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Lieu et conditions d’exercice de la « fonction être »

FONCTION ÊTRE FONCTION MÉTA , FONCTION MÉNIQUE

1.2. Lieu et conditions d’exercice de la « fonction être »

Le premier ouvrage de Breton :L’‘‘esse in’’ et l’‘‘esse ad’’ dans la métaphysique de la Relation, apparaît comme point de départ ou point d’orient d’une philosophie qui allait être rythmée par cet « être-dans » et cet « être-vers » jusque dans ses dernières notes. Et dans son dernier ouvrage : Le vivant miroir de l’univers, il ne manque pas de rappeler sa « ferveur pour ce couple bien-aimé »231. Ce « couple bien-aimé », « dyade originelle » de sa métaphysique, « fut le commencement »232même ou le principe de toute son œuvreέ

« Etre-vers » et « être-dans » sont donc en ce sens le double fondement harmonique de la métaphysique bretonienne de la relationέ L’humain, selon Breton, est, et a toujours à être, dans et versle mondeέ C’est ainsi qu’il pense et vit la relation non seulement au monde, mais aussi à autrui, à la transcendance, et à lui-même, dans le sens d’un rapport qui a besoin à la fois de fondement et de distance.

Au sujet du second aspect de cette dyade, Breton écrit en 1992 : « Je ressentais une affinité qui me dure encore ; et une fascination de l’esse ad (traduisons « l’être-vers »), qui se remarque en tous mes ouvrages, qu’il s’agisse de poétique du sensible, de philosophie ou de spiritualité »233. En effet, l’être-vers, tout comme l’être-dans, ainsi que leur conjonction, traversent et rythment toute sa pensée : présence ou fréquence qui constitue une des dimensions les plus sensibles de la spécificité de son écriture.

Toutefois, l’‘‘esse in’’ et l’‘‘esse ad’’ ne témoignent nullement d’une « dualité de l’être ». Il ne faut ni les opposer ni les penser en termes d’exclusionέ Pour autant, écrit Breton, « il ne s’ensuit pas qu’il faille négliger les nuances conceptuelles. »234 Une distinction est nécessaire mais toujours dans le sens d’une conciliation des deuxέ Car « sans esse ad peut-être n’aurions-nous que le monolithe de Parménide. Sans esse in, l’esse ad flotterait dans un entre

231 VMU, p. 39. 232 VMU, p. 233 DRP, p. 72. 234 EIEA, p. 117.

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deux »235έ En effet, si Breton insiste sur la conciliation de l’être-dans et de l’être-vers, c’est précisément parce que, comme l’écrit, « ces deux versants d’un monde et notre ‘‘être au monde’’ sont aussi deux modes, qu’on oserait dire ‘‘infinis’’, de faire advenir une liberté. »236

Lorsqu’il examine le rapport existant entre « Etre et relation », dans Le vivant miroir de l’univers, Breton affirme : « Le logicien et le mathématicien s’intéressent à la relation pour elle- même et pour elle seuleέ Or je n’ai cessé d’accompagner la relation d’un additif d’être qui en souille la pureté »237. Il y souligne même la radicalité d’une telle posture de penséeέ La pluralité de formes et d’acceptions de la relation garde en commun le verbe être, et attestent que l’être est essentiellement relation. Autrement dit, il existe entre Être et relation, un rapport nécessaire, voire indispensable. Selon Breton, en effet,

L’indispensable additif d’être s’explique et se justifie par les conditions d’existence qui

transforment en réalité, dans un monde qui est notre seul monde ce qui de soi, et par son

essence, fait abstraction de toute réalisation, quel qu’en soit, du reste, le mode d’effectuation qui lui échoit et qui peut-être aussi bien un acte de pensée.238

Chez lui donc, les deux versants de la dyade initiale constituent des harmoniques du relationnelέ Mais viennent s’y ajouter leurs principales tournures, versions ou modalités, constituant autant d’harmoniques du relationnelέ Tournures, prépositionnelles elles aussi, explicitant, accentuant ou complétant l’esse in et l’esse ad ; et que nous regroupons librement comme suit μ en lien avec l’être-dans, on parlera d’être par, d’être en…ν et en lien avec l’être- vers il est questiond’être-avec, d’être-ensemble, d’être pour…

Il suffit, pour en avoir quelque intelligence, de considérer dans L’autre et l’ailleurs, l’analyse que fait Breton des tournures de l’une et l’autre posture, en lien, il est vrai, avec son analyse de ce qui peut être dit μ l’être occidental dans son rapport à l’être oriental ; mais qui ne

235L’Esse in et l’Esse ad, dans la Métaphysique de la relation, p. 119. (Ou encore : « L’enchainement (esse ad) parce qu’il est détermination appelle nécessairement un esse in. Le Dasein de Socrate est un Sosein du monde, comme le Dasein de la branche est le Sosein de l’arbre, le Dasein de l’arbre est le Sosein de la forêt etcέ », Ibid, p.

120.)

236 AA, p. 129. 237 VMU, p. 43-44. 238 VMU, p. p. 44.

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manque pas de rejoindre l’universel de sa conception de notre être-au-monde. Quelles sont donc ces « versions de l’être-vers »239, et « versions de l’être dans »240 ?

Tout d’abord, c’est « précisément par la préposition vers » que s’exprime le mieux, selon lui, le mouvement qui lui permet de ne point perdre de vue l’axe de rotation ou l’essentiel de son être occidental. Et nous induisons de là qu’il en va de même pour tout humain, quel que soit le sol géographique auquel il se réfère. « Or, explique-t-il, l’‘‘être-vers’’, comme point indivisible, est semence des lignes qui en procèdent pour y revenirέ Il n’est centre que par sa force d’expansion. »241

L’être-vers suggère l’idée d’orientation, en référence au mouvement du corps et à celui de la pensée, etcέ Il est, pour ainsi dire, au cœur de notre manière de nous orienter dans l’espace, qu’il s’agisse de l’espace physique, ou bien de l’espace de la pensée, du dire242, de l’existenceέ Parce que « ‘‘penser’’, c’est fondamentalement, s’orienter et, par là même, créer des lignes de sens. »243 Sont au nombre de ces « lignes de sens », l’être-vers lui-même et toutes les inflexions qu’il suppose ou susciteέ Etre-vers pour être-avec, pour être-ensemble, être-vers supposant l’être autre, et impliquant l’être-pourέ Ce qu’il appelle l’interexistence est, par exemple, une modulation de l’être-vers. « L’analytique de l’être-vers, dans le contexte de l’interexistence, explicite les modalités fondamentales du rapport : être-avec, être-par, être-pour. Chacune d’entre elles comporte un complémentaire par simple absence ou par contrariété »244

Qu’on s’en tienne à ces indications, ou qu’on y ajoute « ‘‘l’être autre’’, en sa fusion avec ‘‘l’être ensemble’’ », on ne perd pas de vue que « L’être-vers se fonde sur l’être-dans »245. Autrement dit, toute orientation dans l’espace, quel qu’il soit, est, de quelque manière, une mise en œuvre de l’être-vers, ainsi que de toutes ses flexions ; un être-vers qui suppose un être-dans et toutes ses flexions.

239 AA, p. 110. 240 AA, p. 121. 241 AA, p. 111. 242 Cf. PB, p. 191-193. 243 AA, p. 112. 244 EMI, p. 81. 245 EMI, p. 79.

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L’être-dans peut être aussi « prodigue de tournures ou versions que l’‘‘être-vers’’ »246. On pourrait dire de l’être-dans, qu’il suppose le sol et le là qui nous fait tenir en étant dans le mondeέ Telles des notes de musique, ces conditions de l’être-dans posent la question du lieu, du où, et de l’espaceέ De même que l’être-vers a besoin d’un espace de mobilité, l’être-dans sollicite, un espace où l’on demeure, un sol d’appui, une demeure où habiter.

Tout comme l’être-vers, l’être-dans « fait appel à une expérience du corps. »247 Mais, si pour l’être-vers l’expérience du corps relève de l’orientation, il en va autrement en ce qui concerne l’être-dans qui fait appel à l’expérience du demeurer entendu comme « l’agir sans complément d’objet, ‘‘mouvement immobile’’ ».

On peut repérer ici également quelques formes prépositionnelles ou verbes pouvant être rapprochées de l’être-dans en tant que ses versions : être en, être-là, être-sur… demeurer, habiter, se trouver… Considérons ce que dit Breton au sujet de l’être-sur.

Condition indispensable, la fermeté du sol ne suffit pasέ L’assurance d’un ‘‘être-sur’’ ménage à ‘‘ceux qui seront-là’’ l’espace d’un libre devenir, d’une libre respirationέ C’est

pourquoi […] l’être-sur est au service d’un être-dans qui a retrouvé, récemment, de par la

vivacité des problèmes d’écologie, une importance dont les philosophes eux-mêmes ont

fini par se soucier248.

Cet exemple a le mérite de souligner, en le suggérant, que l’humain ne se contente pas d’être dans le mondeέ Il veut y être en étant, de quelque manière, sûr de n’être point sous quelque contrainte qui pourrait l’empêcher d’être ce qu’il a à êtreέ D’où cette idée d’assurance et de libertéέ Ce qu’exprime Breton par l’être-sur, dans sa Philosophie buissonnière, c’est la fonction du demeurerdont on souhaite qu’il soit « certain et sûr »249έ Il n’hésite pas à faire aussi référence au psalmiste dans son être-sur Dieu pouvant être entendu dans le sens d’un être-sûr-de-Dieu, puisqu’il l’invoque comme « son rocher ». Car, écrit Breton, « Il n’est de sûreté que par un être- sur dont la résistance ne fait aucun doute »250.

246 AA, p. 122. 247 AA, p. 122-123. 248 PB, p. 24. 249 PB, p. 24. 250 PB, p. 24.

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La diversité d’expression du relationnel nous met en présence de bien des harmoniquesέ Mais on peut affirmer avec Breton : « En dernière instance, que l’on parle d’être-vers ou d’être- dans, de toute manière c’est bien de l’être qu’il s’agitέ »251 A travers une réflexion à la fois logique et philosophique, Breton oriente justement vers ce type de compréhension de la relation. Un autre aspect doit être soulignéέ Il s’agit du lien qu’établit Breton entre la question de l’être en tant qu’être et la question du jugementέ Ce rapprochement permet de comprendre davantage la fonction être et les conditions de son exercice. Pour lui, « il n’est de jugement possible que par la fonction-être préalablement justifiéeέ Nous rattachons l’éminence du jugement, sa signification et sa portée, à ce préalable dont il est […] la manifestation dans l’espace de l’humaine discursivitéέ »252 Ce qu’exprime Breton c’est d’abord le lien existant entre l’être – en tant qu’il n’est ni étant, ni concept, ni existant, ni singulier, ni substance, mais plutôt « être-fonction » – et l’intellectέ Les deux se conditionnent réciproquement, l’être en tant qu’être éclairant l’intellect, et l’intellect étant le lieu ou le premier support de cet être qui l’éclaire et le définitέ

Dans Être, Monde, Imaginaire, Breton discerne trois puissances essentielles de l’être qui sont solidaires : la puissance de synthèse qui, tout en signifiant l’unité du divers, énonce « comment doit être ce qui est » ν la puissance de position qui se comprend à travers l’extériorité, la production et l’existence ν et la puissance d’affirmation de soi253. Ces trois puissances de l’être trouvent discursivement leur manifestation dans les trois puissances du jugement : la composition, la position et la prise de position.

Cette « fonction être » peut se décliner de multiple manières. Mais les deux déclinaisons qui nous paraissent les plus essentielles pour le problème qui nous occupe, et qui répondent à cet impératif du signifier, sont la « fonction Méta », et la « fonction Ménique ».

251 VMU, p. 45. 252 PCS, p. 65. 253 Cf. EMI, p. 32-51.

97 2. SENS ET PORTEE DE LA « FONCTION META »

Nous nous interrogions sur l’analogie comme forme ou expression possible de ce qui unit ou conjointέ C’est de là qu’il faut repartir si l’on veut comprendre la signification que Breton donne à la « fonction Méta »254, et en saisir toute la portéeέ C’est dans ce sens, en effet, qu’il nous introduit lui-même dans sa réflexion sur la « fonction Méta », soulignant que cette doctrine de l’analogie « n’a cessé de hanter, comme une obsession, les concepts qu’on en a proposés au cours des siècles »255έ L’analogie est, selon lui, une variante sémantique du terme Logosέ Ce qui importe pour lui dans ce rappel c’est essentiellement la signification et le champ d’application de l’analogieέ

L’examen de la particule méta, ainsi que des trois grands facteurs par lesquels Breton caractérise la « fonction Méta » nous ouvrirons à l’essentiel de la thématisation de cette « étrange fonction »256.