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Préliminaire : De la crise de l’humain

MONDE ET HUMANITÉ LA SENSIBILITÉ FONDAMENTALE

1.1. Préliminaire : De la crise de l’humain

La nécessité de conjuguer l’être-dans et l’être-vers, faut-il le rappeler, répond une crise qui affecte l’humaine conditionέ S’il y a quelque crise de l’humain, elle n’est pas sans lien avec ce que Breton appelle l’aiguillon du malheur « qui nous a éveillé à l’évidence soudaine de l’imprescriptibleέ »399S’il insiste sur cet imprescriptible, c’est sans doute pour que la crise du passé donne à penser aujourd’hui pour mieux vivre le présent, accueillir la vie et le futur comme présentsέ Lorsque l’on dit s’occuper de l’homme ou de l’humain, de ses droits400, parle-t-on le même langage ? Rappelant l’horreur touchant à la dignité de l’humain et qu’on ne saurait oublier lorsqu’on pense au sens et à l’essence de l’humain, Breton écrit :

On songe à un nouvel Ecce Homo qui, du fond des âges et du bas-fond de notre temps,

s’avancerait, à l’horizon, sur la scène du monde, pour nous dire ‘‘voici l’homme’’, en ses

puissances majeures et ses possibilités actives du pire et du meilleur. Aucune leçon

d’anthropologie philosophique ne serait susceptible de subsister, encore moins d’égaler,

une telle fulguration.401

398PCS, p. 70. Selon lui, « La légende indienne selon laquelle les premiers-nés de la nature naturante ou Prakriti aurait été le pronom ‘‘qui ?’’ serait à méditerέ Si la nature s’est donnée, en se réfléchissant dans l’homme, ce

pronom interrogatif, magnifique et désespérant, c’est peut-être parce que, en dehors de tout finalisme

anthropologique, elle s’est faite elle-même, par l’homme et dans l’homme, point d’interrogationέ » (Ibid.) 399 EP, p. 51.

400 « L’être humain en tant qu’humain, que propose la Déclaration de 1948, est aux formes du politique, ce que l’être en tant qu’être est à la variété multiforme des étantsέ Ici et là, il s’agit d’un présupposé, soumis, comme le meilleur dans notre monde, au sommeil de l’oubli et à la dureté de la négationέ Par ce trait de faiblesse, l’imprescriptible partage l’humaine conditionέ Le nécessaire, pour être régulateur, perd la force d’un déterminantέ Il s’expose, en sa fragilité, à la double contingence de l’événement qui le réfute et de l’interprétation qui en limite

la validité » EP, p. 67-68.

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La question métaphysique de la relation chez Breton, comme on l’a vu, nait de sa méditation théologique et philosophique de la relation intra-trinitaireέ Mais elle n’en demeure pas moins une question où l’humain en tant qu’humain a toute sa placeέ Sans verser dans une sorte d’anthropocentrisme, nous considérons nous-mêmes que cette question de l’humain et sur l’humain ne peut pas ne pas habiter, constamment et sans lui laisser le moindre répit, l’esprit du philosophe.

On trouve, inscrite comme une sorte d’incise dans le premier ouvrage de Breton, l’affirmation suivante : « Si le ‘‘visage humain’’ est, dans la sphère du réel, ce qui le plus nous importe, c’est que le microcosme y résume l’universέ »402 A travers cette idée ancienne de l’homme (microcosme) abrégé du monde (macrocosme), on peut déjà voir l’émergence de d’une pensée sur l’humain en tant qu’humain et de l’humain en tant que vivant en relation avec d’autres humainsέ Cette question de l’humain constitue dans ce sens un lieu de surgissement de sa pensée poétique et politiqueέ C’est dire qu’il s’agit chez lui d’une poétique de l’humain en tant qu’humain, une poétique des humains cherchant la meilleure intelligence possible d’un habiter-ensemble.

Aujourd’hui, outre la difficulté qu’ont les humains à habiter ensemble le monde comme leur maison commune, on ne saurait ignorer, comme accentuant la crise qui affecte l’humain, une menace certaine qui pèse sur l’humanitéέ On songe ici par exemple aux menaces qu’analyse Rémi Brague dans Le Propre de l’homme403 μ menaces pesant non seulement sur l’existence matérielle de l’humanité mais également sur l’essence même de l’homme, touchant en lui ce qui lui donne d’être véritablement humainέ Sans reprendre ce qui se définit chez Breton comme difficulté d’être, mais en nous y référant, on peut dire qu’il est bien attentif à ce type de menace réelle et que sa philosophie du fondement en constitue une réponseέ C’est ce qu’il exprime dans

402 EIEA, p. 63.

403 « Ce qui menace l’existence de l’homme comme espèce vivante est manifeste […] Les armes de destruction massive, atomiques ou chimiques, la pollution de l’environnement, l’extinction démographique sont passées depuis quelques décennies du statut de cauchemar à celui de possibilités réelles […] En revanche, les facteurs qui, de l’intérieur même de l’homme, en sapent l’humanité même, voilà qui est moins facile à saisirέ » (Rémi BRAGUE,

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Rien ou quelque chose, lorsque, parlant de « fondement et principe » il souligne le besoin d’habiter le mondeέ

Il semble même qu’on ait été plus attentif à cette dimension du ‘‘fondement’’ qu’à sa

fonction fondatrice, au sens étroit du terme, qui évoque a contrario, dans la crise actuelle, la perte des valeurs ou des raisons de vivre, et qui, par là même, le met en relation avec le

‘‘principe de raison’’404.

Pour nous, la conjonction entre poétique et politique court le risque de rester purement théorique si elle ne prend en compte l’être humain qui, éminemment, est et demeure un être poétique et politiqueέ En outre, une réflexion de ce genre s’adresse à l’humain non pas tant pour lui proposer quelque voie conduisant à une quelconque béatitude à laquelle il aspire, que pour lui remettre en mémoire cet argument ontologique maintes fois rappelé par Stanislas Breton : « ce qui mérite d’être doit être ».