pas à travers les analyses protéomiques menées sur ces mêmes échantillons. Les listes de protéines acquises lors de ces analyses contenaient en outre une faible proportion de protéines capables d’interagir avec l’ADN, en comparaison de ceux obtenus plus tard à partir d’échantillons produit par un relargage total des protéines piégées. De plus, cette technique apporte un désavantage de taille, à savoir l’introduction d’une protéine supplémentaire (la nucléase P1),

en quantité largement supérieure à celle des facteurs piégés et qui s’ajoute donc fatalement au bruit de fond.

Les récents travaux menés au sein du laboratoire de Lippard sont ceux qui se rapprochent le plus de nos propres investigations, en termes d’objectifs et de techniques expérimentales. Ils utilisent un dérivé du cisplatine contenant un groupement benzophénone qui permet de réaliser un photopontage des protéines venant en contact avec les adduits. Des rinçages très stringents (1M NaCl) éliminent ensuite une grande partie des protéines adsorbées sur le piège en lui-même (ADN ou support solide). Des conditions analogues (haute salinité, forte concentration en urée) sont d’ailleurs généralement utilisées avec les autres méthodes de ligand fishing décrites dans la littérature et au cours desquelles les protéines sont pontées sur les sondes (Loeber et al., 2009; Winnacker et al., 2010). Ceci permet de réaliser ensuite un relargage total des protéines présentes à l’aide d’un tampon dénaturant sans crainte du bruit de fond. De telles approches sont séduisantes, et dans le cas de l’équipe de Lippard cela a d’ailleurs permis de récupérer un grand nombre de protéines spécifiques des lésions, qu’elles soient déjà connues ou nouveaux membres de l’interactome.

Pourtant, quelques inconvénients nous semblent inhérents à ce type d’approche. En premier lieu, les lésions formées ne sont pas structurellement identiques à celles du cisplatine. Nous avons vu que les déformations causées par la présence des adduits du platine sur l’ADN sont proches pour nos trois dérivés, et qu’elles peuvent en conséquence être reconnues par des protéines communes, telle que HMGB1. Cependant, nous avons aussi vu que ce principe ne s’applique pas systématiquement et que l’interactome peut donc varier selon la nature de l’agent platinant utilisé (exemple : les lésions engendrées par l’oxaliplatine ne sont pas reconnues par les protéines de la voie MMR). Ce fait est d’ailleurs abordé par les auteurs, lorsqu’ils suggèrent une similarité de structure entre leur dérivé modifié et le satraplatine. La sonde photoactivable n’est donc pas totalement représentative de l’ADN cellulaire lésé par le cisplatine.

Le deuxième point sensible de la sonde photoactivable (cela s’applique à toutes les autres approches similaires) est la possibilité de récupérer des candidats « faux positifs », correspondant aux protéines aléatoirement venues au contact de la lésion mais ne possédant pas d’affinité pour celle-ci. En outre, le principe de ces pièges reposant sur une fixation covalente suivie de rinçages stringents, l’approche n’est adaptée qu’à l’identification des facteurs se liant aux adduits, mais pas à celle de leurs partenaires (complexes protéiques) éventuellement présents puisque ceux-ci ont de grandes chances d’être éliminés lors des rinçages du système. S’ils rapportent la présence des deux membres des complexes MutSα et β, Guggenheim et al. et Zhu et al. ont identifié d’autres protéines sans leurs partenaires connus. C’est ainsi le cas pour Spt16, piégée car elle serait en contact plus proche avec l’adduit, contrairement à SSRP1 qui reconnait la déformation en s’associant avec le brin non endommagé plutôt que directement avec la lésion. Ils signalent aussi la capture de DDB1, mais pas de DDB2 (Scrima et al., 2008). Notre piège, au contraire, est plus à même de

préserver les assemblages protéiques fonctionnels, comme nous avons pu le démontrer par la capture de FACT (hétérodimère) et PTW/PP (complexe de quatre protéines).

Un relargage spécifique comme celui permis par l’introduction d’un groupement labile entre le support solide et la sonde affranchit la procédure d’une grande partie du bruit de fond. Des méthodes chimiques sont envisageables, par exemple en utilisant un pont disulfure entre la biotine et l’ADN qui sera efficacement rompu en augmentant la concentration d’un agent réducteur (Shimkus et al., 1985). De telles techniques impliquent une modification de l’environnement chimique du piège et des protéines retenues, ce qui peut avoir des conséquences sur l’interaction lorsque les facteurs ne sont pas immobilisés. Parce qu’il n’implique pas l’introduction d’un quelconque agent pour la phase de récupération des protéines, la présence d’un bras photoclivable (décrit lors de notre analyse bibliographique) placé entre la biotine et la sonde semble une alternative plus efficace (Hegarat et al., 2007).

Malgré la pertinence de ces adaptations expérimentales, nous avons prouvé, à travers nos résultats (38 protéines piégées au total avec les trois dérivés du platine, dont 29 sont de nouveaux membres de leur interactome) que l’utilisation de contrôles appropriés permettait de déterminer en grande partie la composition du bruit de fond et de le retrancher ensuite des listes de protéines pour ne conserver que celles spécifiquement présentes sur les lésions. De tels contrôles sont bien sûr utilisés par les autres équipes, mais nous avons vu que leurs procédures ont moins à souffrir du bruit de fond.

La récupération de protéines non pertinentes pourrait aussi être évitée en utilisant l’approche « puces à protéines ». En effet, n’oublions pas que ces outils, illustrés lors de notre analyses bibliographiques par plusieurs exemples, dont un appliqué aux dérivés du platine (Stansfield et al., 2009), représentent une approche très puissante pour la détection d’interactions. Elles sont encore fortement dépendantes de la qualité des protéines utilisées pour leur construction qui est, elle, très variable. Il est en effet toujours difficile d’obtenir des protéines pures et fonctionnelles (modifications post-traductionnelles et repliement) afin de les déposer sur un support de format puce. Le fait d’immobiliser des protéines peut également perturber leurs capacités de reconnaissance. Notre piège et la plupart des approches de ligand

fishing font directement appel à des extraits cellulaires, ce qui permet de disposer de protéines

dont les capacités fonctionnelles sont moins altérées. Les puces à protéines ont cependant l’avantage d’éliminer les possibilités d’interférence entre candidats. Par contre, il n’est peu envisageable, avec un système de type puce à protéines, d’étudier directement les interactions mettant en jeu des complexes multimériques.