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Analyse sémantique du préfixe méta

FONCTION ÊTRE FONCTION MÉTA , FONCTION MÉNIQUE

2.1. Analyse sémantique du préfixe méta

Parmi les traits caractéristiques de la pensée de Stanislas Breton, il y a indéniablement sa préférence, comme il le dit lui-même, à « réfléchir sur ces ‘‘petites choses’’ qui ne signifient pas par elles-mêmes, qui n’existent sémantiquement qu’en phénomène d’accompagnement et qui se dénomment ‘‘particules’’ »257. Ce trait est d’autant plus caractéristique que ces réflexions sur les ‘‘petites choses’’ sont d’une grande portée philosophique.

Mais alors, de quelle manière convient-il de mener cette analyse sémantique de la particule meta, s’il est entendu que son existence sémantique nécessite en partie qu’elle ne soit pas seuleέ Puisque Breton prend le soin de proposer lui-même une analyse sémantique de la particule

254 Comme le note CAPELLE, c’est Stanislas Breton « qui le premier, a thématisé la fonction ‘‘méta’’» (Philippe

CAPELLE, « Phénomène et fondement. Raison métaphysique et raison théologique », in : Transversalités, N° 110, avril-juin, 2009, p. 33).

255 S. BRETON, « Réflexions sur la Fonction Méta », p.45. 256 « Réflexions sur la Fonction Méta », p. 49.

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méta, c’est en s’y arrêtant qu’on peut espérer une meilleure intelligence de sa démarcheέ Ce qui retient notre attention c’est non seulement la question de la transcendance mais notamment l’idée et la nécessité du mouvement qui consiste à opérer un véritable retournement. On entre ainsi plus en profondeur dans la compréhension de la métaphysique.

Pour entendre la transcendance au sens bretonien, on doit tenir ‘ce qui se situe au-delà’ non pas comme l’opposé d’un ‘en-deçà’, mais comme son autre sans lequel il ne parvient pas à signifier ce qu’il a à signifierέ Il n’est donc pas inutile de reprendre ici ce que Breton nomme sa « digression sur une particule ». La question qui se pose est celle de savoir quel est le sens du préfixe méta, et dans quel sens il oriente la pensée et la réflexion de Breton. Présent dans maintes expressions, le préfixe méta ne les accompagne pas de la même manière. Mais chacune de ces expressions ainsi préfixée ou affectée d’un méta en tant que co-efficient, trouve justement son efficience propre tout en partageant avec d’autres expressions, un certain air de famille. « La préposition meta, écrit Breton, étale sur un large éventail ses variations sémantiques »258. Et on vient de le constater à travers les précédentes références.

Puisque « Le grec joue du Méta en nombre de tournures », voyons quelles sont les tournures qui retiennent l’attention de Breton et qui contribuent à une meilleure intelligence de sa « fonction Méta »έ Quoi qu’il en soit des contingences qui auraient présidé à la formation du terme méta-physique, Breton invite à retenir comme essentiel « l’idée de ‘‘dépassement’’, de ‘‘mutation’’, telle qu’elle apparaît dans les composés lexicaux dont nous avons fait métastase, métaphore, métamorphose »259. La raison est que cette idée « s’est peu à peu imposée pour signifier l’originalité d’une opérationέ »260

Les termes dépassement ou mutation, auxquels il faut ajouter déplacement, suggèrent bien des idées, des plus positives aux plus négatives. Mais quel que soit le niveau où l’on se situe, ces termes disent fondamentalement le passage d’un état à un état autreέ Et c’est le méta qui permet ce passage. Serait-il donc force ou capacité de dépasser une réalité, une chose, une

258 VO, p. 19. 259 VO, p. 19. 260 VO, p. 19.

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situation donnée, de se dépasser ? Serait-il aussi aptitude à opérer ce qu’on appelle souvent des déplacements dans ses vues, ses conceptions, ses convictions, compréhensions ou précompréhensions, pour aller vers une manière autre de voir, de comprendre ? Sans doute, est- il tout cela à la fois. Encore faut-il savoir de quelle manière il opère, si tant est qu’on peut parler d’opération méta dans notre pensée comme dans notre agir.

La particule Méta, que l’on retrouve entre autres dans métastase, métaphore, métamorphose, métaphysique, métalangage… est, comme le montre Breton, un « préfixe électrique ». Cette image permet de saisir ce que renferme ce préfixe comme énergie, comme pouvoir de transformation, dans le sens que l’on vient de proposerέ Le Méta de « fonction Méta » est un préfixe qui suggère l’énergie, la puissance, la transgression, la transcendance, l’invitation à toujours se situer de façon à voir au-delà. Il est une invitation à penser ce qui se situe après, à penser l’à-venir et l’advenue des chosesέ

On le voit, bien des choses sont affirmées à travers ces mots qui se suivent ainsi, mais qui n’ont pas la même connotation, qui n’évoquent pas les mêmes chosesέ Mais comment le meta peut-il insinuer, évoquer, convoquer, voire unifier toutes ces significations ? Comme on l’a déjà dit, selon le terme qu’il accompagne il ouvre tout un monde de compréhension ; tout en gardant sans doute, en tous les cas, la même fonction pour ainsi direέ Car c’est finalement cela qu’il faut affirmer : la fonction que remplit le préfixe méta – ce qui est très déterminant dans la compréhension de la « fonction méta » – c’est celle de permettre une diversité ou diversification de sens (signification et orientation) à partir d’un fond communέ Dans cette réflexion qu’il fait sur la « fonction méta » comme dans toute son approche métaphysique, une des attitudes qui fonde la démarche de Breton, c’est le souci de « donner au préfixe méta sa résonance de dépassement et de rupture, […] en y écoutant, en son reflux vers nous, le premier matin de la transcendance. »261 Une telle écoute suppose qu’on ait fondamentalement non seulement une oreille mais surtout une âme poétique.

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Il est possible, prolongeant ce qui précède, de se référer à la manière dont le méta est mis en œuvre, pour ainsi dire, en tant que « méthode » chez Franz Rosenzweig262. Comme le montre Carla Canullo, « le méta est […] ce qui échappant à la pensée, brise la totalité » et permet ainsi de penser les trois irréductibles : homme, monde, Dieu. Il est possible d’affirmer que c’est « méthode » méta qui lui permet, dans l’Etoile de la Rédemption, de porter un regard critique sur ce qu’il appelle la forme unidimensionnelle des « systèmes idéalistes » notamment de l’idéalisme hégélienέ A cette forme s’ajoute ce qu’il nomme « l’impersonnalité par vocation des philosophes de Parménide à Hegel. »263

L’unidimensionnalité désigne, selon lui, une forme de philosophie dont l’approche de la réalité reste très réductrice. En guise de réponse à une telle tendance de la philosophie, Rosenzweig propose la « philosophie du point de vue » ou la forme pluridimensionnelle de la philosophieέ C’est la forme proprement philosophique, selon lui, car elle est synonyme d’ouverture264. Et s’il est une chose essentielle qui semble trahir quelque parenté entre le sens du méta chez Rosenzweig et celui que propose Breton, c’est bien cette ouvertureέ